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Aribinda terrorisme :Il y a un désir ardent de défier et défaire le mythe fondateur de Aribinda l’invincible

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Aribinda située dans la région du Sahel au Burkina Faso est l’une des localités qui subi beaucoup la menace terroriste. Elle a déjà connu plusieurs attaques avec des dizaines de morts. La dernière attaque date du 24 décembre 2019,35 civils en majorité des femmes avaient perdu la vie, et 7 soldats dont 4 militaires et 3 gendarmes. Au décompte final 80 terroristes avaient été tués par les FDS. Cette localité revêt une histoire aussi riche en bataille mais également en termes de diversité culturelle. www.libreinfo.net a donc décidé de faire un grand entretien avec notre chroniqueur sécurité, il s’agit de l’administrateur civil Kalifara Sere

 

Propos recueillis par Albert Nagreogo

Libreinfo.net : Est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous savez de Arbinda ?

Kalifara Sere : Aribinda, anciennement appelé aussi Karu est un lieu culte pour notre pays. Depuis le 17è siècle, Aribinda s’est forgé la réputation et le statut de territoire tampon entre les peuples touareg au nord, les peuls djelgodis à l’est et les mossé au sud et à l’ouest. Les caractéristiques particulières de ce territoire assez exceptionnel sont reconnues depuis le début de la pénétration française. En effet, le célèbre explorateur Destenave qui était aussi général de brigade de l’Armée française avait manifesté un intérêt spécial pour ce lieu-dit Aribinda.

Cependant, pour mieux appréhender la connaissance des diverses réalités que recouvre la dénomination Aribinda, on peut explorer plusieurs évolutions ethnonymes et politico administratives successives. Si l’on se réfère à l’histoire des peuplements de ce que l’on a jadis appelé le royaume du Mengao, on peut dire qu’Aribinda représentait le territoire nord- est des kurumba (ou nioniossé -kurumba). ARIBINDA est marqué par un peuplement majoritairement kurumba ou fulse certes, mais comporte significativement de nombreuses autres ethnies issues d’autres bassins de vie. On peut affirmer que ARIBINDA est un microcosme représentatif de toutes les populations du triangle du Liptako :songhai, biva, dogon, peuls, mossé, haoussa etc… Aribinda et son hinterland sont l’un des rares territoires à compte dans la population la quasi-totalité des patronymes que l’on trouve au Burkina, au Niger et au Mali.

Avant la colonisation française et singulièrement du XVIIe au XIXe siècle, ARIBINDA a subi de fortes pressions démographiques et multiethniques du fait des mouvements de populations et de cheptels en provenance de la boucle du Niger sur les deux rives du fleuve, et en provenance de l’Aïr.

Avec la colonisation, le processus de peuplement s’est accentué et diversifié car Aribinda a eu la réputation d’être un espace spécial dévolu à la fois à l’agriculture et au ranching traditionnel, au commerce (et principalement le négoce du coton et de la cotonnade, des gros et petits ruminants) et à la métallurgie traditionnelle. Une abondante documentation administrative atteste de l’intérêt que le colonisateur a porté à la diversification et à l’intégration des activités économiques dans une optique de brassage pluriculturelle.

On peut aujourd’hui déplorer l’exploitation insuffisante et la non capitalisation des sources écrites et mêmes orales qui retracent l’historicité du statut particulier de Aribinda. Cette situation est imputable à une collaboration lacunaire entre les chercheurs (sociologues, ethnologues, anthropologues, historiens… d’une part et les praticiens et les managers de l’administration publique territoriale d’autre part.

Une telle plateforme de collaboration inter active aurait permis de prendre la bonne mesure de l’importance psycho-stratégique de ce lieu focal qui renferme plusieurs significations au niveau historique, socio culturel et magico-religieux.

LI : Pouvez-vous être plus explicite par rapport à l’importance « psycho stratégique » et aux significations évoquées ?

KS :  Je voudrais tout d’abord préciser que lorsque nous évoquons Aribinda, il s’agit tout à la fois du noyau aggloméré (agglomération ARIBINDA), de la commune/département de Aribinda comportant plus de 40 villages dont de très grosses agglomérations rurales telles que Sikre, Djika, Lilgomde,Yalanga, Liki et j’en passe…, mais également et surtout   l’espace historique de l’Aribinda comportant outre la commune actuelle, la commune/département de Koutougou.

Il convient de rappeler que Aribinda est historiquement réputé être une principauté au sens premier du terme c’est-à-dire un tradi-Etat minuscule en superficie mais indépendant et économiquement prospère entretenant des relations de dépendance assumées avec des Etats plus forts et/ou plus vastes… A l’image (toute proportion gardée) des grandes principautés européennes telles que MONACO, ANDORRE, ST MARIN…, ARIBINDA a, durant trois siècles, été à la fois magnifié et haï, épié, vilipendé et convoité.

Placé au centre d’un triangle de feu, Aribinda a toujours su tirer son épingle du jeu entre trois groupes d’ennemis permanents qu’étaient les peulhs djelgodis, les touaregs et les mossé du Ratenga. Il est arrivé qu’épisodiquement ces trois ennemis se coalisent sans succès (comme par exemple à la fin du 19 è siècle lors de la guerre dite de Daya), contre un territoire qui a fini par acquérir une dimension et une réputation mystiques et surnaturelles.

Les traditions orales des peuples sus cités regorgent de références multiples accréditant dans leur subconscient collectif l’invincibilité de Aribinda en raison d’un Dieu tutélaire dénommé Mdomfe tantôt décrit comme un géant d’au moins 20 m de taille tantôt comme un serpent dont la longueur correspond à celle des dômes de granite de Aribinda.

En dehors de la tradition orale à tendance onirique, des travaux scientifiques très crédibles ont documenté des défaites subies aussi bien par le Ratenga, le Djelgodi que par les différents groupes touaregs. On notera aussi avec intérêt que c’est Aribinda qui a consacré le point d’arrêt de la marche victorieuse de l’Empire peulh du Macina. En clair, la progression vers le sud des troupes de El Hadj Omar Tall a été stoppée aux portes d’Aribinda.

LI : Est-ce que c’est le même Macina qu’Amadou Koufa réclame aujourd’hui ?

KS : bien sûr, c’est le même Macina. Amadou Diallo-Koufa se réclame de la Dina. Toute la philosophie terroriste de Koufa, repose sur le Dina qui est un concept combiné de souveraineté territoriale et de plénitude islamique avec en point d’orgue la création d’un grand ensemble qui occupe le centre du Mali et le nord du Burkina Faso El Adj Omar Tall a théorisé sur ce grand ensemble devant permettre aux éleveurs nomades de pouvoir se sédentariser autour des points d’eau et des galeries forestières tout en poursuivant l’œuvre d’islamisation. Amadou Diallo-Koufa se rêve en réincarnation de ce souverain peulh et se croit investi d’une mission divine.

Au-delà de cette tentative de ré invention de l’histoire, il doit y avoir chez ce dirigeant d’une des trois principales branches jihado-terroristes, un désir ardent de défier et défaire le mythe fondateur de Arbinda l’invincible.

Mais il faut comprendre que l’invincibilité de Aribinda n’était pas due qu’au mythe et au hasard. Elle était le fruit d’un art et d’une pratique militaires très avant- gardiste. En effet, les kurumbas avait inventé des techniques de guerre parfaitement adaptées à la configuration de leur territoire allant jusqu’à implanter des lignes de fortifications et des ouvrages rudimentaires mais efficaces de non franchissement. En saison des pluies, les délimitations des champs de culture étaient agencées sous forme d’ouvrages de défense passive ou active et les moindres cours d’eau aménagés en canaux de protection contre l’envahisseur. Tout cet héritage militaire doit être revisité et remise au gout du jour dans la situation actuelle de harcèlement que subit Aribinda de la part non seulement des forces du Front de Libération du Macina avec l’appui permanent de l’EIGS(Etat Islamique dans le Grand Sahara) et/ou du GISM.

LI : Ce qui veut dire donc qu’aujourd’hui, le terrorisme et les conflits communautaires que l’on constate dans la zone de Arbinda, tirent leurs origines dans l’histoire ?

KS : Assurément, les fondements de la république théologique du Macina reposent sur la démarche politique, militaire et la philosophie du Dina. Cependant, il y’a une conjonction de facteurs adjuvants qui ont été des levains aussi bien pour la naissance d’Ansarul Islam que pour l’essor du FLM-KOUFA. Parmi ces adjuvants, on peut mentionner la rupture du pacte malien de 1992 et la résurgence au nord des velléités sécessionnistes de l’AZAWAD. Concomitamment, l’on a assisté à la rupture de la « paix dogon ». La paix dogon est la parfaite illustration du rôle pivot ou tampon joué par Aribinda dans la consolidation des relations politiques et socio-économiques du point triple Macina-Dogon-Djelgodi.

Aribnda constituait la pointe sud d’un trigone territorial caractérisé par des conventions non écrites, des gentlemen agreement traditionnels portant sur l’élevage ambulatoire, l’agriculture extensive, le commerce inter ethnique etc…Ce modus vivendi a été répudié par les raids effectués par les peulhs se réclamant du Macina.

LI: A vous écouter, on note quand même un paradoxe entre votre raisonnement et la présence plutôt significative des groupes de KOUFA dans la boucle du Mouhoun alors que vous faites une fixation sur l’action des mêmes groupes dans l’espace Aribinda.?

KS : Le paradoxe n’est qu’apparent. Voyez-vous, pour y voir un peu plus clair, il convient de rappeler qu’au début de l’installation des mouvements jihado- terroristes, les lignes d’implantation étaient assez limpides. Puis la fragmentation des groupes et leur réorganisation autour des deux blocs AQMI et EI(Etat Islamique) a complexifié les modèles d’affinités tout en générant une confusion des territoires de prédilection. Quand vous prenez l’exemple de l’EIGS ce mouvement a tendance à envahir les territoires de prédilection du Macina soit pour appuyer KOUFA soit pour étendre sa propre identité territoriale.

Je soutiens que Aribinda est la partie burkinabé la plus convoitée par le Front Macina pour les motivations historiques, culturelles et psychologiques mentionnées. L’expansion tendancielle vers l’ouest Burkina et particulièrement la Boucle du Mouhoun procède de la même logique de continuum territoriale allant du Mengao (Lorum et une partie du Yatenga) puis les provinces de la Kossi, des Banwas du Sourou et du Mouhoun. Les provinces de la Boucle du Mouhoun visées ont, depuis le 18è siècle, une forte implantation peuhle d’une part et d’autre part sont des territoires intimement familiers à Amadou DIALLO-KOUFA lui-même. Il a en effet exercé une partie de son cursus de talibé dans cette zone.

LI : Quelles perspectives entrevoyez-vous dans la sécurisation complète et pérenne de l’espace Aribinda ?

KS : Pour moi il faut agir sur deux tableaux avec des modules d’intervention fondés sur la présence consolidée de l’Etat d‘une part et la réappropriation par les communautés de leur historicité en ce qu’elle comporte d’exaltations victorieuses, de mythes et de magie collective d’autre part.

Le premier tableau est celui de la fortification militaire et civile. Faire des limites du Grand Aribinda un rideau de fer, ferait revivre dans la mémoire collective de ce territoire, l’intelligence tradi militaire des kurumba ; intelligence à mettre au service de la défense civile dans le cadre d’une coordination bien comprise avec les Forces Armées. Dans ce tableau de la nouvelle configuration de la guerre, il conviendrait aussi d’honorer de nouveau le Dieu tutélaire par une réhabilitation des lieux de mémoire et de célébration de la religion traditionnelle des communautés. Cette réunification des agriculteurs, éleveurs, commerçants, des kurumba, songhai, peulhs, mossis… sonnera le tocsin de la renaissance du Grand Aribinda et contribuera à faire oublier les épisodes post-Yirgou.

Il convient de rappeler que déjà en 1895, le général  Destenave explorateur et intellectuel touche à tout préconisait dans un rapport adressé au Ministre des Colonies d’ériger un fort militaire dans la cité d’Aribinda afin disait-il (je cite) « de fermer aux Touareg l’énorme trouée de 250 kilomètres existant entre Hombori, au nord du Macina, et Dori, empêcher leur razzia chez les Foulbés du Torodé ou, à l’occasion leur alliance avec ces derniers en vue d’intercepter les routes de l’Ouest à l’Est et piller les caravanes »

Sa vision était prophétique en quelque sorte puisque près de 200 ans plus tard Aribinda demeure la clé qui ouvre la porte vers le sud aux mouvements prédateurs.

Le second tableau privilégie concomitamment   la négociation entre les communautés du Macina et celles du Grand Aribinda. Cette perspective n’est envisageable, à mon sens qu’avec Amadou DIALLO-KOUFA et dans une moindre mesure avec le GSIM. Avec l’EIGS composé des chiens les plus enragés parmi les plus enragés, seul le langage du canon devrait mettre un terme à la guerre insensée que livre Walib Al Saharaoui et ses affidés.

Amadou KOUFA a un parcours globalement semblable à celle d’un prédicateur burkinabè appelé Djafar. La seule différence entre les deux est que le ci devant KOUFA a mal tourné et a décidé de combattre ses frustrations individuelles ethniques par un engagement terroriste tantôt que son homologue Djafar se défoulait de ses spleens par une satyre sans concession de la société sahélienne et burkinabè. Mon opinion est que ses deux hommes devraient être mis en contact. De même, il ne serait dénué d’intérêt que des jeunes érudits kurumba soient mis à contribution pour attester de la vacuité politique, religieuse et culturelle de l’entreprise Macina et rappeler la résilience multi séculaire de l’Aribinda.

LI : Vous dites également que le découpage administratif constitue un handicap majeur dans la revalorisation et l’intégrité du territoire ARIBINDA. Q’en est-il exactement ?

KS : Je pense que l’identité territoriale qui est consacrée par tout découpage administratif en circonscriptions ou collectivités doit œuvrer à mettre en valeur  l’unité et la cohésion territoriales avec pour marqueurs principaux la cohérence horizontale (intra territorialité) et celle verticale (inter territorialités et complémentarités). Quand on retrace le parcours statutaire du territoire Aribinda, on note une plus grande logique de découpage durant la colonisation. A contrario, il est malaisé de percevoir la logique et l’ambition administratives dans les statuts post coloniaux.

Pour illustrer cette allégation, il faut rappeler la création d’un district d’Aribinda au début de la colonisation et sous l’impulsion de Destenave.

A l’avènement de la colonie de Haute Volta, le statut et l’ancrage de Aribinda ont fait l’objet d’une série de valses administratives marquées notamment par la création d’un canton d’Aribinda rattaché au cercle de Dori, puis au cercle de Ouahigouya, puis au Soudan français puis encore au cercle de Ouahigouya. Au terme de ces péripéties, Aribinda est érigé en cercle distinct en 1950. En 1958, ce territoire est relégué au rang de poste administratif. En 1984, Aribinda accède au statut de département puis est scindé en 1985 en deux départements distincts avec la création du département de Koutougou.

Au regard de son importance stratégique et historique, le grand Aribinda aurait pu franchement connaitre un meilleur traitement en accédant au moins au statut de province ou à tout autre statut propre à garantir le rôle pivot ou tampon de cet espace spécifique.

www.libreinfo.net

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