WhatsApp Image 2025-04-29 at 18.42.59
Image d'illustration
Facebook
X
Print
WhatsApp

Il y a maintenant 140 ans que s’est tenue, du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, la fameuse Conférence de Berlin associée au partage de l’Afrique. Occasion rêvée sans doute pour initier, cette année, une « contre-version décoloniale » de ce rendez-vous afin de susciter la réflexion sur l’histoire et les impacts durables de cette douloureuse époque. Occasion aussi pour que l’Afrique s’interroge en toute sincérité sur les nouveaux formats du racisme, de la colonisation et de l’impérialisme qui gouvernent ses rapports avec les autres dans le monde d’aujourd’hui …   

Par Serge Mathias Tomondji

Question à un cauris : qu’ont de commun René Caillié, Louis Faidherbe, Henry Morton Stanley, Louis-Gustave Binger et Pierre Savorgnan de Brazza ? Bien sûr, ils sont tous allés, ainsi que d’autres, à la conquête de l’Afrique et font partie de la famille des explorateurs de notre continent. Ils ont ainsi exploré le continent  africain, chacun pour le compte de son pays, tandis que d’autres, à l’image de Alfred Amédée Dodds ou encore de Hubert Lyautey, ont été de hauts fonctionnaires de l’administration coloniale.

Mais avant tout, « il fallait trouver un terrain d’entente pour éviter tout différend et partager comme un gâteau flan l’Afrique notre Mère-Patrie ». Et pour ce faire, « ils ont pris d’assaut l’Afrique-mère comme des sauterelles et ont pollué sa culture, sa politique et son économie… ». C’est, du moins, ce que nous apprend la belle mais ô combien pédagogique chanson « Balkanisation », de Célestin Gbédjinou de l’Orchestre de la Banque commerciale du Bénin (BCB), qui a décrit, au milieu des années 1970, un pan du calvaire colonial du continent africain.

La mélodie est belle sans doute, qui enseigne que « c’est depuis la Conférence de Berlin qu’a eu lieu le partage de l’Afrique », mais cette chanson constitue aussi un cri de révolte face à un acte odieux dont la finalité était de réduire les Africains à néant… « Comment un fils de l’Afrique pouvait se taire sachant tout ça ? Il s’est soulevé un beau matin pour dire non à l’impérialisme… », clame encore Célestin Gbédjinou dans « Balkanisation ».

Décoloniser la colonisation ?

Cent quarante années se sont écoulées depuis cette fameuse Conférence de Berlin, ouverte le 15 novembre 1884, et l’Afrique est toujours en lutte contre l’impérialisme. Et même contre des impérialismes, divers et ondoyants ! L’impérialisme de tous ceux qui œuvrent à visage découvert ou dans l’ombre, pour qu’elle ne s’assume pas. L’impérialisme des courants d’idées et de pensées qui lui cousent une camisole d’indépendance mais qui la maintiennent dans la servitude. L’impérialisme de ceux qui s’érigent en libérateurs et qui torpillent en arrière-plan les aspirations légitimes des peuples…

Il est donc heureux qu’une rencontre, dénommée « Dekoloniale Berlin Africa », ait pu se tenir à l’occasion du 140e anniversaire de la Conférence de Berlin de 1884-1885, pour appeler « les gouvernements européens à remédier à leur passé colonial et à ses impacts qui perdurent ». Une sorte de … « contre-version décoloniale » pour susciter et alimenter la réflexion sur l’histoire et les impacts durables de la colonisation à laquelle ont pris part une vingtaine d’experts dont des représentants du continent et de la diaspora africaines.

Ainsi, estime notamment Almaz Teffera, chercheuse sur les questions de racisme en Europe à Human Rights Watch, « les gouvernements européens devraient accepter la nécessité d’un processus de réparation centré sur les victimes, en reconnaissant les préjudices et les dommages issus de leurs actions historiques au fil des ans et qui perdurent, et en y remédiant. » Pour elle, la prise en compte de ces injustices historiques, héritages coloniaux européens est « une obligation en vertu du droit international des droits humains ».

Et pourtant …

Malheureusement, cela fait tellement longtemps que l’on parle de ces choses-là — racisme, colonisation, inégalités, impérialisme, injustices criardes — sans que rien de tangible vienne changer la perception et certaines pratiques, habilement converties dans le moule du 2.0 ! Entre la Conférence tenue à Berlin du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 à l’initiative du chancelier allemand Otto von Bismarck pour départager les aires d’influences des forces colonialistes européennes en Afrique, et le théâtre géopolitique actuel, il y a un monde de 140 ans !

Et pourtant, des puissances mondiales continuent de faire leur marché sur le continent noir. Chacun délimite son rayon d’action et consolide sa zone d’influence, à coups d’alliances et de mésalliances entre des sommets au cours desquels chacun vante l’épaisseur de son porte-monnaie. En face de cette machine effroyable à tout partager, rien, bien souvent, que des slogans, des énoncés lumineux vite rangés dans des placards aux oubliettes, et quelques téméraires qui paient le prix de leurs vies pour avoir osé une autre voie.

Morcellement douloureux

Il est vrai qu’historiquement « Berlin » n’a pas consacré le tracé des frontières de l’Afrique telles que nous les connaissons aujourd’hui et que l’Organisation de l’unité africaine, ancêtre de l’Union africaine, a tenu à rendre intangibles lors de sa création, en mai 1963. Il n’y a pas eu, avait d’ailleurs expliqué en 2010, l’historienne Camille Lefèbvre de l’Institut des mondes africains, de « partage de l’Afrique lors de la Conférence de Berlin ». Mais cette Conférence a constitué le point de départ d’« un mécanisme pernicieux d’appropriation des richesses puis des terres ».

 

En conséquence, en organisant « l’équilibre entre les puissances européennes, pour éviter la guerre sur fond de rivalités en Afrique », sans que les Africains n’aient leur mot à dire, « Berlin » a sans aucun doute mis en contradiction des réalités géographiques, ethnolinguistiques, sociologiques et culturelles qui font encore tant de mal à notre beau continent. Un morcellement irrémédiablement douloureux que seules l’union, l’unité et la fraternité sauront guérir… Mais en avons-nous vraiment conscience ?

www.libreinfo.net