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Le procès Dabo Boukary se poursuit à la chambre criminelle de la cour d’appel siégeant au Tribunal de grande instance Ouaga II. Le 20 septembre 2022, le général Gilbert Diendéré, qui est l’un des principaux accusés dans le dossier, a encore comparu, suivi d’une dizaine de témoins. 

Par Nicolas Bazié

Lorsqu’il a été  appelé à la barre le 20 septembre, Gilbert Diendéré est resté catégorique sur sa position. Il a encore plaidé non coupable dans l’assassinat de Dabo Boukary le 19 mai 1990, rejetant ainsi tout ce qui semble l’accabler dans le dossier. “Serein et très relaxé”, Gilbert Diendéré est même pressé de réagir sur les questions ou les observations faites.

Il dit ne toujours pas se reconnaître dans l’affaire. « Je n’ai pas donné d’ordres, je n’ai pas donné de moyens , je n’ai pas assisté ceux qui ont bastonné les étudiants jusqu’à ce que mort s’en suive au conseil de l’entente le 19 mai 1990», a-t-il déclaré.

Cette mort de Dabo Boukary semble « choquée», le général. « J’ai été écœuré de savoir qu’il y avait des étudiants qui ont été emmenés au conseil de l’entente et qu’il y a même eu des sévices qui ont entraîné la mort d’un d’entre eux », confie l’ancien chef de corps du Centre national d’entraînement commando. 

Si vous n’étiez au courant de rien, pourquoi vouloir cacher le corps de Dabo Boukary? interroge Me Prosper Farama, l’un des avocats de la partie civile.

« Je n’avais pas d’intérêt à cacher le corps de Dabo Boukary. Si c’était le cas, je n’irais pas voir le président du Faso (Blaise Compaoré) pour lui dire ce qui s’était réellement passé, ce que j’ai pu constater au conseil de l’entente», soutient Gilbert Diendéré.

Le général Gilbert Diendéré

Le général poursuit en signifiant qu’il n’est pas venu pour mentir au tribunal. « Je n’ai pas envie de mentir sur un problème aussi grave. Quel que soit ce qui va arriver, je préfère dire la vérité », a-t-il laissé entendre, devant les membres de la Chambre criminelle de la Cour d’appel. 

Des témoins à la barre 

Des témoins ont comparu pour relater ce qui s’est réellement  passé les 16, 19, 20 et 21 mai 1990. Parmi eux, le colonel-major Georges Marie Compaoré, commandant de la compagnie de sécurité présidentielle au moment des faits,  Me Halidou Ouédraogo, actuel président de la CODEL et président  du MBDHP à l’époque, le colonel-major Omer Bationo, commandant de la compagnie d’éclairage et d’appui au moments des faits. 

Comment se fait-il que Gilbert Diendéré n’ait pas sanctionné le lieutenant Gaspard Somé, après l’arrestation des étudiants et le décès de Dabo Boukary ? C’est une question qui n’a cessé de revenir tout au long du procès . Cela était impossible selon Georges Marie Compaoré, un témoin. 

Ancien commandant de la compagnie de la sécurité présidentielle au moment des faits,  Gaspard Somé était sous le commandement de Gilbert Diendéré qui était le chef de corps du CNEC.  Selon lui, le général Diendéré ne pouvait pas sanctionner les militaires Gaspard Somé, Magloire Yougbaré, qui ont procédé à l’arrestation des étudiants en mai 1990, sans l’aval du président du Faso (Blaise Compaoré). 

Radié quelques années plus tard avant d’être réhabilité, Georges Marie Compaoré qui est aujourd’hui conseiller technique au ministère de la sécurité, reconnaît que le lieutenant Gaspard Somé (décédé sur la route de Djibo ) était un cas difficile à gérer.

« Je  n’ai pas suivi ce qui s’est passé ce jour-là, mais cela m’étonnerait que Gaspard Somé ait procédé de lui-même à des arrestations», a confié monsieur Compaoré qui pense que quelqu’un a bien pu donner des ordres à ce soldat. 

L’Etat burkinabè condamné

Le 16 mai 1990, Me Halidou Ouedraogo était président du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP).

« Le 16 mai, des étudiants m’ont approché pour exposer la situation. À l’issue d’une réunion avec ces étudiants, j’ai  appelé Salif Diallo, alors directeur de cabinet du président du Faso. Vers 16h, j’ai  reçu l’appel de Salif qui m’a notifié une réponse favorable du chef de l’Etat. Il m’a aussi fait comprendre que Gilbert Diendéré avait déjà procédé aux libérations des étudiants arrêtés», a-t-il souligné.  

Me Halidou Ouédraogo

Mais les arrestations ont continué  les jours suivants, selon le témoin. « C’est ainsi que Dabo a disparu sans trace . La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a été saisie en 1997. Pendant 8 ans, la commission a travaillé à kigali et l’État burkinabè a été condamné pour enlèvement, séquestration», ajoute Me Halidou Ouédraogo. Malgré tout, à l’époque, à en croire Me Halidou, Dabo Boukary était introuvable. 

Omer Bationo était bien présent

Abel Tougma était un ancien étudiant en première année de Droit à l’université de Ouagadougou en 1990. Recherché par les militaires à cette époque-là, il avait fui les bastonnades pour se réfugier dans son village à Pama dans la région de l’Est. Malgré tout, il a été retrouvé par la gendarmerie et conduit à Ouagadougou.

Il déclare : « J’ai été conduit au conseil de l’entente et remis au lieutenant Omar Traoré. Et Omer Bationo était bien présent (….) C’était en mi-mai 1990». A noter qu’il a été emmené à Koudougou dans la région du Centre-Ouest et « manœuvré copieusement ». 

Alors que les témoins se présentaient à la barre l’un après l’autre, contre toute attente, c’est l’actuel ministre de la sécurité, le colonel-major Omer Bationo qui est appelé à comparaître en tant que témoin dans l’affaire. 

A la barre, le colonel-major Omer Bationo a préféré ne pas faire trop de commentaire. « Sur cette affaire j’ai pas grande chose a dire, je n’étais pas là au moment des faits. Donc je n’ai rien à dire », a indiqué ainsi l’actuel ministre de la sécurité.

Colonel Omer Bationo

 

Les dernières paroles de Dabo Boukary avant de mourir 

Étudiant en licence en 1990 en science économique à l’université de Ouagadougou, Jean Yves Sansan Kambou semble avoir une bonne mémoire pour relater le déroulement des évènements.

« Nous avons été frappés, torturés au conseil de l’entente. Aboubacar Coulibaly ne pouvait plus se lever, il était blessé, il avait envie de déféquer et c’est une boîte de lait que nous avons prise pour l’aider à faire ses besoins. Il était inconscient», fait-t-il remarquer. 

Concernant Dabo Boukary, « il a vomi du sang et du riz. Dans la cellule, il était couché en train d’agoniser les pieds dans l’eau. Ses pieds faisaient du bruit, le garde a demandé  »qui fait ça? » Et Dabo Boukary avant de mourir a prononcé ses dernières phrases en répondant: Pardon je ne le ferai plus», poursuit le témoin Kambou.

L’étudiant Dabo Boukary

Selon le général Gilbert Diendéré, lorsque Dabo Boukary a rendu l’âme dans la nuit du 19 mai 1990, son corps a été transféré à Pô dans le Centre-Sud pour être enterré, sous proposition du lieutenant Gaspard Somé. Cette même nuit, les co-détenus de la victime ont été également envoyés à Pô par les militaires. 

« Vers 1h du matin, j’ai vu un véhicule qui arrivait»

Laurent Paré qui était de garde cette nuit-là, se rappelle très bien de ce qui s’est passé à Pô avec les étudiants Aboubacar Coulibaly , Jean Yves Sansan, et leurs deux autres camarades.

Il explique : « J’étais de garde dans la nuit du 19 mai. Vers 1h du matin, j’ai vu un véhicule qui arrivait, le conducteur a donné le mot de passe , il y avait des étudiants au nombre de quatre dans ce véhicule. J’ai causé avec un étudiant qui m’a dit qu’ils ont été frappés et manoeuvrés au conseil de l’entente, et que l’un d’entre eux est mort. Il m’a dit qu’il s’appelait Dabo Boukary. L’étudiant me demande où sont-ils. Je lui ai dit qu’ils étaient à Pô . Ils ont crié. Je leur ai dit de rester tranquille ». 

Le militaire à la retraite enchaîne et soutient qu’il n’a pas vu un corps qui est venu au camp pour être enterré.

Après un mois de «calvaire» passé à Pô, révèle  Jean Yves Kambou, « nous avons été ramenés à Ouagadougou Aboubacar et moi. Gilbert Diendéré nous a dit que nous sommes libres à condition qu’on la ferme (se taire sur ce qui s’est passé )  et que le Burkina soit petit , donc il pourrait nous retrouver». 

« j’ai reçu une gifle…»

D’autres étudiants arrêtés les 20 et 21 mai 1990 ont « frôlé la mort» dans leur cellules. Il s’agit notamment de Seni Kouanda. Quand les militaires l’ont conduit au conseil de l’entente, ils l’ont intimé l’ordre de se déshabiller, selon ses dires.

« J’ai voulu m’asseoir sur un lit qui se trouvait dans la salle où on était gardé et j’ai reçu une gifle. Je croyais que c’était avec une barre de fer qu’on m’a frappé. Le militaire a dit: en plus il ose s’asseoir sur notre lit », raconte le témoin.

Le procès Dabo Boukary se poursuit le mercredi 21 septembre 2022, au Tribunal de grande instance Ouaga II. 

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