Le mercredi 10 mars 2021, le porte-parole du gouvernement, Ousséni Tamboura, annonçait à l’issue du conseil des ministres tenu le même jour, l’adoption de décrets relatifs à l’organisation des examens et concours scolaires. Il s’agit entre autres du décret portant organisation du Brevet d’études du premier cycle, BEPC, par les directions provinciales et non les directions régionales et l’organisation du baccalauréat par le ministère de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues nationales (MENAPLN). A l’issue de cette annonce, Souleymane Badiel, Secrétaire général de la Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche, F-SYNTER donne son point de vue sur cette réforme dans cet entretien accordé à libre info. Entretien réalisé le 31 mars 2021.
Propos recueillis par Etienne Sanon
Libreinfo.net(L. I): Quelle est votre position sur la nouvelle réforme scolaire au Burkina Faso qui confie l’organisation du baccalauréat au ministère en charge de l’éducation nationale, entre autres ?
Souleymane Badiel(S. B): La F-SYNTER, depuis l’annonce de cette réforme, a indiqué clairement que pour elle, ladite réforme ne peut pas s’appliquer avec bonheur pour les élèves et pour notre système éducatif. De ce fait, notre position est celle de rejet de cette réforme consistant à ramener l’organisation du baccalauréat au niveau du MENAPLN, pour en faire, et nous insistons là-dessus, un diplôme de fin de cycle du secondaire.
(L.I) : Qu’est-ce qui pose réellement problème avec cette réforme ?
(S.B) : Cette réforme n’est pas nouvelle. Elle a déjà été tentée dans les années 1999 et 2000. A l’époque, on l’avait baptisé « baccalauréat OCECOS ». Déjà à cette époque, notre organisation en lien avec les organisations à caractère syndical des élèves et étudiants et d’autres organisations s’étaient mobilisées pour faire échouer ladite réforme. Elle repose fondamentalement sur la mise en œuvre des orientations contenues dans le rapport de la Banque mondiale intitulé « l’éducation en Afrique subsaharienne pour une stratégie d’ajustement, de revitalisation et d’expansion ». Ce rapport à donné un certain nombre d’orientations en lien avec les systèmes éducatifs dans nos pays, dans le cadre des programmes d’ajustement structurel. Ces orientations reposent sur la diversification des sources de financement et la maitrise des coûts unitaires.
La réforme du baccalauréat qui est envisagée va consister justement à faire de ce diplôme, un diplôme de fin de cycle du secondaire. Ce qui est contraire à l’historique de l’institution de ce diplôme en France et de son prolongement dans notre pays. C’est également contraire au contenu du décret 2006/654 qui porte organisation de l’examen du baccalauréat dans notre pays et qui indique que ce diplôme est le premier diplôme universitaire. S’il devient un diplôme de fin de cycle du secondaire, cela signifie que les titulaires de ce diplôme n’auront plus la possibilité de façon automatique de pouvoir s’inscrire dans une université publique. En résumé, cela signifie que cette réforme doit viser à un contingentement drastique de l’accès des enfants du peuple à l’université, donc au savoir et surtout au savoir de haut niveau.
Vous aurez constaté qu’elle n’est pas une réforme isolée, elle est en lien avec ce qui se passe déjà à l’université avec le système LMD, qui a consacré les diplômes de fin de cycle au niveau du supérieur. Il est fait de sorte que la licence soit un diplôme de fin de cycle si bien que 80% des titulaires de la licence ne sont pas en mesure de s’inscrire dans un master. Pas forcément parce qu’on a dit qu’il faut avoir 16 de moyenne pour pouvoir s’inscrire dans ces masters, mais que leur accès est limité. Limité parce qu’il y a un nombre imposé et il y a aussi leur coût élevé. C’est exactement la même situation qui va se présenter avec le baccalauréat s’il devient un diplôme de fin d’études du secondaire. Que cet empêchement du plus grand nombre se fasse par un test ou par autre moyen, dans tous les cas, c’est cela qui est visé. C’est pour quoi d’ailleurs en amont, le gouvernement a créé ce qu’on appelle aujourd’hui l’université virtuelle qui est en quelque sorte un pendant de ce que nous avions combattu avec les étudiants et les élèves en d’autres temps, qu’on a appelé, le « extra muros » lorsqu’on a fait la refondation de l’université de Ouagadougou.
(L. I) Les explications données sur cette réforme par les ministres en charge de l’éducation nationale et des enseignements supérieurs lors de leur conférence de presse du 18 mars dernier vous ont-elles convaincus ?
(S. B) : Non. Ces explications ne nous ont pas convaincus pas. C’est pourquoi notre position de rejet de cette reforme n’a pas changé. Si vous lisez la déclaration liminaire qui a été faite par ces deux ministres, ils disent qu’en ce qui concerne le déroulement de cette réforme, les réflexions qui seront menées aboutiront à un chronogramme de mise en œuvre, à un projet de format d’organisation et à l’élaboration des textes sur les plans organisationnels, pédagogiques, matériels, financiers et règlementaires. Et ce, sans indiquer ce que va contenir ces dits projets et ces textes. Cela veut dire qu’à l’étape actuelle, on nous donne une orientation mais l’essentiel du contenu va être consacré dans l’élaboration de ces textes. Et le gouvernement ne dit pas tout à cette étape sur ce que cette réforme va être, en arrimant le baccalauréat au niveau du MENAPLN.
(L. I) : Depuis l’annonce de cette réforme, des élèves de différents lycées manifestent dans quelques villes du Burkina. Le font-ils avec juste raison selon vous ?
(S. B) : Evidemment, ces élèves manifestent avec juste raison et je crois qu’en tant qu’éducateur et responsable d’une organisation syndicale dans l’éducation, on ne peut que dire, tant mieux. Parce qu’il s’agit de leur avenir. Ils sont les premiers concernés. Ceux qui sont sur les bancs aujourd’hui seront les cobayes de cette réforme. J’ai parlé plus haut du LMD. Notre fédération et L’UGEB se sont opposées à ce système LMD et tous les arguments ont été développé pour dire que c’est le meilleur système, qu’on n’a pas le choix et que cela fait partie de ce qui se passe au plan mondial. Mais faites le constat vous-même des conséquences énormes que le LMD induit au niveau des universités de notre pays aujourd’hui. Vous-même de la presse, ces dernières semaines, vous avez fait cas des nombreux suicides au niveau des campus, notamment de Ouagadougou, qui sont révélateurs de la situation catastrophique dans laquelle nos universités sont et dans laquelle on a mis nos jeunes qui ont travaillé durement et parfois au prix d’énormes sacrifices pour obtenir leur baccalauréat qui devrait leur ouvrir des perspectives plus heureuses pour leur insertion dans la vie sociale.