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Effondrement des infrastructures :« Il faut convoquer des assises nationales avec tous les acteurs et même les bénéficiaires », Karim Triandé, ancien DG de l’AGETIB

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Le Burkina Faso est confronté à une série d’effondrement des infrastructures publiques, en majorité des écoles. Comment expliqué aujourd’hui la vulnérabilité des infrastructures publiques? C’est l’objet de cet entretien de Libreinfo.net avec Karim Triandé. Il est Consultant et responsable de l’Ecole des métiers Gustave Eiffel. Il fut le directeur général de l’Agence de gestion des travaux d’infrastructures du Burkina (AGETIB) en 2011. Cet entretien a été réalisé avant l’effondrement à l’université Norbert Zongo de Koudougou.

 

Entretien réalisé par Frank Pougbila

Libreinfo.net (Li): Comment sentez-vous de constater l’écroulement des infrastructures au Burkina?

Karim Triandé (K.T) : Depuis un certain temps, nous assistons à une série d’effondrement des infrastructures, particulièrement les édifices scolaires. Ce qui caractérise ces effondrements, c’est essentiellement la saison hivernale, le taux élevé des bâtiments effondrés précisément 170 répertoriés par les autorités et la gravité sur le plan des pertes en vie humaine. C’est un constat vraiment déplorable.

Li : Quelles peuvent être les causes de ces effondrements ?

K.T. : Il y a une série de plusieurs causes liées à cet effondrement des bâtiments. Sur la base de l’examen des images que j’ai pu analyser, il y a une forte présomption que ce soit un vice de construction qui soit à la base de l’effondrement de ces bâtiments. Un vice de construction est une malfaçon des dégâts importants qui affectent la qualité d’un ouvrage. Chose qui peut constituer un risque pour son effondrement.

Li : Concrètement, s’agit-il de la mauvaise qualité des matériaux? 

K.T : Il est difficile de répondre facilement à cette question. L’acte de bâtir est très organisé et il convient de ne pas se jeter dans des assertions. Mais, à ce stade, l’on ne peut émettre que des hypothèses. Une hypothèse plausible, c’est la mauvaise mise en œuvre de ces constructions. Une mauvaise mise en œuvre avec des matériaux probablement de mauvaise qualité. Aussi, une supervision et un contrôle insuffisant. On peut également se poser des questions. Est-ce que les bâtiments scolaires qui se sont effondrés sont bien conçus, en termes de conception technique. Cet ensemble d’éléments peuvent expliquer l’effondrement en série des bâtiments.

Li : Qui peut être tenu pour responsable de ces écroulements des édifices publics ?

K.T. : Il convient dans ce cas de figure de commandité une expertise technique indépendante qui va établir les causes de ces dommages. Et sur la base de cette expertise, on peut maintenant affirmer que l’écroulement est causé par tel ou tel élément. L’autorité doit faire cette expertise indépendante sans délai.

Li : La plupart des bâtiments écroulés est en milieu rural. N’est-ce pas la mauvaise foi des acteurs de la chaine de construction de ces bâtiments vu que le contrôle ne serait pas de rigueur ?

K.T. :Il est difficile d’affirmer que les acteurs ont été de mauvaise foi. Il n’y a pas d’élément pour établir cela. Nous partons sur la base du constat des bâtiments effondrés en série. Ce qui constitue un phénomène grave.

Pour ce qui est des bâtiments en milieu rural, l’on se pose la question à savoir si la supervision par le maitre d’ouvrage a été bien faite. Il a une responsabilité de superviser le projet depuis l’acquisition des marchés à l’exécution des travaux jusqu’à la réception des travaux. Est-ce que le maitre d’ouvrage a fait ce qu’il devrait faire ?

Est-ce que l’entreprise chargée de l’exécution des travaux a respecté les cahiers des charges techniques ? Est-ce que le bureau recruté pour le contrôle des travaux a exécuté sa mission de manière sérieuse ? Voici les questions que l’expertise peut apporter des réponses.

Li : Combien d’années peuvent durer un bâtiment construit selon les règles ?

K.T. : Un bâtiment construit dans le respect des règles ne doit pas s’effondrer à l’espace de quelques années.

Il faut que les autorités comprennent qu’après la réception définitive, on doit avoir une surveillance sur le bâtiment public surtout celui de type établissement recevant du public. Il doit avoir une surveillance pour savoir comment sont ces bâtiments après leur construction. Souvent on peut détecter des malfaçons que l’on doit corriger. On ne doit pas laisser des fissures qui peuvent déstabiliser le bâtiment.

Si l’ouvrage est surveillé, il peut arriver un effondrement mais un effondrement expliqué par des causes qui sont mises en évidence. Là, on peut parler de la fondation, si le bâtiment est construit sur un terrain instable. Si le bâtiment construit sur un terrain qui subit le mouvement de terre, il peut y avoir un bâtiment qui connaitra des fissures.

Mais, il y aura d’abord une alerte et les techniciens en bâtiment sauront que ce bâtiment peut s’effondrer. Ces bâtiments effondrés, s’il y avait eu une surveillance de l’administration publique, il devrait avoir une progression d’élément qui a conduit à l’effondrement de ces bâtiments.  Cela n’a pas été fait et doit être corrigé.

Li : Qui doit-on tenir pour responsable d’un bâtiment public qui s’écroule en si peu de temps ?

K.T. : Il y a une phase de bâtiment réceptionné provisoirement et définitivement remis au maitre d’ouvrage qui a accepté de recevoir le bâtiment. En ce moment, par rapport à ce qui s’est passé, nous rentrons dans une phase contentieuse où sur la base de l’expertise technique indépendante, un jugement se fait si l’Etat estime que ses droits ont été brimés.

Le juge qui est chargé du dossier peut engager des sanctions contre les entreprises défaillantes. Et cette entreprise, dans le cas où elle est couverte par une assurance décennale, pourra engager cette assurance et faire des réparations.

Li : Quelles peuvent être les solutions pour venir à bout de ce phénomène ?

K.T. : Premièrement, il faut tirer des leçons de ce qui s’est passé. En termes de solution, il faut innover sur deux choses. Le choix de la qualité des travaux publics est une exigence.

Ce sont des investissements importants pour l’Etat et il ne doit pas hésiter sur les moyens à mettre en œuvre pour construire des édifices qui répondent à des normes de qualité. La première proposition est que l’Etat s’engage dans le système de démarche qualité des travaux. La démarche qualité est un outil qui peut permettre à l’Etat de s’assurer que tout le processus de gestion du projet est bien réalisé.

C’est une démarche formelle, logique et puissante qui permet à tous les acteurs d’aller vers la qualité depuis la passation du marché, l’exécution des travaux à la réception des travaux. Chaque acteur sait ce qu’il doit faire pour que l’ouvrage soit de qualité et chacun joue son rôle de manière formelle.

C’est un processus qui n’est pas encore mise en œuvre au Burkina et il est temps que dans les projets de construction des bâtiments, des routes, on puisse implémenter la démarche qualité systématiquement. L’art de construire est très sérieux et il faut des démarches de performance.

La deuxième proposition, c’est que l’Etat puisse s’engager dans le contrôle tierce-partie. Le contrôle tierce-partie est un contrôle externe, indépendant assuré par une tierce personne extérieure au processus de passation, d’exécution ou de réception. C’est un expert extérieur que l’Etat peut engager pour s’assurer que tout le processus se déroule correctement.

Si ces deux propositions sont mises en œuvre par l’Etat, ce sera la solution. L’Etat implique tous les acteurs à ce qu’ils respectent. Ainsi, nous allons réduire le risque d’effondrement des bâtiments et le risque d’exécution des travaux de mauvaise qualité. C’est un passage obligé, si nous voulons de la qualité.

Li : N’y a-t-il pas lieux d’organiser des assisses nationales de construction pour réfléchir sur la question ?

K.T. : L’Etat dispose déjà d’un plan type de construction des bâtiments public. Mais, lorsque nous arrivons à observer cette série d’effondrement, il faut mettre tout cela à plat. La conception de ces édifices doit être mise à plat. Je vois qu’il faut une amélioration à faire au niveau de la charpente du bâtiment et de la toiture. Il faut convoquer des assises nationales avec tous les acteurs et même les bénéficiaires pour réfléchir à ce qui s’est passé et établir un plan d’action.

Lorsque les acteurs à savoir les entrepreneurs, les ouvriers, les décideurs publics, les bénéficiaires, les collectivités s’assoient autour d’une table pour réfléchir sur le plan administratif, technique, économique, sociologique et environnement, on peut rebâtir des écoles qui vont traverser des siècles. L’une de mes idées que je propose est le fait que ces édifices en milieu scolaire sont très exposés au vent.

Il faut réfléchir avec le ministère en charge de l’Environnement pour choisir les espèces qu’il faut pour chaque région du Burkina pour faire des plantations de haies-vives hautes qui surplombent les bâtiments. En tenant compte du sens du vent, on implantera dans les écoles. Si ces haies-vives sont bien plantées et adaptées au terrain, cela va réduire la pression du vent sur les édifices scolaires. La pression du vent est un facteur aggravant.

C’est l’un des facteurs catalyseur pour l’effondrement, car cela se passe en saison hivernale. Cela constituera de l’ombre pour les élèves, protéger les édifices.

Il est possible de construire des édifices qui vont traverser des décennies, mais à une seule exigence. L’exigence de la qualité.

Lire aussi: Effondrement à Koudougou:« un maçon même aurait démissionné parce qu’il trouvait que le dosage n’allait pas tenir» témoin

www.libreinfo.net

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