Les électeurs tchadiens sont appelés aux urnes le 6 mai prochain pour élire celui qui présidera aux destinées du pays pendant les cinq prochaines années. Sur les dix candidats en lice, la bataille se joue entre le président de la Transition, Mahamat Idriss Déby Itno, et son Premier ministre, Succès Masra. Mais cette élection, qui intervient dans un climat de tensions, doit aussi solder le précédent rendez-vous de 2021 qui a écrit son épilogue en pointillés…
Ils sont dix prétendants au trône, mais on ne parle pas beaucoup des huit autres candidats en piste pour la course au fauteuil présidentiel du Tchad. Cette élection, prévue pour le 6 mai prochain, semble se résumer à la confrontation entre Mahamat Idriss Déby Itno, le président de la Transition, et Succès Masra, son actuel Premier ministre.
Opposant irréductible hier, Succès Masra a subitement changé son fusil d’épaule il y a quelques mois, pour prendre la tête du gouvernement de son pays. Un revirement diversement apprécié par les Tchadiens dont certains le considèrent désormais comme un « pion accompagnateur » du processus de Transition engagé depuis trois ans, pour légitimer Mahamat Idriss Déby à la tête de l’État.
En tout état de cause, il est exceptionnel de voir les deux têtes de l’Exécutif d’un pays, engagés dans une telle compétition, chacun jurant qu’il représente le meilleur atout pour la nation. Il s’agit d’« une première mondiale », dira même Saleh Kebzabo, actuel médiateur de la République, qui estime que les deux hommes se retrouvent aujourd’hui « en train de se regarder en chiens de faïence ». Pas tout à fait, puisqu’au Bénin en 1991, sous la transition ouverte suite à la Conférence nationale, le président Mathieu Kérékou et son Premier ministre, Nicéphore Dieudonné Soglo, étaient tous les deux candidats à l’élection présidentielle…
Journaliste de son état et ancien opposant à Idriss Déby Itno, le père de l’actuel président de la Transition du Tchad, Saleh Kebzabo est devenu le Premier ministre du fils Déby dont il soutient la candidature à la présidence de la République. Et pour lui, « le gouvernement actuel n’est ni un gouvernement d’union nationale ni un gouvernement de cohabitation ». De plus, indique-t-il, « ce n’est pas la parfaite entente entre Mahamat Idriss Deby Itno et Succès Masra ».
Tensions souterraines
De là à craindre des violences au cours du scrutin du 6 mai prochain, il n’y a qu’un pas qu’il faudrait pourtant ne pas franchir. D’autant que ce rendez-vous électoral se tient dans un climat de tensions souterraines suite notamment à la mort, en février dernier, de Yaya Dillo Djérou, président du Parti socialiste sans frontière (PSF), accusé d’avoir attaqué les locaux des services de renseignement à N’Djamena. Opposant à Mahamat Idriss Déby dont il ne partage pas les idées, Yaya Dillo voulait prendre part à cette élection présidentielle.
La mort de Yaya Dillo est donc perçue par certains comme un assassinat politique pour écarter un prétendant sérieux du trône de la République. Car ce n’est pas la première fois que le pouvoir s’en prend à cet opposant qui a manifestement maille à partir avec le clan Déby. Déjà candidat à la présidence de la République il y a trois ans, son domicile a brutalement été attaqué le 28 février 2021. Une attaque qui a tué sa mère âgée de 80 ans, et blessé cinq autres membres de sa famille.
De plus, certains candidats recalés pour la consultation du 6 mai prochain — à l’image des opposants Nassour Ibrahim Neguy Koursami et Rakhis Ahmat Saleh — continuent de « dénoncer les irrégularités qui entachent le processus électoral », tandis que « des syndicats et autres associations de défense des droits de l’homme fustigent la situation de précarité que traversent les populations, avec l’absence d’électricité et d’eau potable ».
L’ambiance n’est donc pas à la sérénité à la veille de cette élection présidentielle qui devrait solder le long règne de Idriss Déby Itno, tué au front le 20 avril 2021. Le Conseil militaire de la transition, mis en place dans la foulée de la disparition de celui qui venait à peine de se faire bombarder « Maréchal du Tchad » et dirigé par son fils, Mahamat Idriss Deby, avait alors promis des « élections libres et démocratiques à l’issue d’une période de transition qui devait initialement durer 18 mois ». Une période de transition prolongée jusqu’à aujourd’hui, après maints conciliabules sur fond de divisions et de contradictions.
La saga Déby
L’élection présidentielle tant attendue aura donc finalement lieu un peu plus de trois années après le décès de Idriss Déby père, pour légitimer son fils à la tête de l’État tchadien, confronté depuis plusieurs décennies à différentes rébellions, au terrorisme et à un déficit démocratique criard.
C’est en effet en guerroyant, avec l’aide des services de renseignement français et le soutien de la Libye et du Soudan, que Idriss Déby Itno arrive au pouvoir à N’Djaména, le 1er décembre 1990, chassant Hissène Habré de la présidence.
Pourtant, huit années plus tôt, il agit de concert avec le même Hissène Habré, alors en rébellion contre Goukouni Weddeye. Grâce à son action, Hissène Habré prend donc le pouvoir à N’Djaména le 7 juin 1982. Les deux hommes collaborent, avant que leurs relations ne se détériorent. Idriss Déby, qui récupère ainsi le pouvoir de la même façon qu’il avait aidé Hissène Habré à s’en emparer, se maintiendra à la tête de l’État tchadien plus de trente années, entre revirements et manipulations.
Porté à la présidence du Conseil d’État dès le 4 décembre, avant d’être désigné président de la République, il promet la tenue d’une conférence nationale, pose les bases d’une réforme institutionnelle et travaille à l’ouverture démocratique du pays. Promu général de corps d’armée en 1995, et après son élection en 1996 pour un premier quinquennat à la tête du Tchad, il enchaîne les mandats présidentiels, fait modifier la Constitution, et s’éternise au pouvoir… jusqu’à l’élection du 11 avril 2021, à l’issue de laquelle il est déclaré vainqueur dès le premier tour avec 79,32% des suffrages exprimés.
Auréolé toutefois du titre de meilleure cartouche africaine dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Sahel pour laquelle il a beaucoup donné, Idriss Déby Itno était aussi un homme au franc parler déroutant. « Nous nous réunissons souvent, nous parlons toujours trop, nous écrivons beaucoup, mais nous n’agissons pas assez et, parfois, pas du tout ! Nous n’anticipons pas assez, nous attendons tout de l’extérieur », avait-il ainsi martelé, alors qu’il venait d’être porté, le 30 janvier 2016, à la tête de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine, pour critiquer l’immobilisme de l’institution panafricaine.
Vaincre la fatalité
Déclaré élu pour un sixième mandat qu’il n’aura même temps de valider par une investiture, c’est en combattant les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact), qui lancé une offensive contre le pays depuis le 11 avril 2021, qu’il s’éteint le 20 avril 2021. Et contrairement à la voie républicaine de dévolution du pouvoir, son fils, Mahamat Idriss Déby Itno, monte au créneau à la tête d’un cortège de généraux, pour diriger le pays, installant une période de transition.
L’élection du 6 mai 2024 a donc pour essence première de corriger le virage de 2021 et de lustrer quelque peu l’héritage mitigé du « Maréchal du Tchad ». Elle doit surtout rendre justice aux dérives du régime et aux distorsions qui ont caractérisé la fameuse élection du 11 avril 2021. Car si on reprochait déjà à Déby père sa gestion clanique du pouvoir et le musellement constant des voix discordantes, l’opposition tchadienne et plusieurs Organisations de la société civile en Afrique et ailleurs avaient qualifié la précédente consultation électorale d’« inacceptable ».
De nombreuses exactions avaient ainsi été commises, plusieurs candidats de l’opposition s’étaient retirés de la course, prônant le boycott, dans un climat de terreur. Les conditions sont-elles réunies aujourd’hui pour que le Tchad réussisse à vaincre la fatalité au lendemain du crucial scrutin du 6 mai prochain, au moment où certains sortent les trompettes de l’abstention ?