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Cinquantenaire du FESPACO: »Il faut repenser le FESPACO, revoir les subventions des productions cinématographiques et offrir des formations diplômantes en cinéma africain »( Dr Boukary Sawadogo )

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Bientôt le Festival panafricain du cinéma  et de la télévision de Ouagadougou  (FESPACO) va célébrer son cinquantenaire dans le premier trimestre de l’année 2019. Ce grand rendez-vous du cinéma africain devrait profiter de son jubilé d’Or, pour se projeter sur l’avenir du cinéma burkinabé,mais aussi africain. En entendant cet événement, des réflexions fusent de partout, et c’est le cas particulièrement du Dr Boukary Sawadogo, enseignant de cinéma à City Collège-University  of New York, aux USA. Après la publication récente de son deuxième ouvrage sur le cinéma africain, il a accordé une interview à Ibreinfo.net. Pour cet universitaire et écrivain, il faut repenser le FESPACO, éviter les subventions des productions cinématographiques et offrir des formations diplômantes  en cinéma africain. Interview réalisée par Smith Sharon à New York.

Libreinfo.net. Bonjour! Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis le Dr. Boukary Sawadogo, professeur de cinéma au département Arts et Communication à City College—University of New York (CUNY) où je suis un membre du corps professoral depuis 2015.

Auparavant, j’ai enseigné dans d’autres universités à Boston et dans l’état du Vermont avant d’être recruté par CUNY ici à New York City. Mes champs de recherche portent principalement sur les cinémas africains, particulièrement les questions d’identité, de genre, de représentation, et de distribution. Les nouvelles orientations de mes recherches concernent les approches théoriques, les rapports entre les cinémas africain et afro-américain, et le développement de ressources pédagogiques pour l’enseignement des cinémas africains.

Vous êtes à votre deuxième publication. Qu’est-ce qui vous a motivé à publier ce livre ?

Mon premier ouvrage, Les cinémas francophones ouest-africains, 1990-2005, a été publié par L’Harmattan en 2013. Mon deuxième ouvrage, African Film Studies : An Introduction (Introduction aux Études Cinématographiques Africaines) est publié en début octobre 2018 par Routledge. Il est actuellement disponible en ligne sur les sites de Amazon, Ebay et FNAC pour vous en procurer une copie. C’est le premier manuel d’enseignement et d’apprentissage des cinémas africains. L’ouvrage comporte sept chapitres, des études de cas, et une liste bibliographique à la fin de chaque chapitre pour permettre au lecteur d’approfondir ses connaissances.

Mon objectif est de fournir aux enseignants et aux étudiants un outil introductif aux productions cinématographiques africaines à travers une étude de l’histoire, de l’esthétique et de la critique. En tant que discipline, le cinéma africain est à la marge non seulement dans le champ des études de cinéma sur le plan mondial, mais aussi sur le continent. Par exemple, vous ne trouverez nulle part en Afrique subsaharienne une formation diplômante en cinéma africain.

Certes, de nouvelles écoles de cinéma sont créées depuis une décennie, mais elles mettent l’accent plutôt sur la production ou la technique de fabrication de l’image. Par exemple, que connaissons-nous de l’histoire ou de l’esthétique du cinéma burkinabé au-delà de titres de films classiques ou de noms de certains réalisateurs ? Alors, il est urgent qu’on s’approprie le discours sur nos images et qu’on les enseigne à partir d’une perspective africaine.

Vous enseignez le cinéma dans une université américaine, dites-nous ce que vous dispensez comme formation.

Personnellement, j’enseigne des modules sur l’histoire et la théorie du cinéma depuis l’invention du medium jusqu’à nos jours, et des cours sur le cinéma africain que j’ai créés pour donner une certaine visibilité aux productions africaines. Tous ces cours s’inscrivent dans les formations diplômantes (BFA et MFA) de mon département à l’endroit des étudiants qui veulent devenir des réalisateurs.

Comment le cinéma africain est perçu dans les pays comme les USA ?

Il y a un intérêt croissant pour le cinéma africain dans le milieu académique aux USA. Cela se traduit par le nombre grandissant de publications sur le cinéma africain et les panels qui lui sont consacrés lors de nombreuses conférences académiques.

En outre, des cinéastes africains sont régulièrement invités dans les universités américaines pour des séances de projection de leurs films qui sont suivies de débat. Le circuit académique est l’un des principaux canaux de diffusion du cinéma africain aux USA. Les festivals et les plateformes en ligne sont les autres moyens de diffusion. Il convient aussi de noter la popularité du cinéma dans la diaspora africaine aux USA.

Cependant, le cinéma africain rencontre toujours d’énormes difficultés pour pénétrer le circuit de ‘mainstream cinema’ à côté des productions hollywoodiennes.

Le FESPACO va célébrer ses 50 ans en 2019, que pensez-vous de ce festival ?

Après un demi-siècle d’existence, le FESPACO a atteint l’âge de la maturité, ce qui est valable pour toute entité ou organisation qui célèbre son jubilée. Ce 50e anniversaire impose une introspection, mais surtout une projection sur les cinquante prochaines années.

Le contexte sociopolitique de la naissance du cinéma africain dans les années 1960 a changé. L’impact du numérique sur la production et la distribution des productions audiovisuelles est indéniable. Il faut repenser la pratique festivalière au-delà de la projection de films pour intégrer des composantes innovantes dans la programmation.

Dans ce cadre, une réforme du FESPACO est impérative si le festival veut rester attractif et compétitif au-delà de son lustre passé. À cet égard, j’ai publié en début avril 2018 un article “Why and How FESPACO Needs to Reform” (Pourquoi et Comment le FESPACO doit être reformé ?) qui propose des pistes concrètes de réforme.

Donnez-nous quelques exemples de pistes.

Premièrement, il faut faire vivre le festival au-delà des 8 jours que durent les festivités. A la fin de chaque édition du festival, on pourrait organiser des ‘travelling series’ de films primés ou sélectionnés pour les projeter dans d’autres pays Africains. Des variantes de cette option peuvent consister à créer une chaîne FESPACO en ligne, ou créer des programmations FESPACO en partenariat avec une chaîne télé.

Deuxièmement, il faudrait reformer l’équipe dirigeante du FESPACO en ajoutant le poste de directeur artistique qui va venir en appui au délégué général pour aider à résorber les problèmes perpétuels d’organisation. C’est un modèle éprouvé : le festival de film Toronto et le Dak’Art en sont de parfaites illustrations.

Troisièmement, il faut revitaliser les liens avec les diasporas noires (Angleterre, Amérique du Nord et les Caraïbes) qui jadis, venaient régulièrement et en nombre important au FESPACO. Le prix Paul Robeson symbolise la reconnaissance et l’intégration de ces diasporas au festival. Elles peuvent constituer un important levier de visibilité de promotion du FESPACO au-delà des pays de l’Europe occidental (France et Belgique) où l’équipe dirigeante du FESPACO mène très souvent ses tournées de lancement ou d’information.

Faut-il que nos états subventionnent les productions cinématographiques ?

Cette question s’inscrit dans une problématique plus large, à savoir la question du modèle économique du cinéma africain. Je traite de cette question plus amplement dans mon troisième ouvrage, « West African Screen Media », qui paraîtra en mai 2019. Les subventions ne sont pas mauvaises en soi, mais faisons attention pour qu’elles ne créent pas une certaine dépendance à un modèle qui est intenable à long terme. Les sources de subvention tarissent vite, et les priorités des bailleurs de fonds changent aussi.

Depuis quelques années, certains pays ouest africains (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Sénégal, etc.) ont mis en place des fonds nationaux pour permettre l’émergence d’industries nationales de cinéma, mais encore faut-il que ces politiques soient cohérentes. Par exemple, je constate une certaine contradiction entre ces initiatives de développement d’industries nationales avec la position de quasi-monopole que certaines entreprises de média étrangères occupent dans le paysage audiovisuel en Afrique, particulièrement en matière de distribution.

Idrissa Ouédraogo est un grand cinéaste burkinabè décédé en 2018. À votre avis, comment peut-on pérenniser les valeurs de ce cinéaste ?

Idrissa Ouédraogo continuera à être parmi nous à travers ses œuvres qu’il faut redécouvrir, et surtout mener une réflexion critique sur leur contribution à la création cinématographique. Personnellement, les films d’Idrissa Ouédraogo font partie du corpus de films africains que j’enseigne régulièrement à mes étudiants américains depuis des années.

Par ailleurs, dans mon nouveau livre, j’ai consacré une étude de cas à la cinématographie de Yaaba en relation avec l’espace et le rythme.

 

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