Le président du Tribunal de grande instance (TGI) de Banfora, Sidaty Yoda, et ses co-prévenus ont comparu le 17 avril 2025 devant la Chambre correctionnelle du TGI Ouaga I, poursuivis pour « stellionat et blanchiment de capitaux » dans une « affaire d’escroquerie immobilière » estimée à 108 millions de francs CFA. Dès l’appel du dossier, les avocats du principal prévenu ont soulevé une exception de nullité.
L’affaire a fait couler beaucoup de salive. Le président du Tribunal de grande instance (TGI) de Banfora impliqué dans une affaire de vente illégale de parcelles ? Des faits assez graves que le magistrat Sidaty Yoda a rejetés en bloc à l’audience du 17 avril dernier déclarant qu’il ne se reconnaît pas dans cette affaire.
Qu’à cela ne tienne, l’enquête préliminaire a révélé un système frauduleux bien organisé. Selon le parquet, les présumés auteurs repèrent des parcelles non bâties supposées non attribuées dans la ville de Banfora, puis recherchent des acheteurs.
L’exception de nullité
Depuis que l’affaire a éclaboussé en février dernier, beaucoup de pièces ont été produites à cet effet. Ce sont des procès- verbaux dressés soit par le procureur du Faso près le TGI de Banfora, soit par le procureur général près la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso ou les autres officiers de police judiciaire (la police ou la gendarmerie). C’est ainsi qu’à l’audience du 17 avril, les avocats de Sidaty Yoda ont soulevé une exception de nullité portant sur deux fondements.
Premièrement, ces avocats de la défense dont Me Roger Yamba font observer que le procureur du Faso près le TGI de Banfora a dressé son procès-verbal. Et, en plus de lui, le procureur général près la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso a dressé à son tour un autre procès-verbal (PV).
Pour la défense, cette manière de faire est irrégulière en ce sens que le procureur général près la Cour d’appel de Bobo ne peut se substituer au procureur du Faso près le TGI de Banfora pour dresser un procès-verbal dans une affaire qui relève de la compétence du procureur de Banfora.
Pour ce faire, ils demandent au tribunal chargé de juger l’affaire de prononcer la nullité du PV dressé par le procureur général, tout en citant l’article 321-6 du Code de procédure pénale.
Que dit cette disposition ? L’article dispose ce qui suit : « Le tribunal correctionnel peut, le ministère public et les parties entendus, prononcer l’annulation de tout ou partie des actes qu’il estime atteints de nullité (…) Lorsqu’il annule certains actes ou partie d’actes seulement, il doit les écarter expressément des débats ».
Ils reconnaissent néanmoins que le procureur général près la Cour d’appel a la qualité d’officier de police judiciaire comme le prévoit expressément l’article 241-5 du Code de procédure pénale mais, ils maintiennent qu’il ne peut se substituer au procureur du Faso près le TGI de Banfora.
Me Roger Yamba et ses confrères soutiennent que si le Tribunal correctionnel a besoin de plus d’éléments dans le cadre du présent dossier, il suffit de choisir un magistrat dans la composition des membres du Tribunal pour qu’il mène une enquête. C’est ce que dit l’article 321-84 du Code de procédure pénale : « S’il y a lieu de procéder à un supplément d’information, le Tribunal correctionnel commet par jugement un de ses membres…»
A défaut, poursuivent-ils, c’est d’envoyer le dossier au magistrat instructeur c’est-à-dire au juge d’instruction pour qu’il l’instruise.
Deuxièmement, les avocats du prévenu Yoda informent que malgré que le Tribunal correctionnel de Ouagadougou a été saisi, des actes ou, du moins, des pièces additives continuent d’arriver, alors que le procès est en cours. Ce qui, à leur avis, est anormal. En l’espèce, ils demandent au Tribunal d’écarter purement et simplement ces pièces.
Une exception de nullité sans base légale
Les avocats de la partie civile dont Me Mahamadou Sombié ont, à contrario, estimé que le procureur du Faso près le TGI de Banfora ne pouvait prendre des actes contre le président de ce même Tribunal, sans que son supérieur, c’est-à-dire le procureur général, n’ait un mot à dire.
« C’est dans le procès-verbal dressé par le procureur général que le prévenu Sidaty Yoda a, à notre avis, fait des aveux », indique la partie civile qui précise qu’il n’y a pas une disposition légale du Code de procédure pénale qui interdit qu’il y ait des pièces additives pendant un procès. Ils font savoir que s’il arrivait que le Tribunal écarte ces pièces, il peut envoyer l’affaire en instruction.
Pour l’avocat du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC), le procureur général a le droit d’appréhender ce qui se passe réellement avec le dossier. C’est pourquoi il a entendu M. Yoda, fait-il comprendre, arguant que le procès-verbal dressé est régulier et qu’il n’y a pas lieu d’écarter une pièce versée au dossier.
Que ce soit l’Agent judiciaire de l’État ou le procureur, tous semblent ne pas comprendre pourquoi la défense pense que le procureur général ne peut pas dresser un procès verbal à parquet. Dans le cas d’espèce, ils demandent aux avocats de Sidaty Yoda de montrer la disposition du Code de procédure pénale qui interdit au procureur général de dresser un PV à parquet.
« Quand on est à bout d’arguments, on s’agrippe à ce type de raisonnement », souligne-t-il, martelant que c’est dans le cadre du flagrant délit que le procureur du Faso près le TGI a la compétence exclusive pour dresser un procès-verbal.
Cependant, le procureur a trouvé que les actes additifs peuvent être écartés comme l’a relevé la défense, expliquant que le fait que le Tribunal ait déjà été saisi et que le procès est en cours, il n’était plus possible pour les officiers de police judiciaire de dresser des procès-verbaux.
Après ces interventions, le Tribunal a suspendu l’audience pour se prononcer sur l’exception de nullité soulevée. À la reprise, il a décidé par jugement avant dire droit de joindre l’exception au fond du dossier. L’audience reprend le lundi 28 avril 2025.