Il y a déjà 64 ans que l’Afrique indépendante et « mal partie » tente par tous les moyens de repartir ! En ce 1er août où le Bénin inaugure le bal des aoûtiens de l’indépendance en Afrique noire francophone, il serait bon d’opérer enfin une halte pédagogique sur la marche de nos pays. Une belle occasion pour dessiner les plans de cette autre Afrique des valeurs, du travail et de l’intégrité, facteurs de développement et de réelle indépendance…
C’est la même rengaine au mois d’août ! D’une capitale de l’Afrique noire francophone à l’autre, les clairons chantent les indépendances de 1960 qui ont accompagné la montée de nouveaux drapeaux dans le ciel des nations. Deux années après le référendum du 28 septembre 1958 et l’établissement des Républiques de la Communauté française élaborée par le général Charles de Gaulle, plusieurs pays accèdent enfin à la souveraineté nationale et internationale. Du moins sur le papier, avec la solennité de la proclamation émouvante et pleine d’espérance.
Soixante-quatre ans déjà ! Et rien ne semble avoir changé… La Guinée, elle, a fait un choix différent dans les urnes du 28 septembre 1958 et a arraché illico son indépendance, formellement proclamée le 2 octobre de la même année. Avec l’ire de Paris qui lui a fait payer son outrecuidance. Mais la Guinée n’en est pas morte ! Elle n’a pas non plus disparu. Entre difficultés politiques, socioéconomiques et militaires, de Sékou Touré à Mamadi Doumbouya, la Guinée trace son chemin et écrit son histoire.
La Guinée de Sékou Touré a donc snobé, en 1958, la Communauté française, là où les autres pays sous l’aire d’influence de la France ont composé, deux années supplémentaires, avec la métropole. Jusqu’aux « soleils des indépendances » de 1960. Cette année-là en effet, douze pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre ont enfin acquis « la liberté de disposer d’eux-mêmes ».
Ballet incessant…
Tout commence le 1er janvier 1960 avec le Cameroun. Puis ce sera le tour du Sénégal, le 4 avril, et du Togo, le 27 avril. Mais en août, mois de vacances et de pluies dans nos contrées, pas moins de sept pays obtiennent, à la queue leu leu, leur acte de naissance de nations indépendantes. Avec force drapeaux aux couleurs presque semblables mais aux dispositions variées, hymnes nationaux sonores et armoiries évocatrices…
Et c’est le Dahomey (aujourd’hui Bénin) qui ouvre le bal, le 1er août 1960. Dans la capitale, Porto-Novo, le premier président de la toute nouvelle République, Hubert Maga, proclame ainsi l’indépendance de ce pays. Il sera suivi, le 3 août 1960, de Hamani Diori pour la République du Niger, puis de Maurice Yaméogo, le 5 août 1960, pour le compte de la République de Haute-Volta (aujourd’hui Burkina Faso). Félix Houphouët-Boigny fermera, le 7 août 1960 en Côte d’Ivoire, le ban de ces proclamations d’indépendance pour la région Afrique de l’Ouest. Pas tout à fait cependant, puisqu’il a fallu y revenir le 22 septembre 1960 pour la célébration du Mali avec Modibo Kéita.
Entre-temps en effet, l’Afrique du Centre a pris le relais. Dans un rythme soutenu, on a assisté à la proclamation de l’indépendance des Républiques du Tchad (11 août) avec François Tombalbaye et de Centrafrique (13 août) sous l’autorité de David Dacko. Mais aussi du Congo-Brazzaville (15 août) avec l’abbé Fulbert Youlou, et enfin du Gabon (17 août) dirigé par Léon Mba.
Une bien dépendante indépendance !
Il faut peut-être associer à cette mouvance la République démocratique du Congo, colonisée, elle, par le royaume de Belgique, et qui est devenue indépendante le 30 juin 1960. Cela fait donc 64 années que la plupart des pays de l’Afrique noire francophone ont poussé la chansonnette de l’indépendance. Et l’on se demande toujours quand les comportements, programmes et visions sortiront le continent africain, ou du moins ces pays qui partagent le destin commun d’être « colonisés par la France », de ses atermoiements et de sa… dépendante indépendance !
Certes, on ne peut pas nier le fait que d’indicibles progrès ont été accomplis depuis 1960. Mais pour l’essentiel, l’Afrique se retrouve malheureusement dans les trains en retard dans maints domaines sur les chantiers du développement et de l’indépendance réelle. Et là-dessus, il faut arrêter de se gargariser avec l’héritage de l’esclavage, les avatars de la colonisation et le poids de la dette pour justifier le fait qu’aujourd’hui, dans certaines de nos contrées, les habitants manquent encore de tout !
Sans les dédouaner ni occulter leurs permanentes capacités de nuisance, on ne saurait décemment rendre uniquement les autres responsables de nos égarements permanents. Non, le fait que, 64 années après les indépendances, nos capitales ne disposent pas toujours, par exemple, de plateaux techniques de soins accessibles et abordables pour la population ne peut être seulement imputable aux autres. Ni que le paludisme continue de tuer en moyenne un million de personne chaque année ! Ou encore que les lieux décents d’acquisition du savoir manquent cruellement…
C’est dans cet environnement déjà pas reluisant que, dans une sorte d’indifférence quasi-générale, l’insécurité et le terrorisme jettent des millions d’Africains hors de leurs hameaux. Comment les putschs et les charcutages constitutionnels sont-ils redevenus la règle plutôt que d’être une exception pédagogique ? Par quelle alchimie l’Afrique noire francophone est indépendante depuis 64 ans, au moment où nos pays continuent de gérer des guerres et des malversations multiformes, qui portent préjudice à de nombreux projets porteurs ?
Quand aurons-nous enfin les ressorts pour transformer ces « indépendances nominales » en véritables instruments d’affranchissement du joug colonial ? Le temps n’est-il pas venu de mener, avec sincérité, une profonde et fructueuse réflexion prospective sur l’avenir de notre continent ? De quoi remplissons-nous, les uns et les autres, la corbeille de l’Afrique des valeurs, du travail et de l’intégrité, afin de poser courageusement les bases d’un continent majeur, qui sait tirer les leçons de ses faiblesses et les avantages de ses atouts ?
Vite, une autre Afrique !
Pourtant, ce continent ne manque pas d’atouts ! Il regorge même d’énormes richesses humaines, dispose d’une enviable expertise et d’importantes réserves minières et minéralières qui fondent l’espoir et cimentent la conviction qu’une autre Afrique est possible.
Une autre Afrique comme celle du Togolais Sylvanus Olympio qui a voulu se battre pour l’indépendance monétaire de son pays et du continent ! Ou encore celle du Béninois Mathieu Kérékou qui a su nous dire que « la caractéristique fondamentale et la source première de l’arriération de notre pays est la domination étrangère ». Avant d’expliquer par le menu que « l’histoire de cette domination est celle de l’oppression politique, de l’exploitation économique, de l’aliénation culturelle, de l’épanouissement de contradictions inter-régionales et intertribales ».
Voilà un diagnostic vieux de 52 ans qui devrait encore habiter les peuples d’Afrique en ce 1er août où l’on célèbre le 64e anniversaire de l’indépendance de ce pays. Tout comme chacun de nous devrait traduire dans ses actes quotidiens cette autre Afrique de Thomas Isidore Noël Sankara, qui nous a instruit, par l’exemple et au péril de sa vie, que nous devons impérativement… « produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisions » !
Ces messages, on les entend et on s’égosille même à les réciter encore et encore. Mais prend-on seulement la peine de les écouter vraiment ? De les mettre hardiment en pratique ? Sommes-nous prêts à convoquer aujourd’hui, au bal des actions et non pas sur le parquet de l’élégance du verbe, l’Afrique des Daniel Ouezzin Coulibaly et Joseph Ki-Zerbo, de Kwame Nkrumah, de Julius Nyerere et de Nelson Mandela ? Oserions-nous enfin sauter le pas, sortir de nos évidences et de nos zones de confort pour bâtir, main dans la main avec les autres et le cœur vaillant cette autre Afrique libre, prospère et véritablement indépendante ?
Malheureusement, nos héros sont morts et nos hérauts sont fatigués ! Les pères de l’indépendance, les combattants de la libération totale du continent, les leaders fondateurs de notre voie d’espérance dans l’unité et dans l’union ne sont plus. Il ne reste plus que nous, devant le miroir de nos désespoirs et de nos divisions stériles. Il ne reste plus que nous et nos… dépendantes indépendances qui nous donnent encore, 64 ans après la fièvre de 1960, l’illusion de compter dans le concert des nations.