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Une vue de l'intérieur du Camp de Thiaroye
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Le Sénégal commémore, ce 1er décembre 2024, le 80e anniversaire du massacre de camp de Thiaroye dans un contexte d’affranchissement des discours d’embrigadement d’antan. La France a enfin reconnu qu’il s’agissait bien d’un massacre et non d’une simple et banale répression d’une mutinerie. En replongeant dans cette mémoire vive, l’Afrique doit rendre dignement hommage à ses fils morts pour la colonisation et continuer de se battre pour que les ayants-droits entrent enfin dans leurs droits…. 

Par Serge Mathias Tomondji

Thiaroye, 1er décembre 1944. Des dizaines de tirailleurs africains sont exécutés par l’armée française. Ces soldats, revenus du front de la guerre en Europe, étaient Sénégalais, Maliens, Guinéens, Ivoiriens, Burkinabè… et venaient de combattre pour la France, pour la liberté de la France ! Quelque deux semaines avant ce 1er décembre de l’horreur, plus de 1 600 d’entre eux, anciens prisonniers de guerre des Allemands, avaient été rassemblés dans le camp de Thiaroye, à une trentaine de kilomètres de Dakar, au Sénégal.

Rassemblés et… discriminés, puisque leurs arriérés de soldes, diverses primes et indemnités de combat, ne leur sont pas versés. Et c’est parce qu’ils ont osé réclamer la réparation de cette terrible injustice, le paiement de leurs droits, que les forces coloniales ont ouvert le feu. Un massacre en bonne et due forme, qui aura fait plusieurs dizaines de victimes. Certains historiens évoquent même des centaines de morts, là où les autorités françaises de l’époque n’avaient fait état que d’un bilan de 35 personnes tuées.

Sortir du silence coupable et complice

Et depuis 80 ans, la mémoire de cet épisode dramatique dans les relations congénitalement colonialistes de la France avec ses anciennes métropoles d’Afrique noire reste tronquée, dissimulée, bafouée. Une histoire que le célèbre réalisateur sénégalais Ousmane Sembène a difficilement portée à l’écran en 1988, avec l’appui de son collègue et compatriote Thierno Faty Sow. Le film « Camp de Thiaroye », tourné dans la douleur et poignant à souhait, a pu être projeté dans de rares salles d’art et d’essai en France.

C’est donc avec une vive émotion que le Sénégal, mais aussi l’Afrique, commémore le 80e anniversaire de ce douloureux évènement. Une commémoration qui revêt un cachet spécial en raison du contexte géopolitique et stratégique actuel où les scories de la colonisation sont passées au scanner de l’émancipation et de la souveraineté des peuples à disposer d’eux-mêmes. D’autant que la France continue de faire économie de vérité sur ce drame commun, entretenant un flou inadmissible sur « les circonstances de la tuerie, le nombre de morts ou la localisation des corps ».

Les anciens présidents François Hollande de France et Macky Sall du Sénégal au cimetière de Thiaroye en 2014
Les anciens présidents François Hollande de France et Macky Sall du Sénégal au cimetière de Thiaroye en 2014

Aussi, les nouvelles autorités sénégalaises affichent-elles clairement leur rupture avec le sens et la posture empruntées par les précédentes commémorations de ce 1er décembre de triste mémoire. Cette évocation sort désormais le Sénégal, affirme l’historien Mamadou Diouf, « du silence coupable et complice, fermement imposé par la France aux régimes successifs » du pays.

Et maintenant des excuses officielles ?

Il faut, en effet, bien reformater cet évènement historique, le qualifier à sa juste valeur pour le commémorer avec décence et honnêteté pour la mémoire des braves soldats enrôlés de force pour défendre la France dans la Seconde Guerre mondiale que l’Europe s’est achetée ! C’est pour cela qu’il faut reconnaître avec force, avec Mamadou Diouf, que… « Thiaroye affiche un récit que la France s’est évertuée à dissimuler en entravant toute référence au massacre, dissimulant la vérité sur le nombre de morts, l’identification des tombes, etc. ».

Dans cette optique, et loin des discours autrefois convenus, le président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, écrit sa différence et n’exclut pas d’amener la France à demander officiellement des excuses pour cette ignominie. Car pour lui, « reconnaître qu’on a perpétré un massacre doit évidemment avoir comme incidence de s’amender. Sans être dans la surenchère, nous pensons que de façon naturelle, c’est ce qui doit suivre ».

Certes, on n’en est pas encore là, mais la France s’est finalement résolue à reconnaître, aujourd’hui, le « massacre » qu’elle s’est toujours évertuée à dissimuler.

Dans une lettre à son homologue sénégalais, le président français, Emmanuel Macron, écrit en effet que… « la France se doit de reconnaitre que ce jour-là, la confrontation de militaires et de tirailleurs qui exigeaient que soit versée l’entièreté de leur solde légitime, a déclenché un enchaînement de faits ayant abouti à un massacre ».

Ouf, il aura fallu 80 ans pour cet aveu, sans doute aussi parce que les griefs  contre l’ancienne puissance coloniale se sont multipliés ces derniers temps, dans un rapport généralisé de défiance et de désirs de réelle indépendance.

Vérité, dignité, pécules…

La France perd incontestablement du terrain et son influence sur le continent africain, avec notamment la montée en puissance de nouveaux dirigeants qui semblent bien décidés à s’émanciper de la tutelle, du paternalisme et de la condescendance de l’État français. On le voit bien, entre autres, avec la dénonciation en cascade des Accords de défense et de sécurité…

 L'entrée principale du Camp de Thiaroye
L’entrée principale du Camp de Thiaroye

Emmanuel Macron fait donc sans doute un pas dans la bonne direction en admettant le massacre commis par la France, il y a 80 ans, contre des soldats africains qu’elle a enrôlés elle-même et appelés « tirailleurs sénégalais », dans le Camp de Thiaroye. L’ancien président français François Hollande n’a pas lui aussi hésité à qualifier le drame du 1er décembre 1944 de « massacre », faisant évoluer la classification de « répression sanglante » qu’il avait énoncée en 2014.

En tout état de cause, dira encore Bassirou Diomaye Faye parlant de Thiaroye, « ces braves hommes ont été massacrés alors qu’ils étaient désarmés. Leur seul tort a été de réclamer des pécules, comme ils en avaient le droit, à l’image de leurs frères d’armes français ». Mais le feuilleton n’est pas clos pour autant. « Ils n’ont pas reçu des pécules. Ils ont reçu des balles. Ce n’est pas parce qu’ils ont reçu des balles que ces pécules ne sont plus dus. Ils restent dus, à ces hommes de Thiaroye, comme ils ont été payés à leurs frères d’armes français », martèle le président sénégalais.

Thiaroye reste donc, 80 ans après les évènements, le symbole de la mémoire vive des avatars de la colonisation et les victimes de ce massacre doivent enfin reposer en paix dans la vérité, pendant que leurs ayants droit entrent en possession des … droits qui leur ont coûté la vie !

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