C’était la fête nationale, ou fête de l’unité, le 20 mai 2024 au Cameroun. Une célébration en demi-teinte, placée sous le thème « Armée et Nation : Ensemble pour un Cameroun uni, pacifique et prospère ». Une célébration marquant les 52 ans de l’État unitaire du Cameroun, endeuillée par la mort du maire de la commune de Belo, dans la région du Nord-ouest, et de ses deux adjoints, abattus par des combattants sécessionnistes de l’Ambazonie…
20 mai 1972. Le Cameroun anglophone donne la main au Cameroun francophone dans une belle symphonie de la réunification qui gomme désormais le séparatisme de la colonisation. Aujourd’hui, 52 ans après, le pays est en proie au doute et doit gérer, depuis quelques années des velléités sécessionnistes.
Le Cameroun anglophone ne semble plus se retrouver dans cet État unitaire et clame son « Ambazonité ». Et si l’État central joue sur tous les tableaux — y compris celui de répression — pour colmater les brèches, il n’en demeure pas moins vrai que l’on s’interroge toujours sur l’épilogue que nous réserve cette « crise anglophone » au Cameroun.
Le 20 mai marque donc une date importante pour le Cameroun, celle de la réunification du pays, qui a valeur de fête nationale. Mais cette année, on n’a pas vraiment pas senti de ferveur autour de cet évènement majeur de la vie de la nation, sans doute parce que la révolte qui divise la société camerounaise depuis plusieurs années, cette maudite guerre de l’anglophonie contre la francophonie, a laissé de profonds stigmates.
« Coquille vide »
Il s’agit en effet bien de déchirements qui, au-delà des personnes et des enjeux, se cristallisent autour de l’appartenance du Cameroun à deux aires linguistiques héritées des colonisations anglaise et française. D’ailleurs, pour l’opposant Maurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), l’unité nationale est « une coquille vide » au Cameroun.
« La célébration de la fête nationale d’un pays est la commémoration d’un évènement crucial, voire fondateur de cette nation, autour duquel on veut entretenir une mémoire commune », affirme-t-il. Avant de faire remarquer que cette commémoration n’est qu’une coquille vide si « la mémoire commune est brouillée par un conflit armé qui éloigne une partie de la nation du sentiment de la commune appartenance ».
On est donc loin, écrit encore Maurice Kamto sur le réseau social X, de… « ce moment d’exaltation de l’unité dans la ferveur patriotique, celui d’une trêve dans les joutes politiques pour magnifier le souvenir partagé et une foi commune en l’avenir ». De fait, indique-t-on, plusieurs partis de l’opposition politique ont été exclus des festivités de ce 52e anniversaire de la fête de l’unité.
Une « Afrique en miniature »
Cette posture place en effet le pays bien loin de la bienfaisante trêve politique qui pourrait constituer un levier fédérateur des énergies sociales et politiques. Mais on est aujourd’hui encore plus éloigné de l’euphorie qui a donné naissance, suite au référendum du 20 mai 1972 approuvé par plus de 99 % des voix, à la République unie du Cameroun, mettant ainsi fin au système fédéral entre Cameroun francophone et Cameroun anglophone.
Il faut savoir que ce pays d’Afrique centrale a d’abord été colonisé par l’Allemagne, avant d’être la propriété de la Grande-Bretagne et de la France, après la défaite des Allemands en 1916.
L’administration séparée des deux parties du territoire s’est poursuivi jusqu’en 1961, « date à laquelle les territoires britanniques, connus sous le nom de Cameroun méridional, ont obtenu leur indépendance et rejoint le Cameroun français », indépendant, lui, depuis le 1er janvier 1960.
Après une décennie de fédéralisme, le pays bascule, à partir de 1972, dans un système centralisé à travers une République unitaire. La mosaïque de 250 ethnies construit tant bien que mal le vivre-ensemble dans cette « Afrique en miniature », située en plein cœur du continent et au bord de l’océan Atlantique.
Avec ses vastes plaines, sa forêt dense, une savane arborée et giboyeuse et même un soupçon de désert, le Cameroun, qui se distingue aussi par l’adoption de deux langues officielles, le français et l’anglais, vestiges de la colonisation, affiche bien des singularités qui en soulignent la richesse. Mais c’est sur le fond de l’officialisation de ces deux langues coloniales que le Cameroun, pays de 475 442 km² qui abrite plus de 30 millions d’habitants, se divise.
Le poids des frustrations
Les timides frustrations des Anglophones qui estiment être marginalisés suite à la réunification, se sont multipliées pour éclater en une revendication identitaire et territoriale en 2016. Avocats et enseignants anglophones se mettent en grève à Bamenda et à Buea, les capitales des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, protestant contre la gestion du système de la « common law » et de l’enseignement en anglais par le gouvernement, majoritairement francophone. Ayant hérité de deux systèmes légaux distincts, le Cameroun doit faire coexister, dans le cadre de la réunification, la common law britannique — dont « les règles sont principalement édictées par les tribunaux au fur et à mesure des décisions individuelles » — et le droit civil français.
Face à la montée des mécontentements dans les régions anglophones du pays, « les militaires adoptent une ligne dure et les manifestations deviennent violentes. Les anglophones commencent alors à réclamer plus d’autonomie. Un mouvement séparatiste émerge, exigeant la sécession pure et simple et la création d’un nouvel État », l’Ambazonia (Ambazonie).
Cette vague de mécontentements débouche, le 1er octobre 2017, date de la proclamation, en 1961, de l’indépendance du Cameroun méridional vis-à-vis de la Grande-Bretagne, sur une descente massive de plusieurs dizaines de milliers des deux régions anglophones du pays, pour réclamer, et même proclamer… l’indépendance de l’Ambazonie.
Trouver la bonne tonalité
Depuis, la situation sociopolitique du Cameroun, gérée à coups de répression et de pourparlers infructueux, reste plutôt fébrile. Plusieurs groupes armés séparatistes ont vu le jour accentuant les frictions internes et déstabilisatrices du pays. Tant et si bien que le magique 20 mai de la réunification, fête nationale par excellence, semble se vider de sa précieuse signification.
Au total, 52 ans après sa réunification, le Cameroun a mal à sa nation du fait notamment de la « francisation des Camerounais anglophones », vécue comme une véritable « agression » par cette partie du peuple qui tient à revendiquer et à assumer son « anglophonie ». Il y a donc lieu d’écouter plus franchement ces frustrations qui s’élèvent de toutes parts, vieilles comme les luttes indépendantistes et/ou récemment fouettées par certaines décisions politiques, afin de préserver le vivre-ensemble dans un Cameroun revigoré et solidaire.
Premier ministre depuis le 30 juin 1975 suite à un référendum sur la création de ce poste, avant de devenir le président de la République le 6 novembre 1982, Paul Biya, réélu pour la sixième fois à la tête du Cameroun le 7 octobre 2018, doit impérativement trouver la bonne tonalité pour sortir de cette crise du séparatisme. Mais le successeur de Ahmadou Ahidjo, premier président de l’État francophone indépendant, doit aussi gérer la crise sociopolitique générée par son long règne de 42 ans et les velléités de l’opposition qui lutte pour réussir enfin l’alternance au pouvoir.
Entre crise indépendantiste, bisbilles sociales et conservatisme politique, la République du Cameroun vient de souffler la 52e bougie de son unité dans la division…