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Déguerpissement à Garghin : 1550 ménages en sursis, « nous dormons la peur au ventre » (habitant)

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Le problème foncier en milieu rural et urbain est récurrent au Burkina Faso. Dans les grandes villes comme Ouagadougou et Bobo Dioulasso, les crises foncières sont de plus en plus vécues avec la multiplication des sociétés immobilières. Au secteur 55 de l’arrondissement 12, quartier Garghin de Ouagadougou, les habitants installés depuis plus de dix ans sont confrontés au problème de déguerpissement. La zone litigieuse appartient à la société immobilière BTM qui menace de les décamper. « A notre installation, nous avons trouvé cinq maisonnettes avec des gardiens délimitant la zone de la société BTM. Nous avons été rassurés par ceux qui nous ont vendu les terrains que la limite de BTM s’arrête au niveau des maisonnettes », raconte Albert Soubeiga, un habitant de la zone litigieuse. Depuis le début de l’année 2019, les marches de protestation se sont multipliées, et le 21 juin 2019, le ministre en charge de l’habitat Maurice Bonanet à travers la lettre no2019-351/MUH/CAB/DGUVT adressée au Maire de l’arrondissement 12 de la commune de Ouagadougou, mettait 500 parcelles à la disposition de 1550 familles recensées ; mettant ainsi en dilemme les habitants de cette zone. Où le ministre veut que les 1050 familles aillent ? se demandent-ils. Les 500 parcelles sont dans la commune de Komsilga, précisément dans le village de Sabtoana. En cette saison d’hivernage, nous y avons fait un tour pour comprendre le vécu de ces habitants, qui, la peur au ventre ne savent plus à quel saint se vouer.

En cette fin de journée de vendredi 5 juillet 2019 qui s’achève sous une fine pluie, le cours de vie semble normal dans la zone non-lotie de Garghin, une zone litigieuse depuis quelques années. Dans les familles, nous constatons des mouvements de sorties et d’entrées des hommes qui reviennent de la ville ou y partent.

De légers nuages de fumées se dégagent des concessions. Il est 17 heures, et les femmes sont dans la cuisine comme on le voit souvent en campagne. Derrière cette normalité apparente de la vie dans ce quartier, se cachent d’énormes soucis des chefs de ménages, qui ne savent ni le jour ni l’heure la société immobilière BTM, propriétaire de la zone, rasera le quartier pour son investissement.

Mais entre incertitude et la vie qui doit continuer à tourner, les habitants choisissent le dernier. À l’entrée du quartier donnant au côté Ouest de la ville, sur la route de Saponé et le Centre hospitalier universitaire de Tengango (ex-hôpital Baise Compaoré), le fond sonore d’une musique des temps anciens du maquis « Ka-la-vie », accueille tout arrivant. Il était 17 heures 15 minutes, et les chaises étaient déjà bien disposées, mais aucun client n’y était.

Derrière cette buvette, se trouve une cour où un sexagénaire, la barbe et les cheveux un peu blancs et légèrement tondus, sortait d’une douche à ciel ouvert. « On peut s’arrêter ici. Le vieux peut bien nous intéresser », ai-je soufflé à mon compagnon. Après cinq minutes d’attente, le vieil homme sort de sa maison dans un pantalon noir coiffé d’un haut marron : une chemise trois poches, peu froissée. L’air inquiet, après les salutations d’usage, nous lui signifions l’objet de notre présence. Pendant ce temps, sa fille qui vient de décrocher son Brevet d’étude du premier cycle (BEPC), s’affairait à terminer la cuisine avant la tombée de la nuit. « Nous n’avons pas l’électricité. Il faut tout finir avant que la nuit ne tombe », nous a-t-elle lancé désintéressement en continuant de remuer quelque chose dans la marmite.

Les enfants, eux, montaient et descendaient d’un mur inachevé en banco. Dans cette famille, Kouliga Kabré, gardien de nuit est le chef de famille. Lui et sa famille résident dans cette zone litigieuse depuis plus de dix ans : « J’habite ici avec mes cinq enfants plus trois autre de mes petits frères depuis 2007. Ce coin ne m’appartient pas. Je l’ai sollicité avec quelqu’un. Dans ce quartier, personne n’est contente. Nous dormons la peur au ventre. Un jour, des gendarmes étaient venus pour nous faire partir. Où ? je ne sais pas. On s’est mobilisé, et ils sont repartis. On nous a dit qu’ils reviendront à tout moment pour nous faire partir. Nous sommes en saison pluvieuse, nous n’avons aucune maison ailleurs. S’ils nous mettent dehors en cette période, où irons-nous ? », se souciait ce vieil homme. Cette menace permanente de déguerpissement donne des insomnies aux habitants. « Nous n’arrivons pas à dormir à cause de ce fait. Nous ressentons actuellement ce qu’une personne bien portante ressent lorsqu’on lui annonce sa mort. Madame le maire a dit qu’on nous a proposé des parcelles, mais nous n’avons aucune information là-dessus. On est habitué au coin mais on doit partir, on nous chasse », poursuit M. Kabré d’une voix presqu’étouffante.

La cour de Kouliga Kabré qu’ il devra abandonner plus tard pour un site incertain

Il est dans une parcelle pas très grande, avec une maison de douze tôles où loge toute sa famille, une dizaine de personnes.

Plus loin, nous avons trouvé Ousmane Nana, assis sur sa moto, une vieille Yamaha V80. Lui, avec sa femme et leur marmot à côté, ils avaient l’air heureux lorsque nous arrivions chez lui. Là-bas, aucune marmite n’était au feu. Il est dans une parcelle qui n’atteint pas celle de M. Kabré. Il y a construit une maisonnette de dix tôles avec un poulailler, une douche et planté un arbre au milieu. « Je suis là depuis 2011, après la mutinerie. J’ai payé ma parcelle à cent mille francs CFA avec un autochtone qui est toujours en vie. On nous a dit de partir parce que nous n’avons pas de papier. On nous propose un site qui serait dans la commune de Komsilga. Mais personnes n’est encore allée là-bas. La gendarmerie était venue encerclée notre quartier et le ministre de l’habitat est venu nous dire de rentrer que le problème sera résolu. On est vraiment blessé de savoir que notre parcelle nous sera retirée. Nous avons aussi peur parce qu’on ne sait pas comment on serait accompagné quand le site sera trouvé. Qu’est-ce que nous allons manger si nous y allons ? », racontait désespérément M. Nana. « Pour avoir plus d’information, allez-y chez le conseiller, c’est à côté », et d’un geste de la main droite, le jeune homme nous indique chez le conseiller municipal du quartier.

À quelques pas, nous arrivons chez le conseiller municipal, où tout semble aller bien. La cour est clôturée avec l’entrée munie d’un portail. Là, nous signalons notre présence en tapant sur le portail et une fille de forte poitrine nous accueille et nous installe dans la cour sur un banc.

Là encore, nous avons bénéficié des mêmes salutations d’usage avant que l’épouse du conseiller nous signale l’absence de son mari. Mais rapidement, le petit frère du conseiller fait appel au délégué du quartier et au président de l’arrondissement 12 qui est lui aussi, habitant de la zone litigieuse. À leur arrivée, El Hadj Hamidou Simporé, délégué du quartier, nous précise qu’il vit dans le quartier depuis 2004. Il fait partie des premiers habitants du quartier après les autochtones qui leur ont vendu le terrain. « Je vis dans cette zone depuis 2004. En ce moment, il n’y avait pas assez de constructions. J’ai payé ma parcelle avec un propriétaire terrien. Les autorités connaissent déjà notre problème. Nous leur demandons humblement d’ouvrir l’œil et le bon car, au regard du contexte national déjà difficile, il n’est pas opportun de créer d’autres problèmes pour en rajouter. Des gens fuient l’insécurité un peu partout à l’intérieur du Burkina. Si les autorités chassent les 1550 personnes que nous sommes, où irons-nous ? », se demande-t-il avant d’appeler à la compréhension et à la compassion des dirigeants.

Le président du Faso doit écouter son peuple, c’est la phrase sur les lèvres des habitants, et El Hadj Simporé n’en fait pas exception : « Nous sommes menacés, ils veulent nous chasser afin de prendre le terrain pour en construire des cités. Nous sommes aussi des fils de ce pays et nous avons droit à notre lopin de terre. On doit nous écouter, écouter le peuple car, c’est à lui qu’appartient le pouvoir. Si le peuple n’est pas, le pouvoir ne peut-être. Nous demandons au président du Faso, d’écouter son peuple et de faire le bien de celui-ci. »

L’homme n’a pas de valeur, quand il est chez lui et il n’a pas de toit

L’échéance électorale de 2020 c’est pour bientôt, et les autorités politiques ne doivent pas utiliser la population comme des « bêtes électorales » : « Je voudrai demander à nos autorités politique de ne pas nous utiliser seulement comme des bêtes électorales et après les élections, faire de nous ce qu’on veut », prévient Albert Soubeiga, habitant de Garghin

Albert Soubeiga, habitant de la zone à habitat spontané de Garghin,président du secteur 55 de l’arrondissement 12 de Ouagadougou

L’élection présidentielle c’est en 2020, et cet habitant exaspéré met en garde les autorités : « En 2020, nous serons quelque chose d’important à leurs yeux. Mais actuellement, pour avoir un toit pour dormir, nous sommes des moins que rien. De grâce, qu’elles nous considèrent comme des humains, comme eux. Qu’ils sachent que l’homme n’a pas de valeur, quand il est chez lui et il n’a pas de toit. Nous sommes chez nous au Burkina Faso, et on nous refuse le droit d’habiter chez nous. Ils veulent qu’on aille où ? Si on ne reconnait pas nos droits ailleurs dans un autre pays, on dira c’est parce qu’on n’est pas chez nous. Mais là, on est chez nous, au Burkina Faso. Sur mille cinq cent cinquante (1550) ménages recensés, on nous donne cinq cent (500) parcelles. Mais où iront les mille cinquante (1050) personnes restantes ? Je lance un appel au Président lui-même parce que c’est lui qui a été élu, qu’il ouvre l’œil. Il connait bien notre problème. Qu’il dise un petit mot pour que tout rentre dans l’ordre », conclut Albert Soubeiga.

Les autorités cherchent à nous cogner les têtes, les unes contre les autres

À l’annonce des 500 parcelles mises à la disposition de ces 1550 familles recensées vivant dans la zone à habitats spontanés de Garghin, les populations se sont mobilisées pour dénoncer ce qu’elles appellent « la solution des autorités » qui selon elles, leur créerait plus de problèmes : « Nous avons l’impression que les autorités ne veulent pas résoudre notre problème. Elles cherchent plutôt à nous cogner les têtes, les unes contre les autres », lisons-nous dans la déclaration liminaire de la conférence de presse du 12 juillet 2019, des résidents de ladite zone. « Nous avons du mal à comprendre que le ministre en charge de l’habitat nous octroie 500 parcelles pour 1550 recensés », ont-ils poursuivi.

Pour Hamidou Simporé, le délégué du quartier, accepté cette proposition reviendrait à dire qu’il y a une trahison entre ceux qui bénéficieraient de ces 500 parcelles et les autorités. Et où iront les 1050 familles ? Dans les centres d’accueils des réfugiés ? se demande Albert Soubeiga. Aux dernières nouvelles, le ministre en charge de l’Habitat, Dieudonné Maurice Bonanet a annoncé le mardi 16 juillet au sortir d’une réunion avec les habitants dudit quartier ‘’avoir convenu avec les populations de Garghin, de réduire de 250 à 125 m2, chacune des 500 parcelles qui leur avaient été attribuées, pour permettre au plus grand nombre d’entre eux, d’en avoir.

Les habitants de la zone non lotie de Garghin, zone litigieuse, secteur 55 de Ouagadougou à la conférence de presse du 12 juillet 2019

Une proposition que les habitants à travers Albert Soubeiga, disent accepter pour « permettre au moins de reloger 1000 familles », tout en se posant toujours cette question, « où ira le reste des familles ? ».

Siébou Kansié
www.libreinfo.net

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