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Afrique : La CEDEAO à la croisée des chemins

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Ça y est, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) opère un virage à 180 degrés au sujet des sanctions qu’elle a imposées au Niger, mais aussi aux pays ayant enregistré un putsch militaire ces dernières années. Réunis en sommet extraordinaire le 24 février dernier, les chefs d’État de l’institution communautaire ont dû se résoudre à infléchir leur position et à prendre des distances vis-à-vis de ses principes sur la démocratie et la bonne gouvernance…

Par Serge Mathias Tomondji

C’est un vaste territoire de plus de cinq millions de kilomètres carrés, qui rassemble les pays de l’Ouest africain.

Portée sur les fonts baptismaux le 28 mai 1975, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est donnée pour vocation première de « promouvoir la coopération et l’intégration avec l’objectif de créer une union économique et monétaire ouest-africaine ».

Chemin faisant, elle a dû ajouter une autre corde à son arc en 1990, en investissant le champ du « maintien de la stabilité régionale avec la création de l’Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (Ecomog), groupe militaire d’intervention qui devient permanent en 1999 ».

Et puis, pour s’inscrire dans la forte demande démocratique de l’époque et encadrer la gestion des processus électoraux, la Cedeao a adopté, le 21 décembre 2001 à Dakar, au Sénégal, le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.

Ce protocole énonce, dès son article 1er, des principes de convergence constitutionnelle communs à tous ses États membres.

Au nom de ces principes, entre autres dispositions, « toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes » et « tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ».

De même, indique un point de l’article 1er de ce protocole, « l’armée est apolitique et soumise à l’autorité politique régulièrement établie ; tout militaire en activité ne peut prétendre à un mandat politique électif ».

Les principes et leur application

C’est justement sur ces principes de convergence constitutionnelle que des désaccords sont apparus entre l’institution communautaire et les États membres.

Il y a d’abord ces chefs d’État qui ont réussi, au détour d’arguties juridico-politiques, à contourner les principes édictées par leurs Lois fondamentales, en décadenassant le verrou de la limitation des mandats présidentiels pour se maintenir au pouvoir.

La fièvre du « troisième mandat », souvent au moyen d’élections tronquées et de victoires préfabriquées des tenants du fauteuils présidentiels dès le premier tour du scrutin — « un coup KO » qu’ils disent — s’est emparée des capitales de l’espace CEDEAO, sans que l’institution ne sévisse fermement.

Et puis des coups d’État, proscrits, se sont invités dans plusieurs palais ces dernières années à un rythme effréné : Mali, le 20 août 2020, puis le 21 mai 2021 ; Guinée, le 5 septembre 2021 ; Burkina Faso, le 24 janvier, puis le 30 septembre 2022 ; Niger, le 26 juillet 2023.

Sans compter que le phénomène touche d’autre parties du continent : Tchad, le 21 avril 2021 ; Soudan, le 25 octobre 2021 ; Gabon, le 30 août 2023…

Frapper fort !

Alors, la CEDEAO voit rouge ! Le renversement, le 26 juillet 2023, de Mohamed Bazoum, « président démocratiquement élu » un peu plus de deux années plus tôt au Niger avec 55,66% des voix constitue la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

D’autant que quelques jours avant ce putsch, le 9 juillet 2023, le fraîchement président élu de la République fédérale du Nigeria, Bola Ahmed Tinubu, est porté à la tête de l’institution communautaire.

Ses premiers mots à Bissau, capitale de la Guinée-Bissau, où s’est tenu le sommet de la Cedeao ce jour-là, furent pour fustiger ce mode d’accession au pouvoir. « Nous ne permettrons pas qu’il y ait coup d’État après coup d’État en Afrique de l’Ouest », avait-il notamment martelé.

Alors il faut frapper fort pour sortir de cette spirale de coups d’État. La CEDEAO adopte donc dans la foulée une impressionnante batterie de sanctions, encore plus drastiques que celles infligées précédemment aux pays dans lesquels on a enregistré un coup d’État.

Seulement, ces sanctions, ponctuées par une menace d’activation de la Force en attente de la CEDEAO pour rétablir l’ordre constitutionnel, ne passent pas. Elles produisent plutôt l’effet contraire, unissent les trois pays du Sahel qui partagent le même drame du terrorisme — contre lequel la Cedeao est restée plutôt inactive ! — et la même réalité sociopolitique de la prise du pouvoir par l’armée, et braquent davantage les populations, atterrées, contre l’institution communautaire.

Après sept mois d’un bras de fer innommable, la CEDEAO vient de jeter l’éponge, en opérant une maîtresse reculade à travers la levée de la quasi-totale des sanctions imposées au Niger, mais également au Mali et à la Guinée.

Le Burkina Faso, qui n’a écopé d’aucune sanction économique depuis les coups d’État des 24 janvier et 30 septembre 2022, en raison sans doute de ses échanges positifs avec la CEDEAO qui ont débouché sur un accord consensuel de gestion de la période de transition, s’est cependant beaucoup plus rapproché du Mali et du Niger avec lesquels il est logé, de même que la Guinée, dans la même case de la suspension des organes de la communauté.

Les trois pays — Burkina, Mali et Niger — ont d’ailleurs décidé, le 28 janvier dernier, de se retirer de l’organisation, après avoir signé, le 16 septembre 2023, la charte du Liptako-Gourma instituant l’Alliance des États du Sahel (AES).

Changement de paradigme

Il ne fait pas de doute que cette nouvelle donne géopolitique a conduit la CEDEAO à infléchir ses positions et à prendre des distances avec ses principes sur la démocratie — d’ailleurs en perte de vitesse sur le continent — et la bonne gouvernance. Mais bien évidemment, les nombreux et récurrents appels à mettre un terme à ces sanctions jugées « impopulaires, inhumaines et disproportionnées » ont également fait mouche.

D’autant que le Général Yakubu Gowon, ancien président de la République fédérale du Nigeria et père fondateur de la CEDEAO, est allé récemment de son plaidoyer.

Il était dès 1972, faut-il le rappeler, avec l’ancien président du Togo, Gnassingbé Eyadéma, père de l’actuel chef de l’État togolais, à l’initiative de la création de cet espace.

Sa voix compte donc encore, y compris celles de nombreuses personnalités, structures associatives et organisations humanitaires qui n’ont eu de cesse de plaider pour ce que l’on peut bien considérer comme un rétropédalage.

Tout compte fait, la cause est entendue pour Bola Ahmed Tinubu, président en exercice de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, qui reconnaît aujourd’hui que « nous devons revoir notre approche quant au retour de l’ordre constitutionnel chez quatre de nos pays membres ». 

La CEDEAO se relèvera-t-elle de cette crise existentielle qui la secoue à une année de son cinquantenaire d’existence ?

S’achemine-t-on vers une Cedeao réduite ou même d’une implosion de cette institution qui semble dépassée par les enjeux et les dynamiques sociopolitiques du moment, en déphasage avec les principes qu’elle s’est donnés et dont l’application est souvent foulée aux pieds ?

Quelle Cedeao pour demain, au moment où elle ne représente plus une balise supranationale de la sauvegarde de la démocratie et de l’État de droit ?

Autant que questions, et bien d’autres, qui méritent d’être posées, et même d’être tranchées, pour mieux cerner les nouveaux paradigmes contradictoires dans lesquels semblent s’inscrire désormais l’institution communautaire et ses États membres, au moment où le Sénégal interroge…

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