Les prostituées redoutent les grossesses non désirées. Avec les multiples partenaires, il leur est difficile de reconnaître l’auteur de la grossesse « accidentelle ». Sidwaya est allée à la rencontre de certaines prostituées victimes « d’accidents de travail ».
Enquête de Mariam Ouédraogo
O. D. est né le lundi 30 avril 2018 à la maternité du Centre hospitalier universitaire Sanou- Sourou de Bobo-Dioulasso. Une semaine après sa naissance par césarienne, le nourrisson « connaît » déjà les chambres de passe, malgré lui. Sa mère K. T, 28 ans, une prostituée qui a contracté sa grossesse avec un de ses clients, a vite fait de reprendre du service avant même que sa plaie ne se cicatrise. Ainsi, mère et fils passent leurs journées et nuits dans le maquis « Zodia », dans le quartier Koko. Ce bar qui abrite des chambres de passe.
Couché sous un arbre avec son berceau, au pied du mur séparant le bar des « chambres noires », le nouveau-né a été surnommé « bébé Zodia » par les autres prostituées et des clients qui ne se gênent pas de l’enjamber pour conter fleurette à sa mère. La jeune maman précise avoir continué son « travail » jusqu’à son huitième mois de grossesse. Le mardi 6 mars 2019, aux environs de 12 heures, nous avons retrouvé le petit au même endroit dans son berceau, recouvert entièrement d’un pagne porte-bébé.
Alors que, sa mère causait avec quatre autres prostituées en attente d’éventuels clients sous l’un des hangars du maquis. Elle, nous défend de voir le bébé pendant son sommeil. Plus de 30 mn après, nous avons tout de même pu voir le visage de l’enfant, plongé toujours dans son sommeil. La situation de K. T. n’est pas un cas isolé. Au cours de notre séjour, du 4 au 8 mars 2019, dans la ville de Sya, nous avons pu rencontrer plus de 30 filles mères, dont six en grossesse, obligées de se prostituer pour s’occuper de plus d’une soixantaine d’enfants.
En effet, la plupart d’entre elles agissent ainsi avec leurs progénitures issues de la prostitution. Ces travailleuses du sexe qui font fréquemment face à des grossesses non désirées, sont donc contraintes de s’en occuper toutes seules. Certaines mêmes se livrent aux clients jusqu’aux dernières heures de la grossesse. Le cas le plus emblématique est celui de R. D., une prostituée de 25 ans, qui a débuté sa « carrière » en 2014 et fait la navette entre Ouagadougou, Houndé et Bobo-Dioulasso.
« J’ai accouché après une passe »
Sa petite fille, S. T est née le 16 janvier 2015, quelques heures après une passe avec un client. « Ce jour-là, j’ai couché avec un client vers minuit et j’ai accouché trois heures plus tard », confie-t-elle en rigolant. La professionnelle du sexe dit n’avoir ressenti aucune douleur lors des rapports sexuels. Ses clients ne se gênaient pas de son état, selon elle. Contrairement à R. D, G. Z., rencontrée plus tôt dans la matinée du 6 mars 2019, est obligée de se concentrer pour encaisser les violents coups de certains clients, indifférents à son état. Face aux douleurs insupportables, elle est souvent obligée de se limiter à un seul client par nuit.
Déjà mère de deux enfants (5 et 3 ans) de pères différents, elle cohabite avec sa collègue K. K., qui dit crûment «se vendre» depuis longtemps. A 29 ans, elle a trois enfants de géniteurs différents, un garçon de 10 ans, une fille de 7 ans et sa dernière a 2 ans et demi. A côté d’elle, M. O, 32 ans, fait ses prestations sur les sites d’or, dans les petits villages, à Bobo-Dioulasso, à Ouagadougou et à Abidjan, la capitale ivoirienne. Tenant un garçon d’environ quatre ans dans ses bras et de nouveau enceinte, elle confie être dans le métier depuis huit ans.
« Je vivais en famille avec mon père et mes frères. Nous n’arrivions pas à assurer notre repas quotidien. Cela m’a contrainte à sortir avec des hommes pour de l’argent et petit à petit je suis entrée dans le métier », retrace-t-elle. Homonyme parfait de K. K., une autre fille de joie, mère de deux enfants, exerce le métier depuis plus de six ans. Presqu’à terme, elle tient un nourrisson de 21 mois ;. Elle a conçu ses deux enfants dans la prostitution. Le père de son garçonnet et auteur de sa grossesse en cours, n’est personne d’autre que le gérant de la chambre de passe, où le couple vit.
Le gérant qui a reconnu l’enfant et la nouvelle grossesse lui aurait conseillé d’arrêter la prostitution en lui promettant de s’occuper d’elle. « Il m’a même promis le mariage mais comme il n’a pas tenu sa promesse, j’ai été obligée de recommencer. Si je dois aller avec un client, je rentre avec mon enfant parce qu’il n’accepte pas aller chez quelqu’un. Et si je gagne deux ou trois clients par jour, ça me suffit », avoue la deuxième K. K. Elle décide de nous conduire à son fiancé, en compagnie de M. O., une autre prostituée de 45 ans avec trois enfants, dont le premier, 21 ans est dans une école professionnelle à Ouagadougou.
Les deux autres, 14 et huit ans, vivent avec elle. Mais au moment d’embarquer dans le véhicule, elle reçoit un coup de fil. Très enthousiaste, elle se dirige vers sa collègue. Echanges de sourire et langage codé, elle nous abandonne au profit d’un taxi avec son rejeton. Toute souriante, sa complice vend la mèche : « Karidja est allée faire son ‘’cherchement’’. Elle a reçu un appel d’un de ses clients, elle va aller le gérer très rapidement et nous retrouver à Zodia ». Une fois à Zodia, aucune trace du gérant géniteur. K. K n°2, comme promis, après avoir fini son «cherchement», débarque avec son enfant, le sourire aux lèvres. Le compte est bon, parce qu’avec les 2000 F CFA du client qu’elle vient de « gérer », son gamin qui aura au moins de quoi manger pour le reste de la semaine. « Hier nuit aussi, un client m’a donné 2000 F CFA et avec cet argent j’ai pu acheter à manger », se justifie-t-elle.
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Mère et filles prostituées
A ses côtés, S. S, 40 ans, surnommée la « koro » des lieux, a passé près de la moitié de sa vie dans le commerce du sexe. Elle a eu ses deux enfants dans la prostitution. Un cas atypique, D. O, la quarantaine, mère de six enfants fait le trottoir pour subvenir aux besoins de ses enfants et de son actuel compagnon. Ce commerce de sexe, elle l’exerce depuis plusieurs années avec ses deux premières filles. F. S., 28 ans, mère de trois enfants ; son dernier, né en début novembre 2019, est le fils du gérant d’une chambre de passe. La deuxième, Natacha, 21 ans, elle attend un enfant.
Des parkings d’enfants à Ouagadougou et Bobo -Dioulasso
Mais comment ces professionnelles du plus vieux métier du monde s’y prennent pour « gérer » leurs clients avec des nourrissons sous la main ? « Quant il ne dort pas, je le confie soit à mes collègues, soit à mes clients en attente », raconte la mère du petit O. D., avec insouciance. Elle se dit convaincue que son petit ange ne le dérangera pas lors de ses ébats sexuels. « Mon enfant ne pleure pas. Dès que je finis avec un client, je me lave simplement les mains avant de lui donner à téter », indique la mère prostituée. La mère de deux enfants, G. Z est dans le milieu depuis plus de cinq ans.
Mais avant de se rendre à son « service », elle se débarrasse de ses rejetons de pères différents, en les enfermant seuls dans sa maison. M. O., quant à elle, amène son enfant sur les sites, le couche dans le couloir des chambres de passe sur une natte sous une moustiquaire. Pour « tenir tranquille » son bébé pendant qu’elle travaille, elle gave son nourrisson de somnifères dilués dans des tisanes. « Avec ce breuvage, il s’endort jusqu’au matin », confie-t-elle. Comme pour avoir bonne conscience, M.O. explique qu’une fois dans la chambre, elle ne laisse pas un client toucher ses seins.
« A la maison, avant tout contact avec l’enfant, je me lave bien. Je frotte bien mes seins avec de la potasse pour que le bébé ne tombe pas malade », révèle-t-elle. La troisième solution est de les confier à des garde-enfants que certains appellent parkings d’enfants. Les garde-bébés sont de vieilles femmes démunies des quartiers ou des vieilles prostituées reconverties .Elles sont payées à 2000 F CFA par nuit ou 60 000 F CFA le mois. Ces « parkings d’enfants » sont implantés dans plusieurs quartiers de Bobo-Dioulasso et de Ouagadougou. A Bobo-Dioulasso, le 7 mars 2019, aux environs de 23h, nous avons assisté à une scène pathétique de séparation d’un bébé de sa mère qui l’a déposé dans un « parking ».
Très maladif, avec des cheveux lisses et des boutons sur le corps, le petit s’était agrippé aux pagnes de sa mère qui l’arracha sans aucun égard pour le confier à la vieille du parking. Face aux pleurs du bébé qui avait visiblement très faim, la vieille qui avait déjà trois autres enfants à sa charge, n’eut pour seule solution que de couper un morceau de « tô » pour l’enfant qui le rendit immédiatement à travers des vomissements. Mais avant elle, Dans la nuit du 6 mars, nous avons suivi une autre prostituée, T.S. , pour qu’elle confie son enfant de 9 mois au « parking » voisin, à Koko, avant de rejoindre son site, Natalia, avec sa copine, une prostituée enceinte d’environs 5 mois.
La doyenne de ces «parkeurs» est appelée affectueusement Mah par les prostituées de Sya. Des pratiques que déplore la présidente de l’association « Yèrèlon Plus » de Ouagadougou, Djénéba Ouédraogo. « Dans ces coins, les enfants sont exposés et sont mal traités », dit-elle, en soutenant qu’il est difficile pour ces femmes de bien s’occuper à la fois de plusieurs enfants.
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Des enfants oubliés
« C’est déplorable que des filles continuent de se prostituer avec leurs grossesses et leurs enfants en main », s’indigne, Djénéba Ouédraogo, qui s’occupe de la santé des travailleuses du sexe depuis 2011. Toute triste, cette assistante sociale évoque le cas d’un groupe de filles ayant trouvé refuge dans les quartiers périphériques de la capitale. Elle poursuit qu’elles ont loué une grande maison, pièce unique, compartimentée par des pagnes. Et pendant qu’elles sont avec des clients, les enfants sont dans un autre box. « C’est un problème pour nous car ce sont des enfants qui n’ont pas demandé à venir au monde. Malheureusement, ils sont venus trouver leurs parents dans des situations peu enviables », témoigne, impuissante, Mme Ouédraogo.
Quant à la responsable des consultations de la clinique Yèrèlon de Bobo-Dioulasso, Dr Yvette Sanou, elle s’inquiète des conséquences sanitaires sur l’enfant. Avec la multiplicité des partenaires sexuels, les maladies sexuellement transmissibles telles que la gonococcie, la syphilis peuvent infecter le fœtus. Ce qui peut aussi occasionner des avortements, des accouchements prématurés ou des mort-nés.
« Quelle que soit la voie d’accouchement, il est toujours recommandé un délai de six semaines, soit 45 jours avant la reprise de toute activité sexuelle afin de permettre à l’appareil génital de se reposer après les différentes perturbations », poursuit Dr Sanou.
Les titulaires et les grossesses
Comment des filles qui se livrent à plusieurs hommes prennent-elles le risque de tomber enceintes, alors qu’elles bénéficient de nombreuses campagnes de sensibilisation au VIH SIDA, à la santé sexuelle et reproductive et aux méthodes contraceptives ? Ceci témoigne en effet qu’elles ne se protègent pas malgré une dotation régulière en préservatifs par certaines associations et structures de lutte contre le VIH/SIDA. Dans les cliniques Yèrèlon, elles bénéficient de méthodes contraceptives tels les injectables, le Norplan, les pilules.
A cela s’ajoutent des dotations régulières en préservatifs. Même si elles se prostituent, relève, Mme Ouédraogo, les filles demeurent des femmes qui ont des sentiments et qui veulent vivre leur vie sentimentale comme les autres femmes. C’est ainsi qu’elles tombent amoureuses de certains clients. Appelés titulaires ou boys friends, ces derniers sont des partenaires réguliers avec lesquels, elles vivent parfois sous le même toit. « Avec les autres clients, elles exigent le port systématique des condoms.
Ce qui n’est pas souvent le cas avec leurs copains qui sont des partenaires réguliers avec lesquels elles vivent maritalement. », explique l’assistante sociale. « C’était mon titulaire et avec lui, je ne me protégeais pas », confirme A. D, une prostituée et proxénète qui a dix ans de « carrière » et mère de trois enfants de pères différents (15 ; 10 et 8 ans). « On vivait ensemble et au début je me protégeais. Mais par la suite, il m’a blaguée avec
des mots doux, je l’ai cru et voilà », regrette A. T., une autre prostituée qui a vécu cinq ans avec un homme qui lui a finalement arraché son enfant pour vivre avec une autre au Nigeria.
« Je suis tombée sur un jeune qui dit m’aimer. Nous vivions ensemble et c’est ainsi que je suis tombée de nouveau enceinte », ajoute, pour sa part, A. K. Quant à M. O, elle vivait aussi avec le père de son premier enfant. « Nous étions ensemble, j’ai eu un premier enfant avec lui et du moment où nous sommes ensemble, surtout déjà avec un enfant, nous n’avons plus eu besoin de nous protéger », appuie-t-elle. Toutefois, elle poursuit que le préservatif peut se déchirer lors des rapports sexuels avec un client. Lorsqu’une grossesse intervient, elle est d’office attribuée au copain régulier. Pour la plupart des filles, le refus d’assumer la paternité est catégorique dès l’annonce de la grossesse.
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Introuvables pères !
Le chef de service enfance de Bobo-Dioulasso, Auguste Ouattara, témoigne qu’en 2018, il a reçu une fille de 14 ans qui était enceinte. Le travailleur social poursuit qu’au départ, la fille qui vivait avec d’autres prostituées sur un site d’or, avait identifié deux jeunes qui la fréquentaient régulièrement, mais dont elle ignorait leur vraie identité. Elle n’avait que le numéro de téléphone de l’un d’eux qui s’appelait John. « Le contact est resté inactif, et nous n’avons pu rencontrer aucun d’eux », déplore-t-il. Toutefois, avec les médiations, la fille a pu réintégrer sa famille qui ignorait qu’elle se prostituait. La même année, M. Sanou et son équipe ont reçu une autre prostituée enceinte, pour la recherche de paternité.
Là aussi, les recherches de l’auteur n’ont rien donné, faute d’informations sur lui. « Nous lui avons tout de même trouvé un logement et l’avons orientée vers un centre de santé pour le suivi de sa grossesse », indique-t-il. Quant à Dr Yvette Sanou de la clinique Yèrèlon, créée en 1998, elle soutient que la plupart des prostituées étant même surprises de leur état, il leur est difficile d’identifier les vrais auteurs de leurs grossesses parmi de multitudes clients passagers. Même difficultés dans les services de l’action sociale de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso.
Par exemple, en juillet 2019, le chef de service de la promotion de la famille et du genre, à la direction provinciale du Kadiogo, Kalidou Dao, précisait à Sidwaya qu’en 2015, son service a traité 159 cas de recherche et de contestations de paternité et 169 en 2017. Ce chiffre est passé à 195 en 2018. A notre niveau, difficile également de trouver un présumé auteur ou père, car toutes nos tentatives ont été soldées par des faux rendez-vous à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou et ce malgré l’intervention de certains gérants de maquis et de chambre de passe.
Pourtant à Ouagadougou, A. P, une prostituée de nationalité étrangère, mère de deux enfants, n’a pas eu besoin de recourir à l’Action sociale lorsqu’elle a annoncé la nouvelle de sa 2e grossesse à son compagnon. « Sa grossesse ne m’a pas surpris. Je sais bien que c’est moi l’auteur et je lui ai donné le prénom A, qui est celui de ma grand-mère », confie O. I, le copain en question, le dimanche 28 avril 2019. Son seul problème, c’est qu’au début, il a rencontré des difficultés pour établir un extrait d’acte de naissance à sa fille, la mère ne disposant pas de document d’identification.
Nous l’avons aidé à obtenir ce document si précieux pour sa fille, après plusieurs démarches à la maternité Zoodo, à la mairie de l’arrondissement 2 de Ouagadougou et à l’action sociale de Baskuy. Avec une certaine sagesse, il invite les autres garçons à reconnaître les enfants conçus avec les prostituées et à s’assumer parce que ces enfants n’ont pas demandé à venir au monde. Sinon, ils viendront alourdir la liste des « sans-papier ». Toute chose qui sape les efforts du Burkina Faso dans son combat d’offrir des actes de naissance à chaque enfant.
Mariam Ouédraogo,Journaliste Sidwaya
mesmira14@gmail.com
Source: Sidwaya