L’annonce du recours en annulation de la décision fixant les conditions et modalités applicables aux offres permanentes et promotionnelles des opérateurs de téléphonie mobile au Burkina Faso a fait réagir Adama Bayala. Il est le porte-parole de la plateforme des associations de défense des droits de l’homme. Dans une interview à libreinfo.net, il dénonce l’incapacité de l’État à protéger ses citoyens contre les abus des opérateurs de téléphonie mobile au Burkina.
Propos recueillis par Issoufou Ouédraogo
Libre info : Qu’est-ce que votre structure reproche aux opérateurs de téléphonie mobile ?
Adama Bayala : Nous avons des griefs qui fondent nos frustrations. Ainsi, nous reprochons aux opérateurs de téléphonie mobile d’offrir des services excessivement chers.
La minute coûte 90 F. CFA au Burkina Faso, la data est de 2000 F. CFA, prix ordinaire, pendant que ce temps au Ghana voisin, le prix est à moins de 500 F. CFA voire 400 F CFA, selon l’évolution de la monnaie ghanéenne sur le marché international.
En Côte d’Ivoire, pays francophone voisin avec lequel nous partageons les mêmes réalités, le giga est au prix ordinaire de 1000 F. CFA et ce prix est augmenté par tranche de 70 minutes d’appel gratuit et d’un paquet de SMS gratuits.
Ce qui n’est pas le cas au Burkina Faso. La frustration des consommateurs de chez nous, c’est que vous avez des bonus en nombre important au moment où en Côte d’Ivoire, vous pouvez appeler d’un réseau à un autre avec ce bonus, au Burkina Faso, on ne peut pas le faire. On ne peut pas non plus envoyer de SMS.
Les frustrations des consommateurs relèvent du fait qu’il y a des personnes qui ont des bonus d’un million F. CFA, à Telecel par exemple, mais cela ne leur sert à rien.
Les frustrations des consommateurs relèvent du fait que l’autorité de régulation aussi est en phase avec les opérateurs de téléphonie mobile. L’autorité de régulation fait des reproches aux opérateurs de téléphonie mais rien ne change.
Tenez, une étude a été commanditée 2022 par l’Autorité de régulation de la communication électronique (ARCEP) qui révèle des dysfonctionnements, des écarts au niveau de la qualité de la voix ; un écart au niveau des transferts de données ; des écarts au niveau du débit de la connexion.
Ils ont été, tous les trois opérateurs, mis en demeure de corriger cette situation, malheureusement pas grande chose n’a été fait pour arranger la situation. Ils ont donc été sanctionnés à des amendes pécuniaires.
Dans les sanctions pécuniaires Orange, par exemple, doit verser un peu plus de 850 millions de F. CFA, Moov Africa 1,5 milliard de F. CFA mais jusqu’à présent on peut constater que ces amendes sont minces et insignifiantes au regard des investissements qui auraient dû être faits pour l’amélioration de la qualité des services. Les opérateurs de téléphonie mobile offrent des services de qualité médiocre.
Libre info : Quelles sont les décisions qui ont été prises avec l’ARCEP dans le cadre de la connexion mobile ?
Adama Bayala : Suite à la vague de protestation des associations de défense des droits de l’homme et des acteurs citoyens, l’ARCEP avait pris une décision, en date du 13 juin 2023 qui nous avait laissé un arrière-goût d’inachevé.
On peut déjà retenir que l’ARCEP, au détour de cette décision, nous apprenait que pour la recharge égale ou supérieure à un giga, le consommateur pouvait utiliser sa souscription au moins durant un mois parce qu’aujourd’hui, il y a des délais qui font deux jours ou trois, une semaine et voire même le mois pour épuiser le volume de datas et de mégas.
On sait qu’aujourd’hui que les bonus sont offerts à l’occasion des offres promotionnelles et qu’il n’existe pas de tarification claire. Et, ce qui est plus grave, il y a une multiplicité d’offres si fait qu’il y a des bonus qui durent trois jours, une semaine et même un an.
Que font les opérateurs de téléphonie mobile ? Ils laissent les bonus qui durent trois jours et ils vont couper les bonus qui durent une semaine ou un mois. Ils les enlève sans que vous n’ayez le temps de les consommer.
L’opérateur avait pris une décision pour qu’on ne nous arrache pas ses bonus totalement et qu’on puisse une fois avoir souscrit à une nouvelle offre, les récupérer de nouveau.
En effet, l’opérateur avait décidé que le bonus nous permette d’aller d’un réseau à un autre et pouvoir envoyer des SMS. Même si l’ARCEP avait dit qu’elle ne pouvait pas agir sur les prix en l’état et que son pouvoir se limitait à la modalité et au cadre de fonctionnement des opérateurs.
L’autorité de régulation avait proposé cette décision et pris un ensemble de mesures qui, malheureusement, sont remises en cause aujourd’hui par les trois opérateurs.
Libre info : Qu’est-ce que votre structure entend mener comme démarche bien que les opérateurs n’aient pas accepté d’appliquer la mesure de l’ARCEP ?
Adama Bayala : Cette décision est le fruit d’un consensus : l’ARCEP a travaillé de concert avec les associations de défense des consommateurs qui ont formulé des propositions ; elle a également travaillé de concert avec le gouvernement, notamment la commission nationale de la consommation et de la concurrence et les opérateurs. Chaque partie a donné sa position.
Je vous donne un exemple : au moment où nous, associations de défense des intérêts des consommateurs, souhaitons que la décision soit appliquée trente jours au plus tard, les opérateurs, eux, avaient souhaité que la décision soit appliquée 180 jours après ; l’ARCEP a décidé de couper la poire en deux et a fixé 90 jours.
Donc, chacune des parties a eu le temps de faire des amendements et des observations sur ce qui allait faire l’objet de la décision de l’ARCEP. Nous sommes étonnés que la remise en cause intervienne moins de 20 jours seulement avant le début de l’application de la mesure. Il y a une mauvaise foi des opérateurs de téléphonie mobile.
Il y a un rétropédalage qui en dit long sur la disponibilité et l’état d’esprit des opérateurs de téléphonie mobile ; encore que l’application de ces décisions ne nécessite aucun investissement, je vous le dis la main sur le cœur, avec force et conviction.
Ne nécessitant rien du tout sauf que, j’ai envie de dire aux opérateurs, qu’ils ont face à eux des consommateurs burkinabè indolents et passifs, des vaches à lait à traire le maximum possible pour se faire de l’argent. Et l’exemple de Sank Business au Burkina est illustratif de cette situation. Qui savait qu’on pouvait faire des dépôts sans payer ?
Libre info : Selon vous, pourquoi les opérateurs de téléphonie mobile ont attendu les derniers moments de la mise en œuvre des décisions de l’ARCEP pour introduire un recours en annulation ?
Adama Bayala : J’ai envie de dire qu’ils ont compris. Ils se sont rendus compte que les consommateurs burkinabè sont laissés à leurs propres comptes. C’est vrai que des organisations des droits de l’homme les défendent, mais le garant de leur bien-être ne joue pas franchement, convenablement son rôle… je veux parler de l’Etat. Les opérateurs de téléphonie mobile ont compris que les consommateurs n’ont pas de protecteurs dignes de ce nom.
Quand on prend la dernière mesure sur la contribution de l’effort de guerre au titre des opérateurs de téléphonie mobile, l’État a décidé de ponctionner 5% sur le montant des consommations mais quand on suit le mécanisme de bout en bout, les opérateurs ont été informés de cette nouvelle dynamique par voie de presse.
Quand les opérateurs ont approché, disent-ils, l’État, ce dernier a dit qu’il fallait appliquer la mesure. Quand ils ont voulu un temps pour paramétrer leur dispositif, il paraît que l’Etat a dit que ça devait être appliqué ici et maintenant.
Il n’y a pas eu un travail de concert pour le paramétrage afin de s’assurer de l’efficacité et de l’efficience du dispositif qui allait permettre le prélèvement des 5%. Donc, les opérateurs constatant qu’ils pouvaient le paramétrer comme ils le veulent, ont profité de cette occasion pour se faire de l’argent.
Et c’est ce qu’ils ont fait les opérateurs… Il y a des services qui ont été facturés deux fois, trois fois alors qu’il était attendu qu’ils ne soient facturés qu’une seule fois. Quand ils voient cela, ils se disent : « on peut tous se permettre ». Si les autorités protégeaient leurs populations, cela ne se passerait pas ainsi. Le consommateur est laissé à lui-même.
Libre info : Que comptez-vous faire maintenant ?
Adama Bayala : Dans ce cas d’espèce, nous ne sommes pas allés de main morte. Votre présence est illustrative. Nous essayons d’utiliser les médias pour déjà alerter la communauté des consommateurs qu’il se passe quelque chose. Et qu’il faut se mobiliser, il faut assurer la veille de sorte que le juge dise le droit, le droit sur la foi des faits, sur la foi de sa propre expérience de consommateur.
Nous avons fait un travail par le truchement des médias pour alerter la communauté nationale. On a également pris des avocats, notamment deux cabinets. Ils vont agir parce qu’ils ont un concept juridique qui préconise une intervention volontaire dans le dossier parce que les opérateurs ont introduit le recours en annulation en estimant que l’ARCEP avait outrepassé ses pouvoirs pour agir dans les prix de détail.
Libre info : Avez-vous d’autres manières de procéder pour montrer votre frustration ?
Adama Bayala : Depuis avril 2023, c’est ce que nous faisons. Nous avons entamé des actions de boycott. Nous sommes à la deuxième campagne de protestation de l’ »Opération vent de salut » qui a consisté, dans un premier temps à mettre les téléphones en mode avion ; aujourd’hui, c’est en mode déconnecté qui consiste à se déconnecter de l’un ou l’autre des réseaux, à commencer par Moov Africa ; il fallait se déconnecter de 7h à 12h.
Le mardi dernier, c’était au tour d’Orange de 7h à 12h. Le mardi prochain, ce sera le tour du dernier réseau Telecel de 7h à 12h. Si rien n’est fait, nous allons explorer d’autres voies de protestation au nombre desquelles il existe des sit-in devant leurs enceintes. Nos mots d’ordre sont suivis, car au fur et à mesure que nous les lançons, nous avons des retours.
Libre info : Quelle sera l’issue de ce bras de fer ?
Adama Bayala : J’ai envie de dire que tant qu’il y aura des consommateurs avertis, informés de leurs droits, nous allons maintenir la lutte jusqu’à obtenir satisfaction dans le sens du respect des droits des consommateurs.