Les Lobi et les Mossé de Toména qu’un conflit foncier opposait depuis l’année 2018, viennent de faire la paix ce 16 mai 2019. Une situation rendue possible grâce à la parenté à plaisanterie.
Toména est un village de la commune rurale de Iolonioro, localité située à une soixantaine de kilomètres de Diébougou, chef-lieu de la province de la Bougouriba, égion du Sud-ouest du Burkina.
Le conflit foncier dans ce village est né le 16 mai 2018, peu avant le début de la saison d’hivernage. Il opposait Momo Yilo, propriétaire terrien à Toména, à Hamado Ouédraogo, un migrant. Mais tout est parti de Timpa Kambou, un autre propriétaire terrien de la même localité qui attribuerait des parcelles aux nouveaux arrivants dans la zone.
C’est ainsi qu’il attribua la parcelle de Yilo Momo, un Burkinabè et natif de Tomena vivant en Côte d’Ivoire, à Hamado Ouédraogo qui y exploitait de l’anacarde.
De retour du pays du président feu Félix Houphouët Boigny, Yilo Momo constate avec désolation qu’un « étranger » a investi sur ses terres. Que faire ? Momo propose à Hamado, vu son investissement, de scinder sa parcelle en deux, afin qu’il puisse lui aussi y mener des activités agricoles.
Hamado ne l’entendait pas de cette oreille. Selon Laurent Kambou, membre du comité spécial de gestion de la crise, il a systématiquement refusé, parce que dit-il, il avait déjà planté des anacardiers qui produisaient déjà. Hamado Ouédraogo dit pourtant avoir acheté la parcelle.
Le conflit est donc né, et s’est rapidement transformé en crise intercommunautaire où les lobi, l’ethnie majoritaire, ont pris fait et cause pour Momo Yilo. Ils sont venus des autres localités pour l’aider à récupérer ses terres. Entre temps, Timpa Kambou qui serait à l’origine du problème décède. La tension commence à monter.
Les autorités alertées ont rapidement envoyé une équipe des forces de défense et de sécurité (FDS) qui y ont passé quelques jours. Après leur départ et l’intervention des autorités communales et provinciales, le calme est revenu.
Mais les belligérants se regardaient toujours en chiens de faïence. La parcelle à problème restée presque inexploitée, est devenue une zone à hauts risques. Les enfants du propriétaire terrien ont toutefois exploité une partie en semant du maïs. Quelques mois après, le champ a été détruit par un groupe de la communauté moaga.
La crise a alors resurgi. Un affrontement a eu lieu. Il y a eu des blessés. Le fils de Timpa Kambou, Djokèla Congo ayant fait usage de son arme a été arrêté par la police.
Le Conseil municipal et le Haut-commissaire de la province de la Bougouriba ont pris le problème en main, mais difficile de réconcilier les deux parties. Un comité spécial de crise a été d’urgence mis en place par la mairie pour gérer la crise. Son travail n’a pas été concluant et ses membres ont dressé un procès-verbal de non-conciliation.
Le maire de la commune, Alexis Kambou pour désamorcer la crise, a fait recours à la parenté à plaisanterie. Une cérémonie de réconciliation est très vite organisée et le chef coutumier de Diébougou est désigné pour assister les médiateurs locaux.
« Dieu ne descend pas pour faire la paix »
16 mai 2019, une journée fatidique pour les émissaires locaux, mais inoubliable pour la commune de Iolonioro et ses habitants. Cette date restera dans les archives de cette commune rurale. Ce jour-là, comme à l’accoutumée, le chant des coqs indiquait le début de la journée à Iolonioro. L’énorme obscurité cédait progressivement sa place à une lueur d’espoir pour les habitants de Toména, qui étaient bien informés de l’évènement, mais son envergure, ils n’y avaient pas pensé.
Peu avant 10 heures, le véhicule du chef de terre de Diébougou, se rangeait dans la cour de la mairie de Iolonioro. Les deux communautés invitées à la cérémonie de renonciation étaient bien présentes, et réfléchissaient certainement sur comment cette querelle qui a connue l’affrontement des deux communautés en 2018 et dont la mairie a échoué dans la médiation, peut encore être possible.
Le chef de terre de Diébougou avec les deux vieils hommes dont un Goin, parenté à plaisanterie des lobi, et un Samo, parenté à plaisanterie des mossé, sont accueillis par les autorités locales et coutumières de la commune. Très vite, les deux camps sont informés des identités des trois hôtes venus de Diébougou et de la manière dont la cérémonie se déroulera. Une peine énorme se lisait sur les visages des deuc communautés en conflits. Ils sont comme pris dans l’étau. La parenté à plaisanterie est sacrée, et les deux communautés le savent bien. « Dieu ne descend pas pour faire la paix, c’est l’oeuvre des hommes », dit un proverbe lobi.
Après les salutations d’usage, le maire s’est retiré. Les médiateurs locaux se sont installés. Isolement, ils entendent les deux camps, puis collectivement. Les populations, le chef de terre de Iolonioro, la gendarmerie, la police et les membres des différentes associations de la société civile attendent les conclusions. Personne ne veut se faire compter l’évènement. Si c’était à Rome, lors de l’élection du Haut souverain pontife, les regards allaient être tournés vers la cheminée pour voir échapper certainement la fumée blanche.
Après près d’une heure d’entrevue, les émissaires sortent avec les deux parties. Des murmures se font entendre au niveau de la population qui attend. Que se sont-ils dits ? Qu’est-ce qu’ils nous diront ? Ces questions ont certainement traversé l’esprit de beaucoup de citoyens présents.

Les deux communautés en conflit s’accordent à faire la paix, c’est l’essentiel du message livré à la population par les médiateurs après les échanges par le truchement de la parenté á plaisanterie. Un ouf de soulagement pour tous. De façon enchaînée, le Samo et le Goin passent au rituel pour scellé cet accord de paix au nom des ancêtres. Un rituel entiché de sens.
Tour à tour, les deux acteurs de paix ont fait couler chacun une calebasse d’eau, signe que les deux parties en porte-à-faux, s’accordent au nom de la parenté à plaisanterie, et sous les regards des ancêtres et des hommes, à taire leurs différends. Les deux hommes par qui le conflit est né, s’échangent les poignées de mains, sous les ovations de l’assistance.
C’est fini donc les regards d’hostilité, de travers qui allaient de mal en pis entre les deux communautés. Pour rendre cette paix définitive, les acteurs s’engagent à prendre attache avec le procureur sur la possibilité du retrait de la plainte, afin que Djokèla Congo en détention soit libéré. L’évènement à priori, qui s’apparentait à une pièce théâtrale, mais loin de là, est maintenant plein de vie pour la population de Iolonioro en générale qui y assistait.

Un signal fort du vivre ensemble au-delà des intérêts personnels, vient d’être donné au monde. Iolonioro en est parvenu ! Pourquoi pas les autres ? L’acte de Iolonioro doit servir de cas d’école, pour tout le Burkina où les communautés commencent à s’affronter dans certaines localités.
Siébou Kansié
Libreinfo.net