Médecin spécialisé en anesthésie-réanimation, Dr Arouna Louré est une personnalité bien connue des Burkinabè. Il s’est révélé au public par ses prises de positions ouvertes, souvent controversées, sur des sujets majeurs de la société. Cela a été notamment le cas lors de l’épidémie de la Covid-19 et, actuellement, avec la gestion de la crise sécuritaire liée au terrorisme. C’est ainsi que Dr Louré a été réquisitionné par l’armée le 6 septembre 2023. En 2021, il crée avec d’autres camarades le mouvement “Les Révoltés”.
Par Daouda Kiekieta
Le nom d’Arouna Louré fait l’actualité au Burkina Faso au cours de ce mois de septembre 2023. Pour cause, l’habitué des salles de réanimation dans les hôpitaux de Ouagadougou a été réquisitionné par l’armée burkinabè pour servir au nord du pays à Koumbri, une zone à fort défi sécuritaire où 53 combattants ont trouvé la mort dans une récente attaque terroriste.
Cette réquisition a suscité une vive polémique au sein de l’opinion nationale. Si certains ont acclamé la décision, d’autres, par contre, y voient une manière pour les autorités de faire taire une voix discordante.
L’anesthésiste-réanimateur Dr Arouna Louré est monté au créneau plusieurs fois pour dénoncer la gouvernance sécuritaire, et cela, depuis 2021, sous le régime du président élu Roch Marc Christian Kaboré, jusqu’à celui, actuel, du capitaine Ibrahim Traoré.
Né le 21 novembre 1985 à Tiassalé, en Côte d’Ivoire, Dr Louré a découvert le Burkina à l’âge de 12 ans. C’est dans ce pays, dans la ville de Manga, qu’il a obtenu son baccalauréat en 2005.
Il a continué ses études supérieures en médecine, en Algérie, de 2005 à 2013. De retour au pays, il a servi dans plusieurs structures sanitaires du Burkina en tant que médecin avant de se spécialiser en anesthésie et en réanimation. A son retour de spécialisation, il est affecté au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bogodogo dans la capitale burkinabè.
De l’hôpital à la place publique
Durant une dizaine d’années, Dr Louré reste presque inconnu du grand public burkinabè. Mais, il est bien connu du milieu syndical où il côtoie des camarades panafricanistes et révolutionnaires. Le médecin s’efforce de traduire son engagement dans le panafricanisme et la révolution dans ses propos et ses actes.
Ainsi, en octobre 2018, il dédicace son tout premier ouvrage, un essai politique, intitulé « Burkindi pour une révolution nouvelle ». Pour lui, la lutte pour l’équité et la justice sociale n’est point négociable.
Dr Arouna Louré va davantage se révéler à l’opinion publique à la faveur de la pandémie à Covid-19, apparue au Burkina en mars 2020. Il avait été l’un des rares médecins à dénoncer le système sanitaire burkinabè, qu’il avait qualifié alors de « catastrophique ».
Quelques semaines après l’apparition de la pandémie, il avait estimé que les spécialistes en réanimation, une cinquantaine que compte le pays, ne sont pas suffisamment associés à la gestion de la crise sanitaire.
Depuis lors, le jeune médecin est de plus en plus sollicité pour des débats télévisés et d’entretiens dans divers médias.
Le « révolté » en blouse blanche dans les rues
En 2021, il lance avec d’autres camarades, le mouvement citoyen « Les Révoltés » pour dénoncer la gouvernance du président élu Roch Marc Christian Kaboré. Dr Louré est le porte-parole de ce mouvement. Le « révolté » en blouse a soutenu alors des manifestations pour exiger la démission du président Roch Kaboré.
Le 20 janvier 2022, à l’avant-veille d’une marche des Organisations de la société civile (OSC) pour « soutenir les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) mais également pour exprimer leur soutien au peuple malien », il est convoqué par la Brigade centrale de lutte contre la cyber criminalité (BLCC).
Il est reproché au médecin d’administrer des groupes sur la plateforme Telegram où sont distillés des propos haineux. Il avait été autorisé, ce jour-là, à regagner son domicile contrairement à d’autres leaders qui avaient été gardés à vue.
Après le coup d’Etat militaire du 24 janvier 2022 qui avait renversé le président Kaboré, Dr Arouna Louré avait été désigné pour siéger à l’Assemblée Législative de Transition (ALT) au titre de représentant des Organisations de la société civile (OSC). Il avait même été candidat malheureux au poste de Président de cette nouvelle représentation nationale forte de 70 membres.
Contrairement à d’autres leaders de la société civile, Dr Louré a refusé de se “taire” après le second coup d’Etat militaire perpétré par le capitaine Ibrahim Traoré. Très actif sur les réseaux sociaux, il ne cesse de dénoncer la gestion de crise sécuritaire par les nouvelles autorités militaires.
Ces prises de position lui ont valu des « menaces ». En réaction à ces menaces, lui et d’autres leaders d’opinion ont créé le « Collectif des journalistes, activistes et leaders d’opinion victimes de menaces » dont il est le porte-parole.
Le 6 septembre 2023, Dr Louré est réquisitionné pour rejoindre Koumbri, une localité située dans la province du Yatenga, dans la région du Nord du Burkina.
Bien avant cette décision de réquisition, il avait dénoncé le faite que des « déserteurs constitutionnalisés » se seraient « bunkérisés » à Ouagadougou laissant les forces combattantes sur les différents fronts.
Dr Louré avait aussi dénoncé l’illégalité de la procédure de cette réquisition. « Pourtant, s’il faut que j’aille dans les fins coins du Burkina Faso pour défendre, à mains nues, notre patrie, j’irai avec honneur et dignité, tant que je pourrai avoir l’assurance que ce n’est pas un traquenard ou une manière de nuire à mes convictions profondes et à ma liberté d’expression » avait-il écrit sur son compte Facebook.
Dans le même sens, le mouvement SENS avait relevé dans la réquisition, une «faute de motivation» qui rend illégale la décision.
«Il est évident que la réquisition du Dr Arouna Louré en raison de son profil professionnel ne présente aucune nécessité au sein de l’unité militaire déployée à Koumbri » déclare le Mouvement SENS.
Le 13 septembre 2023, Libreinfo.net a appris que le médecin Louré a été arrêté à l’hôpital Schiphra de Ouagadougou par des militaires armés, pour « l’amener à son lieu de réquisition ».