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[Interview]Burkina: «le secteur minier a stagné « il va en vrille », il est dans la tourmente, voire à l’arrêt», Adrien Somda expert en fiscalité minière

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Adrien Somda est un économiste Burkinabè, expert du domaine des mines . Cet expert en fiscalité minière est très imprégné du domaine des mines au Burkina Faso. Il travaille également comme consultant pour plusieurs pays et organismes internationaux sur les questions des mines. Dans cet entretien en ligne qu’il a accordé à Libreinfo.net, monsieur Somda fait le diagnostic du secteur minier dans un contexte de crise au Burkina Faso. Il propose aussi des pistes de réflexion sur l’avenir de ce secteur après le terrorisme.

Libreinfo.net : Comment Adrien Somda apprécie l’évolution du secteur des mines au Burkina?

Adrien Somda : Merci pour cette occasion qui me permet de donner un aperçu sur des questions importantes des mines qui méritent d’être discutées plus souvent afin que certains fantasmes aient des éléments de référence pour une analyse objective du secteur minier.

Je m’interroge : Faut-il parler d’évolution quand depuis sept années, la recherche minière est presque à l’arrêt si non à l’arrêt, en raison de l’impossibilité pour les titulaires de permis de recherche d’aller sur le terrain à cause principalement du contexte sécuritaire dégradé.

Il est important également d’éviter de présenter le secteur minier comme un secteur d’achat revente, de commerce général, en ne considérant souvent que les chiffres en termes de points d’intérêts et de référence pour son analyse.

Pour se faire, plusieurs indicateurs doivent être considérés pour apprécier l’évolution du secteur minier dont les principaux peuvent être : le niveau des investissements dans la recherche minière ; le contexte politique du pays et sa capacité à assurer une jouissance et exercice paisible des droits miniers aux titulaires de titres miniers (permis de recherche et d’exploitation).

La sécurité juridique des investissements réalisés par les sociétés minières ; le degré du permis social d’exploiter (relation avec les communautés et le rôle de chaque acteur et partie prenante à l’exploitation minière) ; le volume des productions, valeurs des substances transformées et/ou exportées ainsi que sa part dans la formation du PIB, la balance du commerce du pays et sa contribution au budget de l’Etat.

Un secteur minier évolue, progresse et est en expansion dès lors que les entreprises minières en exploitation, qui génèrent des flux de revenus financent en grande partie la recherche minière avec une partie de ces revenus.

Or, nous constatons depuis quelques années déjà que : des mines sont en fin de vie, certaines arrêtent l’exploitation avant le terme prévu par l’étude de faisabilité, d’autres ont été vandalisées et d’importants investissements en usines de traitements, machines ont été saccagés ; le flux de capitaux mobilisés pour investir dans la recherche minière a diminué drastiquement, quand vous regardez les statistiques des flux des investissements Directs Etrangers; des demandes de suspension des activités de recherche minière ont été formulées auprès du ministère en charge des mines, en raison d’impossibilité pour les titulaires de permis de recherche de jouir paisiblement du droit de recherche octroyé après paiement de droits et taxes.

En examinant ces quelques éléments cités ci-dessus, qui sont un indicateur, nous pouvons affirmer à partir de ces constats empiriques, que le secteur minier burkinabè a stagné ces deux dernières années, et excusez-moi du terme « il va en vrille », il est dans la tourmente, voire à l’arrêt.

Oui, sans être pessimiste, c’est la réalité, il sera à l’arrêt si les mauvais signaux continuent de s’accumuler comme le dernier communiqué du ministère en charge des mines indiquant que les demandes allant dans le sens de l’allègement, la suspension des obligations qui pèsent sur les titulaires de permis de recherche ne sont plus recevables. (Paiements des taxes superficiaires, droits fixes à acquitter lors du renouvèlement du permis de recherche).

Libreinfo.net : Selon vous, monsieur Adrien Somda, quel est l’apport des mines dans ce contexte d’insécurité au Burkina Faso ?

Adrien Somda : La question sur l’apport des mines peut être envisagée sous trois angles : L’apport en termes de pourvoyeur de ressources budgétaires ; le secteur est pourvoyeur au budget de l’Etat au titre de l’exercice 2020 pour 14,30% en termes de recettes ; soit 374,35 milliards de francs CFA en termes de paiements bruts du secteur extractif, qui ne tiennent pas compte des remboursements de TVA.

Il contribue pour 16,12% dans le PIB, 83,90% au titre des exportations selon le rapport ITIE. Les mises représentent selon les chiffres de l’ITIE 12% du PIB du Burkina et 75% de nos recettes d’exportation. Aujourd’hui, nous constatons que le secteur subit de plein fouet la crise sécuritaire et il faut craindre le déclin du secteur.

Libreinfo.net : L’or est la principale ressource minière exploitée avec 66,85 tonnes en 2021 pensez-vous que nous avons une fiscalité attrayante et rentable pour le Burkina ?

Adrien Somda : L’apport des mines sur le plan sécuritaire et humanitaire, en termes de participation à sécuriser certaines enclaves du territoire, faisant bénéficier aux communautés environnantes de la mine, d’un minimum de sécurité.

Il faut reconnaitre que des efforts financiers importants sont consentis par les sociétés minières pour assurer la sécurité des travailleurs, des installations, des équipements, pour assurer la surveillance et la veille permanente.

Ces efforts financiers constituent une charge, un poste budgétaire important dans les comptes de ces sociétés. Ce contexte n’était pas prévu lorsque ces sociétés élaboraient leurs études de faisabilité, ce qui modifie substantiellement certaines clauses du contrat d’exploitation sur la base duquel le permis d’exploitation a été délivré.

Ensuite, le coût des polices d’assurance de tous ces éléments a explosé, le risque sécuritaire étant très élevé. L’obligation d’utiliser la voie aérienne pour se rendre sur certains sites a offert aux administrations et certaines institutions des moyens de communication pour continuer d’assurer la continuité des services aux populations.
Certainement qu’avec une telle cote de risque élevée, d’autres types d’accompagnement ont été offert aux travailleurs des sociétés minières.

L’apport en termes de contribution au financement du développement des collectivités territoriales à travers le fonds minier de développement local (FMDL), les appuis budgétaires directs aux communes, régions.

Malgré la crise sécuritaire, les entreprises minières en phase de recherche comme en phase d’exploitation continuent de payer les taxes superficiaires, les redevances ou royalties, les droits fixes, dont une partie de chaque taxe alimente le fonds minier de développement local. Ce fonds minier continue de contribuer au financement des investissements dans les collectivités locales.

Certains projets comme l’adduction d’eau de certaines localités que la mine ESSAKANE a contribué à financer et réaliser au bénéfice des populations, s’avèrent dans un contexte d’insécurité où les installations de l’ONEA ont été la cible à plusieurs reprises de sabotage, est d’un apport inestimable.

Les activités de RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise ndlr) réalisées au bénéfice des populations soulagent un peu les populations, quand bien même les attentes de celles-ci sont énormes.

Ce que je dirai sur ce plan, il faut que tous les citoyens aient à l’esprit qu’une mine est d’abord et avant tout une entreprise commerciale, qui doit être rentable et qui rend compte à ceux qui financent l’activité (banques, actionnaires).

Il y a des seuils de charges et de dépenses sociales au bénéfice des populations qu’il ne faut pas dépasser. Même notre code général des impôts, limite ce que l’on appelle souvent les libéralités faites par les entreprises commerciales. L’apport en termes de transfert de savoir-faire, d’amélioration des capacités des acteurs locaux

Le transfert de savoir-faire est certain, en termes de sécurité, en ce que les sociétés minières font appel à des sociétés spécialisées de sécurité qui forment sur place du personnel de sécurité.

Les besoins de services spécialisés ont amené les entreprises locales à faire un effort de formations et d’acquisition de matériels et équipements plus performants pour offrir des services qui se rapprochent des meilleures pratiques aux minières.

Libreinfo.net : Depuis le début de l’année de nouvelles taxes et impôts ont été mises en vigueur sans que l’on parle du domaine des mines. N’y a-t-il pas de niche dans ce secteur ?

Adrien Somda : Lorsque vous parlez des impôts, du code général des impôts, je vous dirais de parcourir toutes les lois sectorielles : code des investissements, code forestier, code des mines , et tous les autres textes.

Aucun de ces textes de loi n’a disposé sur un tel scénario de crise sécuritaire. Prenez les assureurs, aucune compagnie d’assurance, si je ne m’abuse, ne prévoie une police pour couvrir le risque d’attaque djihadiste.

Il faut reconnaitre qu’il y a une contrainte majeure pour les entreprises dans tous les secteurs d’activités. Si l’on ne reconnait pas qu’il y a problème, l’on s’empêche de réfléchir de manière sérieuse et approfondie aux solutions possibles.

Je suis d’accord avec vous que la loi de finances aurait dû aller plus loin, pour reconnaitre les difficultés dans lesquelles les entreprises opérant sur les zones sensibles sont confrontées et engager une réflexion à ce propos.

Cela aurait permis de faire la part des choses entre les entreprises dont les activités sont profondément affectées par la crise et celles qui au contraire saisissent des opportunités crées par la crise et voient leurs activités prospérer (transfert d’argent, équipements de sécurité, communication, électronique, surveillance, drones) ou les nouvelles activités qui naissent pour couvrir les nouveaux besoins spécifiques.

Une approche de compensation des pertes éventuelles subies par un secteur pouvait être envisagée, en modelant la loi de finance !

Votre question soulève également un problème plus profond qui est la gouvernance fiscale d’une manière générale au Burkina Faso et la capacité de nos lois à s’adapter rapidement aux situations nouvelles et aux évolutions du secteur économique.

Cela est d’autant plus important que cette situation est également une source de pertes de recettes. Pour ce qui concerne le secteur minier, il n’y a pas de niches fiscales par ce temps de crise, mais plutôt réfléchir à revoir les dispositions du code minier pour l’adapter à la nouvelle situation.

Les éléments de fiscalité minière sont connus par tout le monde, toutes les parties prenantes. Ce sont ces éléments qui ont servi aux entreprises minières à modéliser leurs projets et à obtenir le permis d’exploitation.

C’est à l’honneur du Burkina Faso et un élément d’attractivité quand tout ce qu’il y a comme impôts, taxes, redevances du secteur extractif d’un pays est connu à l’avance et prévisible.

Il s’agit d’une sécurité pour les porteurs de projets miniers. Les impôts du jour au lendemain ne peuvent pas et ne doivent pas s’ajouter au paquet de droits et taxes qu’une entreprise doit payer. Un autre instrument inclus dans le contrat minier exclut que le gouvernement augmente certains impôts de manière unilatérale.

Les niches fiscales doivent être prises en charge dans un programme de politique fiscale cohérente, sur un plus ou moins long terme et se traduire si besoin dans la loi de finance annuelle.

Mais en termes de niches, je parlerai de réflexion sur le secteur minier, pour gérer les impacts de la crise et préparer l’après crise. Pour cela, il est nécessaire, voire impératif à mon avis de créer une « taxe force », d’impliquer le secteur lui-même à la réflexion afin de formuler des proposions au gouvernement, si nous voulons sauver notre secteur minier. Si non, quand les investisseurs miniers se détournent de votre pays, ils mettent du temps pour y revenir.

Pour ce qui concerne la réflexion, elle ne vise pas d’emblée à dire que les entreprises et spécifiquement les minières ne doivent plus payer plus d’impôts. Il s’agit d’aménager le dispositif législatif en termes de suspension, de contre-partie, de garantie que l’Etat offre aux entreprises qui ont investi sur neuf années que dure la recherche minière et ne peuvent pas aller à la phase d’exploitation de la mine et n’ont aucune garantie que leur droit sera préservé après la période de crise.

En période de crise comme la nôtre, il ne faut pas coûte que coûte chercher des niches fiscales et de prélèvement d’impôts pour faire la guerre. La réflexion doit être ailleurs, pour accompagner les entreprises à créer de la richesse en impliquant tous les secteurs.

Je donne un petit exemple, les entreprises sont en difficulté actuellement, malheureusement nous avons des banques qui ne sont pas suffisamment impliquées pour les accompagner.

La loi de finances devrait peut-être aller dans ce sens et orienter le comportement des agents économiques, bien entendu dans le respect de la règlementation et des directives des institutions communautaires auxquelles nous appartenons (UEMOA, CEDEAO).
Ces mécanismes pourraient aider tous les acteurs et permettre une relance, si non une résilience des entreprises.

Libreinfo.net : Qu’est-ce que vous pensez de la liquidation anticipée de la mine de Perkoa ?

Adrien Somda: Mon avis reste limité par les informations dont je dispose, si non aucun élément d’information sur les raisons qui ont motivé la liquidation anticipée. Dans le secteur minier, chaque évènement et situation nouvelle doit être une occasion de réflexion en relation avec toutes nos lois et le code minier.

La liquidation anticipée de Perkoa est une opportunité que je dirai ratée, parce que nous n’avons pas anticipé sur cette question. Des indices et des indicateurs, des signaux d’alerte s’allumaient, mais apparemment aucun département ministériel n’a anticipé ou fait attention à ces indicateurs.

C’est dommage ! C’est une perte pour le pays, en termes de recettes attendues sur le reste de la période d’exploitation !

Mais une opportunité ratée pour l’Etat de reprendre la main pour s’approprier la mine. Une lecture attentive du code minier, combinée aux dispositions de la convention minière et des autres textes et traités, aurait permis d’exercer un droit de préemption et de trouver la meilleure formule pour que l’Etat continue l’exploitation.

Le Burkina Faso regorge d’une expertise aujourd’hui et une réactivité de l’administration aurait permis d’éviter cette situation.

En l’absence d’informations précises je ne peux que dire ceci en attendant plus d’éléments pour les confronter aux différentes dispositions du code minier et des autres lois.
Ce que je déplore, c’est que toutes les administrations semblent avoir été surprises par cette décision. Cela veut dire que nous devrions avoir une posture de veille et de réactivité sur notre secteur extractif et tout évènement devrait être analysé, porté à la connaissance du gouvernement et une stratégie d’anticipation développée. Nous devrons donc tirer leçon.

Le contentieux également en cours, ne semble pas être objet de suivi et rendu compte à qui de droit. La commission nationale des mines devrait consacrer une session d’urgence à cet évènement majeur, tirer les conséquences et le ministère devrait informer le citoyen que nous sommes. Elle pouvait s’attacher les services d’experts pour cela. Les enjeux sont ci-importants !

Libreinfo.net : De façon globale comment vous appréciez la fiscalité minière au Burkina ?

Adrien Somda: Contrairement à ce qui est dit, la fiscalité applicable au secteur minier au Burkina Faso se rapproche des meilleurs pratiques qui sont admises et recommandées comme politique fiscale à mettre en place pour appréhender les revenus générés par le secteur extractif d’un pays riche en ressources naturelles.

Bien sûr, tout n’est pas parfait et le pays ajuste son système fiscal surtout celui du secteur extractif par l’expérience vécue à travers la gestion quotidienne, la pratique administrative, le traitement des contentieux et des crises comme celle que nous vivons.

Il faudra au sortir de cette crise, réfléchir et adopter des mécanismes fiscaux qui s’adaptent encore mieux à ces genres de crises, la crise sanitaire, sécuritaire, d’une manière générale aux évolutions du secteur minier.

La fiscalité minière est efficace, elle permet d’appréhender au moins 43 à 50% la rente minière. Il reste que des évaluations et des ajustements périodiques doivent être faits pour tenir compte des évolutions des comportements des entreprises face à la loi fiscale, de la science et de la technique fiscale elle-même et des nouvelles activités et professions qui apparaissent dans le secteur.

Libreinfo.net : Sommes-nous compétitifs avec les autres pays africains ?

Adrien Somda: Présentement, le Burkina Faso a perdu son rang de destination privilégiée pour les investisseurs miniers. Si vous observez actuellement, il y a une délocalisation de plus en plus accélérée des minières vers la Côte d’Ivoire. Certains pays voisins également commencent à améliorer leur cadre juridique et l’environnement des affaires pour être compétitifs.

Des institutions de référence ont développé des instruments pour classer les pays. Le Fraser Institute réalise chaque année ce classement des pays du monde, en fonction de l’attractivité de leur secteur minier.

Parmi les critères, il est souvent retenu 15 facteurs qui influencent les décisions des compagnies à investir dans les pays. Au nombre de ces critères, on peut citer les réglementations mises en place par les gouvernements, le système légal, le régime de taxation, les infrastructures, la stabilité politique, les lois concernant le travail. Par exemple, le classement de 2015 qui prenait en compte le potentiel minier, le Maroc était le pays africain le mieux classé (24e mondial) suivi du Burkina-Faso (29e) et du Ghana (31e).

Aujourd’hui, le Burkina Faso a certainement perdu son rang en raison des éléments de contexte dont nous avons discuté plus haut et principalement le risque lié à la sécurité et à la stabilité politique.

Libreinfo.net : Comment les nationaux peuvent contribuer à la maitrise du secteur minier ?

Adrien Somda: La contribution peut être faite à différents niveaux : Au niveau institutionnel et de l’administration publique. Ces acteurs doivent porter toute l’attention au secteur minier et respecter les attributions des départements ministériels dans la gestion des questions y relatives.

Les administrations doivent aborder et traiter la gestion du secteur, l’administration des lois et textes règlementaires, non pas de façon cloisonnée et sectorielle, mais en impliquant tous les acteurs sur la chaine des valeurs du secteur.

Il convient d’éviter la mobilité excessive des acteurs du domaine à leur poste de travail et surtout, éviter les nominations politiques à la tête d’un tel département qui nécessite une vraie connaissance du secteur et des politiques minières.

Une plus grande confiance doit être faite aux nationaux ; l’Etat devrait commencer à penser à des mines gérer par des nationaux ou reprises par lui, qui est aussi actionnaire ;
L’administration devrait supprimer toute forme d’interface entre les entreprises minières et les travailleurs du secteur, à travers les sociétés d’intérim et de placement dans ce secteur.

L’institution de l’actionnariat ouvert aux collectivités locales, aux citoyens, à travers plusieurs formules qui facilitent l’actionnariat populaire.

Au niveau individuel et des citoyens, la contribution à la maitrise du secteur passe par :
L’effort personnel de compréhension des spécificités du secteur extractif par la formation personnelle et en élevant le débat sur le secteur ; le raisonnement qui se base sur l’intérêt national et la culture du respect de l’outil de travail, la culture d’entreprise.

Libreinfo.net : Comment impliquer davantage les banques nationales pour un financement du secteur minier ?

Adrien Somda: Cette question pour un profane comme moi des politiques monétaires me dépasse je dirai. Mais, en tant que profane et de ma petite expérience, j’ai eu à dire une fois à l’occasion d’un panel lors du SAMAO, que la politique minière sur le plan de la fiscalité avait atteint ses limites et que l’approche devrait impliquer les institutions financières et bancaires dans la gestion du secteur extractif pour plusieurs raisons.

Les conséquences néfastes que connait le secteur extractif des pays africains et une partie des difficultés résultent du fait que le secteur est financé en grande partie par les investissements directs étrangers, des capitaux étrangers. Ce qui expose le pays au transfert des bénéfices et autres formes d’abus et d’optimisation fiscale.

Imaginez que la BCEAO prenne le courage et réfléchisse à une politique de gestion du risque pour accompagner le financement du secteur extractif ? Beaucoup de problèmes qui se posent au secteur s’en trouveraient résolus.

C’est pour cela je dis, tant que l’argent va venir de l’extérieur, cet argent ne va jamais financer les activités de transformation sur place des substances, parce que cette formule de financement présente des enjeux financiers énormes pour l’extérieur.

Des textes communautaires ou sectoriels peuvent permettre de réserver un certain pourcentage dans la structure du capital à lever pour financer le développement des projets minier, une obligation de le faire sur les places boursières de l’espace communautaire.

L’espoir est permis de penser que les banques vont s’intéresser au financement de ce secteur, car les banques se nationalisent par la force des choses, des nationaux émergent dans le secteur bancaire ou rachètent des succursales des banques étrangères qui étaient implantées dans nos pays et qui excluaient tout financement des projets miniers, m’autorise à croire que les choses vont changer dans le bon sens.

C’est de bonne guerre pour les pays étrangers. Coris Bank pour ne pas la nommer finance déjà des projets miniers. Ces des choix que le gouvernement doit encourager et suivre de près, afin d’analyser et de montrer à la Banque centrale que ce sont des idées préconçues qui avaient été diffusées savamment pour contraindre les banques à ne point financer les projets miniers.

Les jeunes banquiers nationaux devraient se spécialiser dans la finance du secteur extractif également et des marchés financiers spécifiques au secteur extractif. Enfin, je peux dire que l’idée d’envisager une table ronde des banques (BCEAO, BAD, FMI, BM, Négociation) sur le financement du secteur et l’émergence de miniers nationaux n’est pas saugrenue. Cela suppose un travail préparatoire de qualité sur le plan financier, technique préalable.

Libreinfo.net : Quelle est votre lecture sur les risques qui menacent le principal pourvoyeur de devises de notre économie ?

Adrien Somda: Je dirai que notre économie n’est pas encore totalement dépendante du secteur minier. Mais les crises et les évènements qui surviennent doivent nous inciter à aller vers une diversification de l’économie et des activités industrielles.

Nous devons donc accentuer la réflexion pour trouver les secteurs où une stratégie harmonieusement menée peut permettre de soutenir notre économie. Le secteur coton avec la crise sécuritaire est également en difficulté.

Pour dire vrai, le plus gros risque est que si nous n’arrivons pas à rassurer le plus gros pourvoyeur de devises, qu’il sera possible de revenir ou de continuer de travailler dans l’exploitation et la recherche minière. Dans ce cas, nous mettrons encore du temps à remobiliser les porteurs de projets miniers.

Libreinfo.net: Le secteur minier souffre de clichés en matière de transparence. Quel est votre avis sur le sujet ?

Adrien Somda: Lorsque vous écoutez effectivement certaines réflexions ou débats sur le secteur minier, la passion domine parfois le bon sens. Le Burkina Faso a adhéré depuis 2007 au processus de transparence dans la gestion du secteur minier.

L’Initiative pour la Transparence dans le Secteur Extractif à laquelle adhère le pays et qui est reconnu aujourd’hui comme un pays qui fait des progrès significatifs en matière de transparence permet de dire les clichés ne révèlent pas la réalité.

Le degré élevé de transparence au Burkina Faso dans le secteur extractif est réel. En matière de traçabilité des flux financiers, il n’y a pas de soucis. Mais, il reste certains aspects comme la gestion des titres miniers, les volumes extraits où il y a des progrès à faire.

Libreinfo.net : L’affaire charbon fin est l’un des gros scandales de l’or au Burkina Faso. Comment vous appréciez cette situation ?

Adrien Somda: Des éléments d’information qui sont en ma possession, le premier référentiel dans l’appréciation du droit ou de la régularité de l’autorisation de réexportation du charbon fin réside est de mon point de vue l’étude de faisabilité du projet minier.

Si la méthode et le processus de traitement du minerai qui est prévu dans l’étude de faisabilité initiale prévoyait qu’il y aurait réexportation du charbon, il n’y a pas de problème pour la réexportation.

Mais si le processus décrit dans l’étude de faisabilité sur la base de laquelle le permis d’exploitation a été attribué ne l’a pas prévu, il aurait fallu une base légale préalablement à l’opération.

Si l’entreprise a changé son processus de traitement, le code minier indique qu’il y a modification substantielle des clauses contractuelles et une procédure devrait permettre au ministère en charge des mines de s’assurer que cette méthode permet de garder ou d’améliorer la production ou au contraire peut constituer un élément de pertes pour l’Etat.

Il y a des subtilités dans les opérations minières et il convient d’analyser les enjeux, les implications et la portée de certaines décisions, qui sont a priori sans conséquences pour les profanes, mais peuvent s’avérer catastrophiques pour les intérêts du pays.

C’est ce qui conforte l’idée qu’il y ait pour connaitre de certaines questions minières, une instance indépendante du ministère en charge des mines qui donne un avis préalable à la décision du ministre.

Libreinfo.net : Selon certaines informations, la société aurait entamé des démarches pour un règlement à l’amiable. Notamment un abandon de poursuites pénales contre le versement d’une somme. Est-ce normal selon vous ?

Adrien Somda: Il ne s’agit pas sur cette question d’une procédure de règlement normale ou pas. Si le code minier ainsi que la convention minière disposent que les parties peuvent choisir de régler certaines questions à l’amiable, c’est une disposition légale ou contractuelle, il n’y a pas de soucis en cela, l’Etat devrait s’y conformer s’il en est ainsi. Encore faut-il que cette disposition ne soit pas en porte en faux avec la loi pénale de notre pays.

Mais, le risque également est de créer un précédent qui va tenir l’Etat pour le règlement des contentieux extractifs futurs qui pourraient survenir. C’est pour cela que les décideurs doivent avoir toute la lucidité et comprendre qu’il s’agit d’enjeux nationaux et qu’il faut prendre les décisions dans l’intérêt général du pays.

Libreinfo.net : Vous pensez qu’une affaire pendante en justice comme celle du charbon fin puisse connaître un règlement par transaction ?

Adrien Somda: Il y a plusieurs volets dans cette affaire à mon avis. Il y a les questions purement liées au cadre juridique et technique de l’exploitation minière qu’il faut examiner sur le plan du droit minier en vigueur.

Il y a l’opération douanière qui relève du code douanier en matière de réexportation et de la régularité de la classification selon la nomenclature tarifaire s’il s’agit de charbon ou d’une autre substance.

La douane devra apprécier s’il s’agit d’une fausse déclaration de marchandises. Cette question échappe au ministère en charge des mines.

Même si la mine a changé entre temps de procédés de traitement du minerai, il faut analyser sa régularité, si ce changement a respecté les dispositions du code minier et les pratiques en la matière.

Libreinfo.net : Comment l’Etat peut mieux tirer profit de ses sociétés minières ?

Adrien Somda: Il y a plusieurs volets sur cette question. Il y a encore des poches non maitrisées sur la chaine de valeur du secteur minier. Il manque également certains maillons de la chaine des valeurs.

La question de faire participer les nationaux au financement des projets miniers, ce qui pourrait réduire le montant des intérêts parfois élevés qui rémunèrent les prêts contractés par les entreprises minières pour développer les projets au Burkina Faso.

La capacité de l’Etat à établir des liens entre les projets miniers dès leur conception et les besoins en infrastructures du pays identifiés (projets intégrés, communs avec l’entreprise, et élaborer une planification du développement national qui intègre véritablement le secteur minier). Ce qui nécessite des capacités qui par ailleurs existent, pourvu qu’il y ait une bonne vision, un engagement politique pour l’intérêt général.

L’Etat devrait établir un dialogue franc avec les entreprises minières et les porteurs de projets miniers. Pour cela, déconnecter l’implication de la présidence et des politiques de ce secteur.

Le département ministériel en charge des mines devrait capitaliser tous les projets ou exploitations minières qui ont fermé pour cause d’épuisement du gisement ou pour toute autre raison. Une telle étude pourrait permettre de voir les erreurs commises, les insuffisances et d’envisager des améliorations.

Toutes les mines qui ont fermé n’ont pas encore fait l’objet d’une étude d’évaluation. Il convient d’aller à l’école de ces entreprises dans tous les compartiments de l’activité minière.

Enfin, la question du traitement des résidus des entreprises industrielles semble insuffisamment traitée et peut présenter un intérêt certain. Ce segment d’activité pourrait être mieux règlementé afin d’obliger plus ou moins les entreprises industrielles à céder leurs résidus aux unités semi-mécanisées nationales, leur permettant de s’insérer ainsi dans l’activité minière.

Des exigences seraient imposées à ces nationaux. Ensuite, à titre d’exemple, il n’existe aucune stratégie de transformation de l’or produit par le segment des artisans miniers (orpaillage).

Vous constatez avec moi que les bijoutiers au Burkina Faso sont en grand nombre des sénégalais. Qu’est-ce qui empêche de commencer par créer des écoles de formation en orfèvrerie, bijouterie, qui vont permettre de récupérer l’or produit artisanalement.

Libreinfo.net : Expliquez-nous pourquoi à chaque contrat de société minière, l’Etat prend seulement 10% contre 90% pour l’exploitant ?

Adrien Somda: Les actions attribuées gratuitement à l’Etat lors de la constitution du capital de la société anonyme qui va exploiter le gisement prend la forme d’un véritable impôt, avec l’obligation qui est faite aux entreprises minières de verser à l’Etat les dividendes correspondants à sa participation, dès lors qu’un bénéfice comptable est réalisé.

L’objectif n’est pas d’être actionnaire majoritaire. Les motivations de l’Etat sont de pouvoir être informé des décisions importantes, puis qu’il nomme un administrateur qui le représente au sein du conseil d’administration. L’Etat espère connaitre petit à petit le mode de gestion, de fonctionnement et le milieu du secteur minier. L’Etat partage également le risque avec les associés.

Certains pays vont jusqu’à 15%, mais l’on constate que quand l’Etat prend plus de parts, cela créée la méfiance des autres associés. L’Etat a perdu la confiance des citoyens en raison de sa mauvaise gestion dans le secteur extractif qui a été constaté à une certaine époque. De plus ces parts sont données gratuitement, ce qui constitue pour les entreprises minières un effort de financement supplémentaire.

Il y a également que les institutions internationales ont influencé sur le rôle que doit jouer l’Etat, un Etat régulateur et non un Etat entrepreneur. Mais les expériences et les évolutions récentes remettent en cause ce principe, suite aux dérèglements successifs des marchés, la spéculation.

Enfin, la prise de participation de parts est une pratique dans l’industrie qui est acceptée par toutes les parties.

Libreinfo.net : Enfin est ce qu’aujourd’hui, les nationaux ont les moyens pour véritablement s’engager dans l’exploitation minière ?

Adrien Somda: Je crois que oui et je pense que tous les ministères devraient repenser une stratégie qui puisse les accompagner. Il faut sortir des sentiers battus qui voudraient que les nationaux se contentent du segment des exploitations semi-mécanisées.

Dès lors que des nationaux ont des agréments pour gérer des banques, je reste convaincu que des nationaux peuvent très bien réussir dans l’exploitation minière industrielle. Cela suppose qu’ils se départissent de certaines tares culturelles et de gestion.

L’espoir est permis et même que je suis certain que les acteurs privés ont vite compris qu’avec les mutations en cours dans le monde, les basculements entre les deux blocs, il y a des opportunités à saisir. Celle de pouvoir discuter avec des partenaires qui ne les ont pas au préalable embrigader dans un système savamment tissé.

Les Etats sont encore fébriles, mais le déclic de sortir des schémas classiques et bien dessinés, dont le strict respect est étroitement surveillé d’une manière ou d’une autre est enclenché.

Libreinfo.net : Quelles opportunités peut-on tirer de cette crise sécuritaire pour l’exploitation minière ?

Adrien Somda: La première opportunité est de pouvoir confronter notre législation et règlementation minière à la réalité des crises et sa capacité à s’adapter et évoluer. Bien entendu s’il y a cette capacité et volonté à inventer un cadre juridique qui permet de surmonter les crises.

C’est également une opportunité pour identifier les limites, les insuffisances du cadre juridique, institutionnel et organisationnel.

Une opportunité pour apporter les ajustements nécessaires sur le plan organisationnel, institutionnel, les modalités de gestion des crises, afin de pouvoir prendre en charge efficacement les situations de crises.

Le ralentissement des activités de recherche et d’exploitation est une opportunité pour réfléchir à une stratégie de développement qui mette davantage l’accent sur le secteur minier lui-même en tant qu’élément catalyseur pour amorcer le virage de l’industrialisation.

Les questions telles : Quelle stratégie de relance ou de préparation de l’après crise ? Quelle stratégie et technologie adopter pour une continuité de la recherche minière en temps de crise sécuritaire.

La stratégie à élaborer devrait s’étendre à une cartographie des risques dans le secteur minier et véritablement un organe de veille et de surveillance, ce que j’appelle les réformes organisationnelles au niveau du ministère en charge des mines.

Lire aussi: Burkina Faso : « La production minière baisse de 13% en 2022 à cause de l’insécurité » dit Simon-Pierre Boussim, ministre chargé des mines

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