Le marché à bétail de Fada N’Gourma est l’un des marchés qui approvisionne la sous-région de l’Afrique de l’Ouest en bétail. Construit en 2006, ce marché était le lieu où les acteurs, impliqués dans le commerce du bétail, convergeaient chaque dimanche. Commerçants, intermédiaires, transporteurs, et même certaines institutions financières, en avaient fait leur centre d’affaires.
Par Coulidiati Soanguipali, correspondant Fada N’Gourma
Depuis 2018, cette partie Est du Burkina est frappée par le terrorisme avec pour corollaires pertes en vies humaines et destruction d’infrastructures publiques. Le secteur de l’économie et le sous-secteur de l’élevage sont touchés de plein fouet par cette insécurité.
Les populations, qui vivent principalement de l’élevage, ont été contraintes de se déplacer vers les zones plus sûres, qui sont, pour la plupart, des milieux urbains pas du tout favorables à l’élevage extensif au même titre que le milieu rural.
Contraints de fuir leurs villages et les zones de pâturage, les éleveurs qui arrivent en ville sont généralement obligés de vendre à vil prix une partie de leur bétail pour survivre. Ceux qui refusent de fuir et restent dans leur village, sont victimes de vol de leur bétail par des individus armés non identifiés.
Cette situation a perturbé fortement le marché de bétail dans le Gourma. Le cheptel diminue et les exportateurs ont de plus en plus de difficultés pour circuler dans la zone. Cette situation affecte fortement l’économie de la région et les revenus des acteurs du secteur.
C’est le cas de M. Mathieu Kima, élève de la classe de première de lycée. Il profite de ses temps libres chaque dimanche pour assister son tuteur qui exerce comme intermédiaire entre les vendeurs et les acheteurs. M. Kima est rémunéré en fonction du nombre de bœufs vendus ou achetés par jour de marché.
Mais, depuis l’avènement de la crise sécuritaire, ses revenus ont considérablement diminué affectant ainsi son train de vie en termes d’habillement et d’alimentation pendant les heures de récréation.
L’insécurité et le mauvais état des routes font augmenter les prix de la viande
Au marché de bétail de Fada N’Gourma, nous avons rencontré M. Idrissa Tiemtore. Il dit être coursier et exercer ce métier depuis plusieurs années : « Mon métier est en régression car le nombre d’ânes que j’aidais à vendre chaque dimanche a diminué. Les importateurs de ces animaux sont de nationalité nigérienne. Un seul importateur pouvait acheter sur pieds plus de cinquante ânes du Niger, au marché de Fada N’Gourma. Ces importateurs ont été arrêtés à plusieurs reprises par les hommes armés non identifiés ou des forces de défense et de sécurité sur la route Fada-Kantchari. »
Ces difficultés dans leur commerce les ont découragés et ils ont décidé d’arrêter l’exportation d’ânes vers le Burkina Faso, et précisément au marché à bétail de Fada N’Gourma.
Le responsable des coursiers et de la vente des reçus d’identification des bêtes se nomme M. Dramane Togui-Yeni. Il s’est entretenu avec nous, au milieu d’une dizaine de bêtes achetés et prêtes à être chargés dans des camions et convoyés à Ouagadougou ou Pouytenga.
«L’insécurité a eu un fort impact sur le métier que j’exerce depuis 2016. Avant, je pouvais vendre plus de trente reçus à chaque marché à bétail. Cette quantité a baissé et je ne peux vendre plus de dix reçus, comme ce jour » déplore M. Togui-Yeni.
Selon lui, le bétail qui devait provenir du Togo pour être vendu dans ce marché y est bloqué parce que plusieurs transhumants qui y étaient avec leurs bêtes ont été assimilés à des terroristes par les forces armées togolaises. Beaucoup d’entre eux ont été obligés d’abandonner leur bétail.
Ce bétail est estimé à environ 8100 têtes de bœufs. Cette situation a pour conséquence le manque du bétail au marché de Fada N’Gourma. En plus de cette difficulté, beaucoup de personnes ont été obligées de fuir des localités en y abandonnant leurs animaux. Cela a participé au tarissement du marché en bétail.
Ce marché à bétail se meurt aussi parce que les voies d’accès sont en mauvais état. Plusieurs commerçants de bétail, qui venaient de l’intérieur du pays et même de l’extérieur, ont décidé d’arrêter de venir à cause du mauvais état de la route.
Selon M. Aboubacar Thiombiano, responsable de l’association des exportateurs de bétail de Fada N’Gourma, chaque dimanche, auparavant, une trentaine voire une quarantaine de camions remplis de bétail pouvaient quitter le marché de Fada N’Gourma à destination d’un pays voisin. Mais le phénomène du terrorisme ajouté à l’état piteux des routes concourt à la fermeture éventuelle dudit marché.
La mairie perd des recettes
M. Birba Koudregema est le responsable de la gestion du marché à bétail à la mairie de Fada N’Gourma. Hors de son bureau dans l’enceinte de la mairie de Fada N’Gourma, l’agent municipal dispose d’un second bureau dans les locaux du marché à bétail. Il y officie chaque jour de marché. C’est un homme très occupé au regard du nombre de personnes qui attendaient lors de notre passage dans son bureau.
Ce gestionnaire du marché à bétail nous a conduit auprès des différentes structures qui s’occupent de la gestion du marché à bétail.
Pour M. Koudregema, le marché à bétail fonctionne tant bien que mal eu égard du contexte d’insécurité qui prévaut dans la région de l’Est.
En effet, dit-il, le nombre de têtes vendues au deuxième trimestre de l’année 2015 était de 15286 soit une recette de 13 432 400 F CFA ; celui de la même période de l’année 2022 est de 9136 têtes soit 9 214 400 F CFA. Selon lui, plusieurs facteurs expliquent la baisse du nombre de bêtes vendues par marché à bétail.
Le secteur de la boucherie menacé
Le métier de boucher est également touché par la crise. Les animaux étaient, avant la crise, achetés dans les campagnes, dans les marchés des villages à un coût moindre. Depuis quelques années, les marchés villageois ont cessé de se tenir les uns après les autres et à s’animer à cause des irruptions qu’y font les hommes armés non identifiés.
Les bouchers évitent de courir le risque d’aller dans ces villages pour chercher le bétail. Les animaux qu’ils partent acheter malgré les risques sont transportés à un coût élevé par les propriétaires de tricycles qui ont également augmenté les frais de transport à cause des risques encourus.
«Le terrorisme a un impact négatif sur notre travail. Avant, je pouvais abattre un bœuf de 600 000 F CFA et le vendre entièrement avant 12 h. Je fournissais aussi de la viande à Tanwalbougou et à Nadiagou. Tout cela est fini aujourd’hui. » nous a raconté M. Talardjoa Tandamba, un boucher affirmant exercer depuis 47 ans dans le marché de Fada N’Gourma.
Avec ses quatre employés, il dit ne plus faire de bonnes affaires. Si chaque collaborateur, en fonction de son âge pouvait repartir après le marché avec au moins 1000 ou 2000 F CFA comme prise en charge du jour, ce n’est plus le cas aujourd’hui. « C’est la moitié de ces sommes que je leur donne après le service. » a dit M. Tandamba.
L’insécurité a entrainé l’augmentation du prix du kilogramme de viande dans le marché de Fada N’Gourma. Avant la crise, le kilogramme de viande sans os était vendu à 2000f F CFA La même quantité est actuellement vendue à 3000 F CFA.
«Il n’y a plus de la viande pour 500 F CFA parce que le taureau coûte énormément cher. Celui que je suis en train de vendre ce matin, je l’ai acheté à 85000f. » a affirmé M. Hamadou Yonli un autre boucher que nous avons rencontré en pleine activité au milieu de ses 10 aides-bouchers.
Selon lui, la situation est telle qu’il ne peut arrêter d’exercer ce métier qu’il a appris à pratiquer depuis 45 ans pour un autre. Selon lui, il n’y a plus beaucoup de bénéfices dans la vente de la viande au regard des charges et du coût des animaux. Il explique la raison de l’augmentation du prix de la viande parce que les animaux sont bloqués au Togo et au Ghana du fait du terrorisme.