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Bénin : « touche pas ma constitution », sinon…

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Après des semaines de débats houleux, l’Assemblée nationale du Bénin a rejeté la proposition de révision constitutionnelle portée par un député de la mouvance présidentielle. Même si les changements suggérés ne portaient pas sur certains fondamentaux comme la limitation des mandats et autres, le vote des parlementaires béninois, aux premières heures du 2 mars dernier, indique, à la lumière des précédentes tentatives, que l’initiative d’une révision de la Constitution dans ce pays est plutôt délicate…  

Par Serge Mathias Tomondji

Une proposition de loi portant révision de la Constitution du Bénin était sur le feu jusqu’à récemment, mais les députés l’ont finalement rejetée dans la nuit du 1er au 2 mars 2024 ! Conviés à une session extraordinaire pour se prononcer sur cette proposition de leur homologue Assan Seibou du Bloc républicain, l’un des deux partis politiques qui soutient l’action du président de la République, Patrice Talon, les parlementaires béninois ont finalement décidé de ne rien changer au texte constitutionnel en vigueur dans leur pays. Verdict final : 71 voix pour, 35 voix contre et deux abstentions, là où il fallait une majorité qualifiée de 82 voix favorables, soit les trois-quarts du parlement qui compte 109 députés, pour valider le texte.

Échec et mat donc pour ce lifting constitutionnel porté par Assan Seibou, qui ambitionnait notamment d’inverser l’ordre des élections au Bénin afin que la consultation du duo président et vice-président passe avant celles des législatives et communales. Pour le porteur de la proposition de loi, l’agencement actuel — qui fait passer les législatives et communales avant la présidentielle — « n’est pas conforme à la nature présidentielle de gouvernance politique, économique et sociale » du Bénin.

Bien entendu, l’initiative du député Assan Séibou a entraîné, plusieurs semaines avant l’examen de la proposition au parlement, une levée de boucliers en règle, de la part de tous ceux qui n’entendaient pas que l’on touche à une virgule de la Constitution. Les débats ont ainsi été vifs et houleux, au point que Patrice Talon lui-même s’est prononcé contre toute révision de la Loi fondamentale.

Deux mandats et c’est tout !

En effet, les voix opposées  à cette modification ont la hantise de la passerelle qui pourrait s’ouvrir pour un éventuel « troisième mandat » de l’actuel chef de l’État, presqu’à la fin de son dernier quinquennat, alors même qu’il a juré sur tous les tons qu’il ne cèderait pas à cette tentation. De plus, Patrice Talon rappelle à l’envi que c’est à son initiative qu’il est désormais gravé dans le texte constitutionnel, depuis la révision qu’il a suscitée en novembre 2019, que « nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats présidentiels » !

De toute évidence, le postulat du chef de l’État béninois ne rassure pas les députés de l’opposition qui redoutent un « coup fourré » avec cette inversion des échéances électorales. D’autant que, estiment certains d’entre eux qui avaient d’ailleurs formulé des recours contre la proposition de loi, des consultations précédentes se sont déroulées dans cet ordre-là.

De plus, argumentent-ils, « la décision dans laquelle la haute juridiction demande à l’Assemblée nationale de modifier le Code électoral pour rétablir l’égalité entre les maires concernant le parrainage des candidats à la présidentielle de 2026 ne demande pas une révision de la Loi fondamentale ».

Il faut souligner en effet que la Cour constitutionnelle du Bénin avait invité l’Assemblée nationale, à travers une décision rendue le 4 janvier 2024, à une modification du code électoral afin notamment de « rétablir l’égalité du pouvoir de parrainer à l’égard de tous les maires (…) » lors des prochaines consultations, et notamment à la faveur des élections générales qui se profilent en 2026.

C’est donc sur cette vague, sur cette nécessaire correction à apporter au code électoral, que surfe la proposition de révision constitutionnelle portée par Assan Séibou, un élu du Bloc républicain, parti du camp présidentiel dont il est le président du groupe parlementaire, qui a initié sa proposition de loi le 26 janvier dernier.

Contexte et opportunité

Pour lui, la décision de la Cour constitutionnelle implique la révision de la Constitution. Mais sa proposition de loi est bloquée dès la première phase de l’examen à l’hémicycle, les députés ayant rejeté la recevabilité du texte qui a pourtant passé la barrière de la commission des lois.

On dirait même que l’Assemblée nationale a voté contre l’intention de cette révision, démontrant une fois de plus que les Béninois sont jaloux de leur Constitution de 1990, résultat d’un consensus suite à la Conférence nationale des forces vives, et restent majoritairement frileux dès lors que l’on parle de toiletter la Loi fondamentale.

Est-ce parce que, ainsi que le constate Simplice Comlan Dato, avocat au Barreau du Bénin, doctorant à l’École doctorale sciences juridique, politique et administrative de l’Université de Parakou, « le cycle constitutionnel du Bénin, de 1959 à 1989 (soit de la veille de l’indépendance à celle du Renouveau démocratique), a été caractérisé par de nombreux Constitutions et textes constitutionnels », notamment « cinq Constitutions et quatre textes constitutionnels » ? En relevant que cette « instabilité certaine » est « due à la recherche constante d’institutions adaptées aux besoins et au niveau de développement économique, social et culturel des Africains », Simplice Dato écrit en 2022, dans la revue Constitution et consolidation de l’État de droit, de la démocratie et des libertés fondamentales en Afrique, que « la Constitution (béninoise) du 11 décembre 1990 sonnera le glas de cette instabilité en fixant des règles claires de dévolution du pouvoir au sein de l’État, avec des ingrédients propres au contexte politique du Renouveau démocratique ».

Cette réalité, ainsi que celle induite par les nombreux coups de bistouri subis par diverses Constitutions sur le continent, notamment pour tordre le cou à la limitation des mandats présidentiels, a fini par ériger la Loi fondamentale du Bénin en une sorte de fétiche intouchable. Pendant ces plus de trois décennies en effet, le Bénin, qui peut s’enorgueillir d’avoir réussi quatre alternances au sommet de l’État, n’a révisé qu’une seule fois sa Constitution, par la loi N°2019-40 du 7 novembre 2019, dans des circonstances où les 83 députés du parlement d’alors émanaient tous de la majorité présidentielle !

Plusieurs tentatives de révision ont donc régulièrement échoué, y compris celle voulue par Patrice Talon pour constitutionnaliser le mandat unique qu’il avait promis pendant la campagne électorale de 2016. On peut dire que l’entrée du parti d’opposition Les démocrates au parlement a permis, avec ses 28 députés — même nombre d’élus que le Bloc républicain —, de jouer pleinement son rôle de minorité de blocage, face à la machine de l’Union progressiste-Le renouveau, qui détient le plus grand nombre de sièges au parlement béninois avec 53 élus.

Cinglant désaveu

Toutefois, on questionne encore la désapprobation de 7 des 81 députés pro-Talon, qui sont venus renforcer le vote d’opposition des 28 députés du groupe parlementaire Les démocrates. Pour ces derniers en effet, même s’il y a actuellement « des erreurs matérielles et techniques à corriger dans la Constitution du Bénin », le moment ne s’y prête pas ! Le moment est tout entier dévoué aux prochaines élections générales et le vote du 2 mars dernier vient conforter l’opposition dans sa dynamique, du moins en ce qui concerne ce chantier de la révision constitutionnelle, puisque la proposition de loi du député Assan Seibou a été jugée irrecevable avant même d’être examinée au fond pour adoption.

En tout état de cause, enfonce l’ancien journaliste Malick Gomina, député du parti Bloc républicain, qui désavoue le président de son groupe parlementaire, porteur de la proposition de loi, « la grande partie de nos compatriotes est inquiète lorsque cette question est abordée et surtout avec ce qui se passe dans les pays de la sous-région. Je ne souhaite pas traîner le goulot de révisionniste et passer le reste de la mandature à démentir l’usine d’intoxication qui sera mise en place au lendemain du présent vote ». 

Le Bénin suit donc son destin constitutionnel et réaffirme sa volonté de demeurer fidèle à l’esprit de la loi N°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République, à jour de sa révision par la loi N°2019-40 du 7 novembre 2019. Jusqu’à quand?

Lire aussi: Sénégal : Le Blues démocratique de Macky Sall 

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