Après le Bénin qui a décrété le 10 janvier de chaque année « fête des religions endogènes », le Burkina vient d’institutionnaliser une Journée des coutumes et traditions. Une journée fériée, chômée et payée, qui permettra, le 15 mai de chaque année, de rendre hommage à nos ancêtres et de valoriser notre socle culturel et cultuel…
« Qui est l’homme noir ? D’où vient-il ? Qui est son tout premier ancêtre ? Où est-il ? »… Ces interrogations nourrissent le questionnement du chanteur congolais Verckys Kiamuangana Mateta, qui les a mises en mélodie dans sa fameuse chanson « Nakomitunaka » sortie en 1972.
Son pays, le Congo belge, actuelle République démocratique du Congo, amorçait sa zaïrisation sous Mobutu Sese Seko, et ce musicien saxophoniste, premier Africain à posséder une maison de disques, a laissé parler son cœur, léguant ainsi à la postérité des questions cruciales.
Des questions existentielles même, qui font référence à la déconnexion du chanteur de la religion de ses pères. Une chanson controversée, qui a coûté l’excommunication à son auteur — mort le 13 octobre 2022 à Kinshasa — mais qui a été remise au goût du jour depuis 2016, notamment par sa fille, Ancy Kiamuangana.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que « Nakomitumana » (littéralement « Je me demande ») continue de donner à réfléchir, reste d’une prégnante actualité au moment où beaucoup d’Africains s’interrogent sur leurs origines et aspirent à remettre leurs valeurs au cœur de leurs actions…
Vous connaissez sans doute et avez peut-être fredonné, sans en saisir le sens profond, les paroles en lingala de « Nakomitunaka », qui pose en creux la question fondamentale de l’opposition entre nos coutumes et traditions, d’une part, et les religions importées, notamment le christianisme, d’autre part.
Oui, au final : « Pourquoi tant d’injustices et de discriminations envers le nègre au sein de l’Église ? Nous remarquons que les photos de tous les saints montrent des Blancs, tous les anges sont Blancs… Si c’est le diable, la photo représente un Noir… Les colonialistes nous ont ainsi trompés ; les statuettes de nos ancêtres, ils les rejettent… Mon Dieu, je ne cesse de m’interroger… »
Dynamiques actuelles
Ce questionnement est, à l’évidence, au cœur de nombreuses dynamiques aujourd’hui, tant il est vrai que, comme l’insiste le chantre du tercérisme, Laurent Bado, posant sa voix sur une chanson du groupe Sofaa, « la culture est pour toute société humaine un élément de vie, une source de puissance.
Tout peuple qui renie sa culture, ses racines, est condamné à divaguer parmi les ruines sociales du Nord. Il restera un arbrisseau qui survit par ses feuilles, mais jamais un arbre vivant de ses racines ».
Indéniablement, cette problématique gouverne l’institution au Burkina Faso, à partir du 15 mai 2024, d’une journée dédiée au coutumes et aux traditions.
Annoncé le 6 mars dernier au sortir des travaux du Conseil des ministres, l’institution de cette journée entre dans le cadre de la valorisation de nos coutumes et traditions et vient ainsi renforcer l’équité dans le traitement des expressions religieuses.
Il ne s’agit donc pas d’exclusion, de rejet, mais plutôt, au contraire, d’inclusion et de réaffirmation de soi dans un univers multiconfessionnel qui prône et promeut la laïcité de l’État.
Mais il s’agit aussi, indique le communiqué gouvernemental, « d’offrir aux adeptes de la religion traditionnelle un cadre de promotion des valeurs et des pratiques ancestrales », jusque-là bafouées ici, négligées là, et même désavouées là-bas.I
l y a lieu en effet, de relire le Mahatma Gandhi qui enseigne fort à propos que… « la vie sans religion est une vie sans principe, et une vie sans principe est comme un bateau sans gouvernail » !
En décidant ainsi que la religion traditionnelle doit retrouver sa place dans la société burkinabè, le gouvernement burkinabè, qui envisage d’engager rapidement « des échanges avec les personnes ressources que sont les chefs traditionnels pour l’institution de cette journée », le 15 mai de chaque année, fait œuvre utile et corrige une si longue injustice.
Il faudra toutefois que ces concertations soient investis du sceau de la sérénité afin que la gestion de cette journée cadre avec les objectifs qui lui sont assignés.
On le sait, la question de la religion est une question sensible et délicate, qui déclenche parfois des passions.
Fort heureusement, le dialogue interreligieux et la tolérance religieuse se portent plutôt bien au Burkina et il faut que cela continue, avec le concours de tous…
« Connais-tu ton histoire ? »
En tout état de cause, les millions d’adeptes de nos coutumes et traditions ont de quoi être désormais fiers de leurs cultes et pratiques, et pourront davantage cultiver leurs racines culturelles en honorant les mânes de leurs ancêtres le 15 mai de chaque année, mais idéalement tous les jours de l’année.
Cette institutionnalisation répond ainsi parfaitement à la demande récurrente de ceux qui, très nombreux, s’interrogent aujourd’hui, comme Verckys hier, sur le rôle et la place de la culture et des cultes africains dans nos sociétés.
Et qui prônent même un retour à l’authenticité africaine, à nos valeurs culturelles, à nos rites et cultes ancestraux.
À l’image de Mélégué Traoré, le « danseur de Kankalaba » par exemple, qui est resté fidèle à la religion de ses pères. Il dit d’ailleurs ne pas trouver de contradiction avec le christianisme et ne rate pas, autant que ses obligations professionnelles le lui permettent, les grandes cérémonies du « Konon », le fétiche protecteur de son village.
Mélégué Traoré ne rate pas non plus, si son agenda le lui permet, l’annuelle « fête des religions traditionnelles » au Bénin, le 10 janvier de chaque année, journée déclarée chômée, fériée et payée sur toute l’étendue du territoire béninois.
Institutionnalisée dans les années 1990 sur une recommandation de la Conférence nationale, cette journée des religions endogènes rassemble au Bénin, le 10 janvier de chaque année, tous les cultes de divers horizons.
Sur le continent africain, c’est sans doute l’une des meilleures expressions de la valorisation des religions traditionnelles qui se déroule au Bénin, « pays du vaudou » — comme on l’appelle — religion exportée au Brésil, à Haïti et ailleurs par les esclaves.
De toute évidence, il est plus que temps, au Bénin, au Burkina comme ailleurs sur le continent africain, que chacun réponde à l’importante question que nous a posée, il y a déjà plusieurs décennies, le groupe musical Sofaa : « Connais-tu ton histoire, celle que tu as laissée hier soir, dans le dépotoir ? »