A neuf mois de la présidentielle au Burkina Faso,les acteurs politiques peaufinent les stratégies.Si pour certains les candidats sont connus d’autres se disputent toujours le choix du candidat idéal,c’est le cas au CDP,l’ancien parti au pouvoir. Dans un entretien accordé à Libreinfo.net le président du CDP Eddie Komboïgo affiche clairement ses ambitions d’être le candidat du CDP mais rien n’est joué d’abord. En attendant la désignation d’un candidat,il critique la gestion du pouvoir actuel qui selon lui a échoué dans le domaine sécuritaire,social et économique.
Propos recueillis par Albert Nagreogo
Libreinfo.net : la question d’achoppement aujourd’hui, c’est qui sera le candidat du CDP pour la présidentielle de 2020, Éddie Komboïgo est le candidat naturel comme on le dit certains partis de l’opposition ?
Eddie Komboïgo:C’est vous qui le dites ; je pense que le projet de directive que nous avons adopté au CDP laisse libre à tout militant de pouvoir déposer sa candidature. Nous n’avons pas encore toutes les candidatures donc nous ne pouvons pas vous dire qui sera le candidat. Dans tous les cas ce n’est pas Éddie Komboïgo qui choisit le candidat même si on sait qu’Éddie Komboïgo a l’intention de déposer sa candidature cela ne donne pas un privilège par rapport aux autres candidats.
LI : Jusqu’à quand les candidatures pourraient être déposées, la date limite c’est quand ?
Lorsque nous allons adopter la directive tout sera clair.
LI : allez-vous procéder par des primaires ?
C’est possible mais nos statuts disent que lorsqu’il y a plusieurs candidats il faut rechercher le consensus ; en l’absence de consensus, comme dans toute démocratie, on procède au vote. Donc des primaires ne sont pas exclus.
LI :il y a un dualisme qui se dégage déjà au niveau du CDP, c’est bien Kadré Désiré Ouédraogo,Éddie Komboïgo,alors comment va se passer les choses si éventuellement Kadré Désiré Ouédraogo est candidat ?
Il n’y a pas de dualisme au CDP. Il peut y avoir un pluralisme. C’est la démocratie. Mais je vous rappelle que Monsieur Kadré Désiré Ouédraogo a démissionné du CDP.
LI : Officiellement ?
Officiellement depuis plus de trois mois maintenant.
LI : récemment Blaise Compaoré, le président d’honneur a invité le camp Éddie Komboïgo, le camp Kadré Désiré Ouédraogo à Abidjan pour une réunion ce qu’on aurait appris, alors est-ce-que cela ne sous-entend pas que c’est possible qu’il revienne au CDP ?
Vous faites l’effort pour insister dans l’erreur. Blaise Compaoré a invité la direction du CDP et des militants qui ont été sanctionnés. Il les a entendus séparément. Il a simplement demandé aux militants sanctionnés ce qu’ils veulent en posant des actes d’indiscipline. S’ils veulent rester au CDP il faut respecter les statuts et règlements intérieurs du CDP. S’ils tiennent à rester au CDP, il leur demande d’aller retirer toutes leurs plaintes en justice. Lui, en qualité de président d’honneur va demander également à la direction de convoquer un congrès et demander de rapporter les sanctions en contrepartie. Le président Compaoré est soucieux de l’unité du parti. Ils ont donné leurs accords, ils ont retiré leurs plaintes. La direction du CDP a convoqué un congrès et les a réintégrés ; ou est le problème ? Un parti n’est pas là pour exclure, un parti doit exiger la discipline. Et tout le monde doit respecter les statuts et les règlements intérieur y compris le président.
LI : pensez-vous avoir le soutien de Blaise Compaoré au moment venu pour être candidat ?
Nous pensons avoir le soutien de l’ensemble des militants du CDP.
LI : Oui mais le choix de Blaise Compaoré compte également énormément.
Blaise Compaoré n’est pas électeur ; il ne choisit pas de candidat, nos statuts disent, écoutez bien, c’est notre parti il en est le président d’honneur. Dans ses attributions il est écrit que le président donne des orientations et valide le candidat à l’élection présidentielle. Il est également dit que le président d’honneur donne des orientations et valide le candidat élu à la présidence du parti. Pour la direction du parti, c’est ce qui s’est passé en mai 2018 où j’ai été élu et j’ai été validé également. Pour ce qui concerne le choix du candidat du CDP aux élections de 2020, il a déjà donné des orientations par une lettre en date du 25 mai 2019, sur la base desquelles nous avons conçu l’avant-projet de directive. Nous lui avons simplement demandé de nous dire si ce projet de directive est conforme à ses orientations avant que le Bureau Exécutif National (BEN) siège pour adopter et mettre en œuvre tout le processus du choix du candidat.
LI : On retient donc qu’Éddie Komboïgo est le choix de candidat de Blaise Compaoré.
Silence et sourire, c’est comme vous voulez. Moi je pense qu’il ne faut pas mettre les autres dans les problèmes, savez-vous pourquoi Blaise Compaoré ne doit pas choisir le candidat ? Parce que c’est statutaire. Je vais vous dire tout simplement, si Blaise Compaoré vous dit que c’est vous, journaliste, qui êtes le candidat du CDP aux prochaines élections présidentielles et que l’on attaque la décision au ministère de l’administration territoriale ou encore en justice elle sera disqualifiée. Donc ne l’amener pas à poser des actes anti-statutaires et qui peuvent porter préjudice à notre parti.
LI : C’est Blaise Compaoré qui décide qu’il faut un congrès pour rapporter les décisions, c’est Blaise Compaoré qui décide de recevoir les différents camps, est-ce que Blaise Compaoré n’est pas finalement au-dessus du CDP ?
Non pas du tout ! Blaise Compaoré respecte les statuts, Blaise Compaoré n’a pas dit de lever les sanctions ! Blaise Compaoré en a demandé à la direction du parti. Voilà, les sanctionnés vont remplir les conditions de retirer les plaintes, de s’engager à ne plus commettre de telles fautes. Nous voulons l’unité du parti alors nous avons accepté de convoquer un congrès et expliquer. Nous sommes à la recherche des militants, mais des militants disciplinés. Blaise Compaoré n’a pas dit d’aller lever les sanctions. Si Blaise Compaoré se mettait au-dessus des statuts il n’allait pas demander que le congrès se réunisse, il allait dire dans son écrit qu’il rapporte lui-même les sanctions.
LI : le parti n’a pas respecté une recommandation du congrès qui est de donner le nom du candidat à la présidentielle avant le 31 janvier 2020. On peut dire qu’elle n’a pas été respectée parce que nous sommes aujourd’hui en février, quand est-ce que le CDP pourrait officialiser le nom de son candidat pour la présidentielle de 2020 ?
Comme vous avez suivi ce que nous avons subi en 2019, il faut éviter qu’il y’ait encore la bagarre au sein du parti. Nous souhaitons suivre toutes les procédures, avoir les avis, des conseils des uns et des autres pour pouvoir choisir notre candidat. Nous avons déjà un avant-projet de directive. Cet avant-projet je vous l’ai dit tantôt que nous l’avons soumis au président d’honneur pour avis. Ensuite nous allons convoquer le BEN pour l’adopter et il sera définitif. C’est vous qui êtes pressés. Nous ne confondons pas vitesse et précipitation, nous voulons faire bien. Faire bien c’est d’avoir un résultat acceptable par tout le monde. Une recommandation n’est pas une résolution. Ce n’est pas une décision définitive, c’est-à-dire figée.
LI : le code électoral a été révisé récemment à l’Assemblée nationale, en tant qu’opposant est-ce que vous êtes satisfait de ce code électoral ?
Dire qu’on est satisfait ! non. Vous savez déjà que dans ce code électoral, il y a un point du non-consensus, c’est l’usage de la carte consulaire biométrique comme document de votation des burkinabé de la diaspora. L’opposition a été ferme et d’accord pour que les burkinabé de la diaspora puissent voter en utilisant la carte consulaire biométrique. La majorité qui en a refusé, a voté la loi portant code électoral comme telle en excluant l’usage de toute carte consulaire. Les autres points nous donnent satisfaction mais ce seul point d’exclusion de la carte consulaire est un point essentiel et justifie partiellement l’échec de l’enrôlement de nos compatriotes de la diaspora. Sur un objectif fixé par la CENI elle-même de 2,5 millions de personnes à enrôler dans la diaspora, elle n’a pu enrôler que 24 000 environ soit moins de 1%. Le président de la CENI lui-même a dit que c’est un résultat médiocre au regard des dépenses engagées pour cela. Nous avons dépensé plus de 5 milliards pour l’enrôlement de la diaspora et doter un budget d’environ 30 milliards pour ces élections de la diaspora. Je crois que nous-mêmes, acteurs politiques, devons évaluer la situation et surtout situer les responsabilités.
Les responsabilités reviennent à la majorité actuelle qui n’a pas écouté, qui a fait semblant d’aller à un dialogue politique et qui n’a pas appliqué ce qu’il fallait appliquer. D’autant plus d’ailleurs, que la loi portant code électoral qui devait être votée en 2019 ne l’a pas été. Et nous avons dit que si la loi n’est pas votée il ne faut pas aller enrôler les burkinabés de la diaspora parce qu’on sera obligé de les enrôler dans les ambassades et dans les consulats seulement. Le 27 décembre 2019 nous nous sommes réunis dans les bureaux du ministre de l’administration territoriale où aussi bien les présidents des partis de la majorité, l’APMP, et les présidents des partis de l’opposition (CFOP), composant le comité de suivi et de la mise en œuvre des recommandations du dialogue politique, ont décidé de suspendre l’enrôlement.
Nous avons été surpris de constater que l’enrôlement a été maintenu. Et d’ailleurs, un rapport a été fait par le ministre de l’administration territoriale adressé au Premier ministre qui a écrit une lettre au président de la CENI pour demander la suspension de l’enrôlement. Malgré tout, voyez-vous l’enrôlement a été maintenu. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? qu’on boycotte ? on va dire que le CDP ou les partis de l’opposition boycottent l’enrôlement de la diaspora. Nous avons simplement demandé à nos militants d’aller s’enrôler ; mais les résultats aujourd’hui, si on doit tirer une leçon, ce sont des résultats médiocres.
LI : est-ce que vous n’êtes pas responsable du moment où vous avez participé au dialogue politique majorité et opposition ? Vous avez eu suffisamment de temps depuis juillet 2019 pour faire passer les textes à l’Assemblée nationale ? Mais après le dialogue on n’a pas véritablement senti cette pression.
Et pourtant nous avons écrit des lettres où nous avons fait la pression sur l’Assemblée nationale pour que la loi soit votée en 2019. Ce n’est pas nous qui convoquons la session, c’est le président de l’Assemblée qui relève de la majorité, qui relève même du MPP. Il ne faut pas cacher son nom, il le sait. C’est une résolution que le président du Faso a l’obligation de faire respecter. Nous nous sommes réunis pour rappeler qu’il fallait faire voter la loi en 2019. Mais elle ne l’a pas été. Il nous a été servis plutôt des alibis qu’il y a deux projets de loi et un projet de loi, tous portant quota-genre qui impactent le code électoral. On nous a convoqué le 27 décembre 2019. Il nous a été dit qu’il ne fallait pas reporter le vote de la loi sur le quota-genre parce que le consensus a été trouvé au dialogue politique et il n’y a pas d’autres choix que le projet de loi relatif au code électoral tienne compte du quota-genre. Nous avons donc rejeté le 2ème projet de loi portant quota-genre qui a été amendé par un seul ministre du gouvernement, vous imaginez, quand je vous dis que ce gouvernement gère par tâtonnement et non par discipline, comment un seul ministre peut aller modifier un projet de loi adopté par le gouvernement ? Voyez-vous ! il nous a été dit également que la nouvelle proposition de loi portant code électorale vient d’une dame de la place qui prétend être médiateur du Faso. Il eut fallu soumettre ces documents au dialogue politique. Nous nous sommes convenu d’un projet de loi portant quota-genre au dialogue politique qui a été accepté par tous et c’est ce projet de loi qui a été adopté en définitive par l’Assemblée nationale. Mais toute cette gymnastique était des prétextes pour justifier le fait de n’avoir pas voter la loi portant code électorale en 2019. Donc ce n’est pas de notre faute c’est bien la faute de la majorité gouvernementale !
LI : alors au regard de tout ce que vous dites, est-ce que vous pensez que le Burkina est suffisamment prêt pour la tenue des élections du 22 novembre 2020 ?
Le président Roch Marc Christian Kaboré a l’obligation à apprêter le Burkina pour aller aux élections du 22 novembre 2020 puisque le Conseil des ministres vient d’en fixer la date. C’est constitutionnel, c’est une obligation sinon ils ne seront plus légitimes à continuer de diriger ce pays.
LI : est-ce qu’à votre avis le Burkina est prêt pour aller aux élections le 22 novembre 2020
Tout le Burkina devrait être prêt. L’opposition a pris toutes les dispositions pour que le Burkina soit prêt. Si le Burkina n’est pas prêt le moment venu, la responsabilité revient au MPP et à ces alliés qui rêvent de voir prolonger leur mandat illégalement. C’est ce qu’on appelle dans notre jargon un « lenga ». Pas question ! L’opposition a été suffisamment prudente et ce n’est pas maintenant que l’on parle des élections de 2020. Dès lors que Roch Marc Christian Kabore a été élu, il savait bien qu’on aura des élections présidentielle et législatives en 2020. Du reste, il a prêté serment de respecter la constitution.
LI : comment vous appréciez aujourd’hui cet enrôlement, révision du fichier électoral dans ce contexte d’insécurité ?
C’est un vrai problème. Nous avions dit de bien diagnostiquer le problème d’insécurité pour trouver une solution idoine. Nous avions crié depuis 2016, d’opérer une réconciliation au Burkina Faso qui va davantage nous unir pour que chaque burkinabé se sente concerné par ce qui est arrivé dans ce pays. Ensuite nous avons dit qu’il faut une armée forte, un réseau de renseignement efficace. On ne réforme pas une armée du jour au lendemain d’une insurrection. Ils l’ont pourtant fait. On critique sa propre armée sur les chaines internationales, on traite le régiment de sécurité présidentielle (RSP) de tous les noms, de tigre en papier. Lorsqu’on est un Chef d’État et qu’on tient ce langage il faut mesurer les conséquences. Parce que ceux qui sont nos ennemis, qui nous attaquent aujourd’hui écoutent. Si vous dites que le corps de l’armée la plus crainte et redoutée de notre pays n’est qu’un tigre en papier, cela veut dire qu’il n’y a pas encore dans notre pays une armée qui peut résister. Tout cela a peut-être permis à donner du courage aux terroristes de nous attaquer. On a indexé encore l’ancienne majorité comme étant le soutien de ces terroristes, et 4 ou 5 ans plus tard, on se rend compte que ce n’était pas le cas et on recherche d’autres bouc émissaires.
Tout ce que la majorité a pu demander à l’opposition, nous avons tout cédé. C’est notamment le vote et l’augmentation des budgets des ministères en charge de la défense et de la sécurité depuis 2017, 2018, 2019. Aucun député de l’opposition n’a refusé, mais il appartient à la majorité de mobiliser ces ressources et de les mettre à la disposition desdits ministères, et d’assurer l’approvisionnement en équipements conséquents pour que nos forces de défense et de sécurité puissent donner une riposte à la hauteur des forfaits des terroristes. Aussi nos gouvernants doivent signés de bons accord militaires avec nos partenaires permettant de les appuyer pour repousser les terroristes.
Aujourd’hui, Nous ne savons pas ce qui se trouve dans ces accords puisqu’ils sont dits secrets. L’accord militaire entre la France et le Burkina n’a pas été discuté dans le fond à l’Assemblée nationale. Le gouvernement a simplement demandé à l’Assemblée Nationale l’autorisation des députés pour signer l’accord ; les députés même ne peuvent pas vous dire quel est le contenu de cet accord ; donc vous ne pouvez pas condamner la France. Il faut condamner le MPP et la majorité qui semblent irresponsables dans leur attitude.
LI : On a vu le président Macron récemment qui pense comme d’autres ambassadeurs français que des acteurs importants de la classe politique au Mali, au Burkina Faso ne font que contribuer à développer ce qu’il appelle le sentiment antifrançais, est-ce que vous êtes pour le maintien des forces étrangères dans le sahel ?
Vous savez, il n’y a pas que le Burkina. Le Burkina a signé un accord de coopération militaires avec la France et non un accord de défense militaire. Mais tout accord définit la mission de chaque partie et en situe les responsabilités. Je suis peu informé pour en parler parce que je ne connais pas le contenu de ces accords. Je ne peux pas inventer et vous dire parce que le Burkina a caché ses accords, il ne les a pas publiés. Si vous leur demandez, ils vont dire que c’est un secret. Nous avons cherché à connaitre le contenu de ces accords pour savoir qui a la responsabilité. Est-ce que c’est la France où c’est le Burkina ? Mais ils ont refusé de nous donner le contenu de ces accords. Donc c’est peut-être cela qui fait monter le sentiment des intellectuels africains contre la France parce qu’ils ne savent pas quelle est la mission de la France. D’autant plus d’ailleurs que l’on sait que la France est une puissance militaire, l’une des grandes puissances militaires de la planète. On se dit que si la France soutient une armée comme le Burkina ou le Mali, en principe, les groupuscules de terroristes devraient reculer. Mais nous ne savons pas jusqu’à quel point l‘armée française doit agir. De ce fait voyez-vous, contrairement à ce que l’on attend sur le terrain, nous constatons que les terroristes avancent. C’est peut-être cela qui amène les supputations et les accusations tous azimuts. En tant qu’intellectuel, on ne peut critiquer objectivement un accord quand on n’a pas le contenu ; mais comme les deux parties refusent de donner le contenu, je ne hasarderai pas.
LI : quelle est votre appréciation du recrutement des volontaires pour la défense ?
Nos députés ont voté la loi pour le recrutement des volontaires. Mais il faut commencer d’abord par des professionnels volontaires. Nous avons plutôt recommandé à la place du volontarisme qu’ils ont, de recruter les trois derniers contingents des soldats qui sont allés à la retraite, qui ont entre 44 et 46 ans, si tant est vrai que c’est l’effectif des militaires qui fait défaut. Vous savez que si les militaires partent à la retraite, on dit que ce sont des « militaires réservistes ». On peut leur faire appel à tout moment pour défendre la Patrie. Mais il y a également les équipements qui semblent faire défaut. Nous préférons que ce soit des professionnels qui vont à la guerre, car, ne va pas à la guerre qui veut mais qui peut.Nous courons le risque de voir certains volontaires se convertir en milices avec la complicité des gouvernants à des fins politiques. Nous sommes donc très regardant sur le recrutement et l’usage dont on fera de ces volontaires.
LI : quelle est votre opinion sur la prise en charge des déplacés internes et ces enfants déscolarisés ?
À mon niveau personnel j’ai fait des aides, au niveau du CDP nous avons fait les aides pour soulager un peu leurs besoins. Ce sont des actes de solidarité et de compassion. Mais la responsabilité reste gouvernementale. C’est la responsabilité de l’État, c’est leur obligation régalienne d’aller assurer la sécurité des compatriotes déplacés. D’abord ils ne devraient pas être déplacés mais ils se sont déplacés. Qu’on leur accorde un minimum vital, qu’on leur accorde des logis. 700 000 personnes déplacés qui dorment à ciel ouvert, qui n’ont même pas de tente. Nous leur en avons donnés et nous en donnerons davantage dans la limite de nos possibilités. Mais ces compatriotes-là sont laissés à eux-mêmes, ils sont dans des situations sanitaires précaires, ils n’ont pas de logements, ils n’ont pas suffisamment à boire ni à manger. C’est vraiment triste de voir ses propres compatriotes dans une situation délétère, dans une situation humanitaire catastrophique. Le Burkina Faso n’a jamais connu cette situation depuis les indépendances et même avant les indépendances. C’est pourquoi nous disons que ce gouvernement a lamentablement échoué. Nous ne sommes pas du tout satisfaits de la gestion. Et lorsqu’on réalise que c’est plus de 300 000 pauvres enfants qui sont contraints d’être dans les rues à cause de la fermeture de plus de 2 300 écoles, on ne dort plus. Ces enfants qui ont vu abattre leurs parents dans des conditions ignobles, qui n’ont pas de prise en charge psychologique, peuvent développés une psychopathie dans l’avenir. Et que feront-ils demain ? Peut-être qu’une guerre qui n’est pas celle que l’on connait aujourd’hui peut surgir dans 10 ou 20 ans lorsque ces enfants vont grandir avec les séquelles de ce qu’ils ont vécu à leur enfance. Il y a urgence de prise en charge de ces enfants ; qu’on les réintègre dans la société, qu’on les réapprenne les valeurs de la république.
LI : vis-à-vis de cette situation il y a beaucoup qui pense qu’on ne devrait pas parler d’élections le 22 novembre 2020, ce serait indécent ils accusent même les acteurs politiques.
Ce n’est pas moi qui ai arrêté la date des élections, c’est d’abord la République à travers sa constitution qui donne un mandat de cinq ans et qui préconise qu’au terme du mandat, il faut organiser des élections. Si le MPP et sa majorité ont mal géré le pays à tel point qu’ils ne peuvent pas trouver de solutions, pensez-vous qu’ils doivent encore se permettre de poursuivre ? ce n’est pas mon point de vu.
LI : est-ce que le passage à la Ve république est nécessaire pour vous ?
Pour nous les réformes qui avaient été opérées étaient déjà suffisantes. Comme c’est un engagement du président KABORE, il a voulu changé toute la constitution. Il est même incapable d’appliquer son programme, le MPP est incapable d’appliquer le programme du président qu’il a fait élire en 2015. Qu’est-ce que vous voulez qu’on dise ? En tant qu’opposant je pleure dans mon cœur, je pleure pour le Burkina et je pleure pour le peuple burkinabé.
LI : pour certains l’économie avance malgré le contexte sécuritaire, d’autres également trouvent que l’économie flotte, qu’est-ce que vous dites ?
L’économie aurait pu être plus florissante que cela. Vous le reconnaissez vous-même ce n’est pas moi qui le dis. Regardez les grands agrégats macroéconomiques qu’ils qualifient de bons. Qu’est-ce que cela a comme conséquences sur le panier de la ménagère ? qu’est-ce que nos populations en majorité agricole vivent aujourd’hui ? Ont-ils 100 dollars par an réellement, ont-ils 200 dollars par an, non ! leur situation s’est aggravée. Il n’y a aucune production et aucun pays ne peut se développer sans la production intérieure et la transformation de cette production. Cinq ans de gouvernance, aucune industrie, des industries fermées. On n’est même pas capable de protéger les quelques industries qui sont là. La SEMAFO a été attaquée. Nous ne pouvons pas dire que l’économie est florissante ; l’économie a reculé, or le Burkina regorge de beaucoup de potentiels qui auraient pu développer notre économie s’ils étaient exploités.
L’économie est à terre à tel point qu’ils s’acharnent sur les fonctionnaires pour leur appliquer des impôts comme l’IUTS parce qu’ils n’ont pas de recettes pour boucler le budget annuel. Quand même ! pour des revenus qui ne sont déjà pas élevés, c’est triste et regrettable !
LI : Vous êtes contre l’IUTS ?
Pas que je suis pour ou contre l’IUTS mais si vous suivez les débats sur les IUTS, les syndicats ont demandé d’alléger le poids des impôts du secteur privé pour donner une certaine équité parce qu’ils vivent cette situation et ce n’est pas facile pour eux déjà. L’État n’est même pas capable d’alléger les coûts de la vie des burkinabé. Il ne fait que charger les impôts. Les fonctionnaires n’ont déjà pas suffisamment de revenus pour consommer, pour investir et vous allez encore diminuer ces revenus. Si personne ne parle encore de PNDES c’est parce qu’ils n’ont plus de repère. Le PNDES ne prévoit pas l’IUTS pour les fonctionnaires. Ce gouvernement n’a plus de repère ; il n’y a pas d’autres choix que de les aider à débarrasser le plancher le 22 novembre prochain.
LI : votre camarade François Compaoré a été jugé en France, son extradition a été approuvée par la justice au niveau du gouvernement le décret également pourrait être pris, qu’est-ce que vous pensez de cette décision prise par la justice française ?
Rien, puisque c’est judiciaire !
LI : est-ce que François Compaoré, compte beaucoup pour votre carrière politique ?
Ma carrière politique pourquoi ? La justice c’est la justice, nous ne sommes pas contre la justice, moi-même j’ai fait face à la justice au Burkina. Vous savez que pour rien on m’a jeté en prison pendant 4 mois, 8 jours sur des bases arbitraires. François Compaoré aussi fait face à la justice. Il n’a absolument rien avoir dans ma carrière politique. Je ne le remets pas en cause mais dans un pays où il n’y a pas de justice, il n’y a pas d’unité, il n’y a pas de nation, la justice joue un rôle important. Si on ne se rend pas justice, on ne crée pas la cohésion sociale. Mais cette justice doit être équitable et pas un prétexte de règlements de compte, surtout politiques comme il semble être le cas pour lui.
LI : est-ce que Français Compaoré est toujours militant du CDP ?
Oui !
LI : est-ce que son choix pourrait être aussi important dans la désignation du futur candidat du CDP à la présidentielle ?
François Compaoré est membre du haut conseil mais il n’est pas là donc il ne participe pas aux réunions.
LI : le CDP ne consulte pas François Compaoré ?
Non puisqu’il n’est pas là, on travaille avec ceux qui sont là, il n’est pas le seul qui est membre du BPN (Bureau politique national).
LI : qu’est-ce que ça vous ferait son extradition éventuelle ?
Nous souhaitons que tout cela soit du passé, nous souhaitons qu’on aille à la réconciliation, qu’on se parle franchement, que l’on transcende et que l’on regarde l’intérêt supérieur de la nation, que la vérité soit dite, que la justice soit dite également. Et comme nous parlons de justice, de quelle justice s’agit-il ? la justice transitionnelle. Nous l’avons si bien dit parce que la justice classique prend du temps. Nous avons des dossiers en cours de plus de 20 ans ; deux décennies et on n’a pas encore trouvé la solution. Si c’est ce que l’on veut utiliser pour la réconciliation c’est sûr que nous n’allons pas nous réconcilier demain parce que la justice classique que nous connaissons a beaucoup de procédures qu’il faut respecter. C’est pourquoi nous disons qu’il faut parfois transcender. Moi-même j’ai été victime de l’insurrection. Vous savez bien que je n’ai jamais été dans le gouvernement, je n’ai jamais occupé un poste dans la fonction publique ; même mon salaire de député je l’ai utilisé pour faire des forages dans ma province. Mais on est allé brûler ma maison, voyez-vous ! Donc si je reste là en disant que ceux qui m’ont fait du tort je ne les pardonne pas, je ressasse le passé, jamais nous n’aurons une réconciliation. Ma vision c’est qu’à un moment donné il faut que tout un chacun transcende, connaisse la vérité, décide de pardonner, de pardonner de bon cœur et tout cela aboutisse à une unité des filles et fils du Burkina Faso pour que nous construisions ensemble l’avenir avec espérance. Même les pays qui ont connu des massacres les plus ignobles ont trouvé la force de transcender et de se pardonner mutuellement;les burkinabé en sont capables.