Ceci est une tribune de Dr. Jean-Baptiste GUIATIN, Conseiller des affaires étrangères sur la probable intervention militaire de la CEDEAO au Niger.
Depuis le 26 juillet 2023, le Niger est sous les feux des projecteurs et des caméras de l’actualité africaine et internationale. Un simple clin d’œil aux réseaux sociaux et à la presse en ligne va vous en convaincre.
Et pour cause, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à travers sa conférence des chefs d’Etat, envisage intervenir militairement au Niger pour déloger les militaires tombeurs du Président Bazoum pour réinstaller ce dernier au nom de la promotion de la démocratie sous nos tropiques.
Une question se pose alors : une telle intervention militaire est-elle fondée sur le plan juridique ? Si oui, est-il vraiment opportun d’envoyer des bataillons voire des divisions de soldats au Niger pour restaurer la démocratie dans un contexte de lutte contre l’hydre terroriste au Sahel ? Pour répondre à ces deux questions, un certain protocole est à observer puisqu’il faut obéir à l’ordre dans lequel elles apparaissent.
Partie I : Les bases juridiques fragiles d’une possible intervention militaire au Niger
Une réponse à la première question exige que l’on se réfère aux textes juridiques de la CEDEAO. S’inspirant de l’expérience de l’Organisation de l’Unité Africaine – devenue en 2000 l’Union Africaine – le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres a été consacré dans les textes juridiques de la CEDEAO.
En fait, jaloux de leur souveraineté les Etats africains n’apprécient pas une quelconque immixtion dans leurs affaires intérieures, notamment la défense et la sécurité. Le deuxième principe à être consacré est celui de l’assistance mutuelle entre Etats membres de la CEDEAO en cas d’agression extérieure.
Le troisième principe, quoi que de moindre importance puisque censé être d’application conjoncturelle, est celui de l’intervention humanitaire. C’est sur cette base que l’intervention de la CEDEAO s’est faite au Liberia et en Sierra Leone à travers la force de l’ECOMOG, même si d’autres motifs ont pu être évoqués.
Il est à noter que le protocole additionnel sur la promotion de la démocratie de la CEDEAO de 2000 ne mentionne pas dans le corps du texte officiel la nécessité d’organiser une intervention militaire pour défendre un régime élu dans l’espace CEDEAO, même si le cas gambien est un précédent.
Sur la base de ce qui précède, on peut se demander si le fondement juridique devant guider la possible intervention militaire de la CEDEAO est solide. Il n’est donc pas étonnant que seulement quatre pays sur 15 se sont dits prêts à contribuer à la force militaire devant intervenir au Niger.
Partie II : Une intervention militaire inopportune ?
Si toutefois une réponse affirmative est trouvée à la question ci-dessus, on pourrait quand même se poser des questions sur l’opportunité d’une telle intervention. Et c’est là que les choses se coincent un peu.
D’abord, l’opinion publique africaine ne semble pas emballée par cette initiative militaire communautaire, en témoignent les navettes des chefs religieux nigérians et la médiation discrète du Togo. Ensuite, il n’est pas inutile d’insister sur le fait que le supposé alignement de la démarche communautaire à la visée des grandes puissances extérieures n’arrange pas les choses.
En fait, beaucoup perçoivent la CEDEAO plus comme un relais des puissances extérieures comme la France qu’une incarnation des aspirations des populations vivant dans l’espace communautaire. Cette perception se révèle un vrai handicap auquel les chefs d’Etat ne sont pas insensibles.
Troisièmement, certains experts militaires émettent de sérieux doutes sur la capacité militaire de la CEDEAO de mener une blitkrieg à la hitlerienne au Niger en vue de minimiser les chances d’enlisement.
Quatrièmement, en matière de promotion de la démocratie dans l’espace communautaire l’attitude de la CEDEAO manque de cohérence ; certains observateurs peuvent même parler de géométrie variable. Certes l’initiative communautaire contre Yaya Jammeh en Gambie a bénéficié d’un large consensus et d’une position géostratégique plus favorable, du point de vue militaire.
Cela n’est pas le cas nigérien. Ceci est beaucoup plus compliqué à cause de la géométrie variable de la CEDEAO en matière de promotion de la démocratie. En effet, si la CEDEAO est prompte à condamner les coups d’Etat militaire, elle reste silencieuse quant aux coups d’Etat de type constitutionnel sous la forme de troisième mandat.
Enfin, la CEDEAO brille par son absence dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. En fait, la bande sahélo-sahélienne connait depuis des années l’insurrection djihadiste qui a fait des milliers de morts et des millions de déplacés internes dans les trois pays les plus touchés le Mali, le Burkina Faso et le Niger, mais aucune force d’intervention militaire de type communautaire n’a été mise en place pour préserver la quiétude des pauvres populations, qui sont plus préoccupées par leur insécurité que du respect des mécanismes d’une démocratie électorale avec laquelle elles s’identifient à peine.
En outre, les aventures de MINSUMA et de Barkhane se sont terminées en queue de poisson. Il est à noter que ces deux dernières initiatives internationales ne sont pas les seules. Certains observateurs ont dénombré près d’une vingtaine d’initiatives internationales pour le Sahel avec l’insurrection djihadiste.
La surprise n’est donc pas grande, vu toutes ces incohérences, que l’opinion publique africaine ne s’enthousiasme pas pour une initiative militaire au Niger pour déloger un régime arrivé au pouvoir à l’issue d’un coup de force. Généralisation n’est pas raison, mais on peut s’imaginer le même niveau de motivation chez les militaires qui vont probablement être envoyés au Niger.
En un mot comme en mille, il est hasardeux de commenter un événement qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Cependant, sur la base de ce que l’on a pu observer jusqu’à présent on ne peut s’empêcher de remarquer que ni la légalité ni l’opportunité de cette possible intervention militaire de la CEDEAO ne fait l’unanimité au sein des populations africaines, c’est-à-dire les premières à être concernées par toute initiative communautaire, militaire ou non.
Les aspirations de celles-ci devraient être au centre des initiatives de la CEDEAO. Autrement, l’organisation communautaire sera perçue comme un simple syndicat de chefs de classe.
Dr. Jean-Baptiste GUIATIN
Conseiller des affaires étrangères
Fulbright 2016