L’exploitation artisanale de l’or au Burkina Faso rencontre des difficultés telles que les conflits et la fuite de l’or par des canaux non homologués. Cela, en raison de la création des sites d’orpaillage non contrôlés par l’Etat. Pour mieux cerner la question, nous avons profité de la 2è édition de la Journée de l’artisan minier, tenue du 21 au 22 juillet à Gaoua, chef-lieu de la région du Sud-Ouest pour interviewer Antoine Karambiry. Il est l’Associé-Gérant du Cabinet d’affaires juridiques et miniers (CAJM). Il a été Directeur général de la Brigade nationale anti-fraude de l’or (BNAF) de 2008 à 2013 et Directeur général de l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS) de 2015 à 2017. Dans cette interview, il donne sa lecture de la situation des sites d’orpaillage et de la fraude de l’or au Burkina.
Propos recueillis par Nicolas Bazié, de retour de Gaoua
Libreinfo.net : Quelle appréciation faites- vous de la journée de l’artisan minier JAM ?
Antoine Karambiry : C’est une belle opportunité ce cadre de réflexion sur les défis du secteur minier artisanal. Il facilite les échanges entre les acteurs et les décideurs. J’ai fortement apprécié l’initiative dès le début et j’avais même souhaité que l’Etat la pérennise. Elle va permettre aux autorités de prendre des meilleures décisions pour ce secteur.
Libreinfo.net : Comment expliquez-vous la multiplicité des sites d’exploitation artisanale au Burkina Faso ?
Antoine Karambiry : Le phénomène de l’orpaillage vient de loin. Vous vous souviendrez qu’il y a eu la famine au Burkina Faso dans les années 1970 ou 1980.
De nombreuses personnes s’étaient retrouvées sans moyens de subsistance. C’est ainsi que les gens ont commencé à se diriger vers l’exploitation artisanale de l’or. Très vite, l’Etat avait encadré l’activité et avait permis aux artisans d’exploiter les ressources minières.
Avec le temps, ils ont trouvé que c’est une activité pérenne et qu’elle générait plus de revenus que l’Agriculture. A un moment donné, le cours de l’or a augmenté et cela a créé à l’époque, un engouement. Sinon, au commencement c’était juste une activité de survie.
C’est en 1986 que l’Etat a créé le Comptoir burkinabè des métaux précieux pour encadrer et collecter l’or qui provenait de l’orpaillage. Il avait été fermé quelques années après et il y a eu un vide.
C’est suite à cela que l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS) a été créée. Une agence que j’ai eu l’insigne honneur de diriger de 2015 à 2017 en tant que premier Directeur général.
Libreinfo.net : Peut-on véritablement encadrer ce secteur pour empêcher la fuite de l’or par les canaux non homologués ?
Antoine Karambiry : Ah ! c’est une réalité la fraude de l’or. L’Etat a créé les comptoirs d’achats et d’exportation d’or gérés par des privés qui ont eu des agréments. C’est là que la fraude a commencé.
C’est après qu’on s’est rendu compte qu’ils ne déclaraient rien. Cela, pour fuir les impôts que l’Etat prélève sur l’or exporté. Sur chaque gramme d’or, la part de l’Etat est de 5%. Jusque-là, nous ne sommes pas satisfaits des résultats parce que les gens ne déclarent pas du tout.
On a estimé à 10 tonnes l’or qui sort de notre sous-sol. En 2022 par exemple, c’est moins de 500g d’or qui ont été déclarés. Pourtant, on nous dit qu’il y a 10 tonnes d’or qui sont partis à l’extérieur.
C’est ça la fraude ! Ce sont des individus qui le font. C’est pourquoi j’insiste sur la nécessité de formaliser les orpailleurs. Une fois cela fait, l’Etat pourra avoir un œil sur les ressources exploitées.
Libreinfo.net : Pensez-vous que la fermeture des sites d’orpaillage dans certaines localités pour des raisons d’insécurité liée au terrorisme soit une bonne mesure ?
Antoine Karambiry : L’exploitation artisanale de l’or a été suspendue de manière normale. Parce qu’en période d’hivernage, il y a des risques d’éboulement et d’autres accidents.
Il y a surtout l’insécurité qu’il ne faut pas oublier. La fermeture des sites d’orpaillage est donc faite par anticipation. Les terroristes peuvent utiliser ces sites pour financer leurs activités.

Laisser ces sites d’orpaillage, c’est donner le moyen aux groupes armés terroristes d’exister. L’Etat peut connaitre de grosses pertes. Ainsi, le fait de fermer les sites miniers artisanaux est une manière pour assécher les sources de financement de ces groupes armés.
C’est une bonne chose. A l’occasion de la journée de l’artisan minier, les acteurs ont déclaré que cela ne les arrange pas. C’est une vérité aussi, puisqu’ils n’ont plus d’activité. Ils demandent à l’Etat de rouvrir les sites miniers des zones qui ne connaissent pas d’insécurité.
Libreinfo.net : Il n’est pas rare de voir des exploitants artisanaux s’attaquer aux installations des sociétés minières industrielles, qu’est ce qui explique à votre avis cela ?
Antoine Karambiry : C’est tout simplement de l’indiscipline. Tout est encadré par la loi à ce que je sache. Le Code minier a clairement défini qu’il y a des zones d’exploitation industrielle.
Les sociétés industrielles ont le droit d’extraire l’or qui se trouve dans ces zones précises. En principe, ce ne sont pas des lieux de cohabitation avec l’orpaillage.
Les conflits auxquels on assiste actuellement sont des rapports de force. Je pense que ce sont les orpailleurs qui font la force aux industries minières.
Sinon ils peuvent poser le problème et l’autorité verra comment modifier le code minier. C’est aussi simple. Pour le moment, c’est illégal d’exploiter dans une zone appartenant à une société industrielle.
Libreinfo.net : Alors comment améliorer les rapports entre les exploitants artisanaux et les sociétés minières ?
Antoine Karambiry : Il faut forcément le dialogue. Et, des moments comme la journée de l’artisan minier permettent de discuter autour d’une même table en vue de trouver un terrain d’entente. Si les orpailleurs sont bien organisés, ils peuvent demander à l’Etat de leur offrir des espaces d’exploitation.
Libreinfo.net : L’insécurité menace l’industrie minière au Burkina, avez-vous des inquiétudes pour l’avenir du secteur minier ?
Antoine Karambiry : Absolument ! Le phénomène de l’insécurité a un impact très important sur le secteur minier artisanal. Il y a des zones de recherches dans lesquelles on ne peut plus avoir accès parce qu’elles sont en pleine brousse.

Cela décourage déjà la recette. En plus, il y a des mines qui ne peuvent plus être approvisionnées parce que les moyens d’approvisionnement sont le plus souvent attaqués en cours de route par les groupes armés terroristes. Cela a un impact très sérieux sur l’activité minière et cela est très regrettable pour l’Etat.
Libreinfo.net : Que doit faire l’Etat et les sociétés minières pour ne pas perdre dans la crise actuelle ?
Antoine Karambiry : Il faut se donner la main. Il faudra que les sociétés minières aussi comprennent que tant que la paix ne revient pas, il sera difficile pour elles de mener leurs activités.
C’est de voir dans quelle mesure elles peuvent appuyer l’Etat pour qu’il puisse bouter le phénomène du terrorisme hors des frontières du Burkina Faso. C’est un effort d’ensemble qu’il faut faire. C’est à ce seul prix qu’il faut espérer venir à bout du terrorisme parce que l’Etat est fatigué. La guerre entraîne trop de dépenses.
Libreinfo.net : L’affaire charbon fin est devant la justice, qu’est-ce que vous pensez de ce procès ?
Antoine Karambiry : On ne commente pas une affaire qui est devant la justice. Le dossier charbon fin est en cours de traitement et se prononcer là-dessus, c’est s’ingérer dans le travail de la justice. Attendons de voir les résultats.
Libreinfo.net : D’aucuns pensent que l’Etat et Essakane doivent privilégier la solution de Transaction, c’est votre avis aussi ?
Antoine Karambiry : La transaction est prévue dans le règlement des litiges entre l’Etat et les sociétés minières. C’est-à-dire une partie peut avoir tort et trouve qu’elle ne peut pas payer la somme d’argent qui lui a été demandée. Elle demande donc un arrangement pour que l’autre partie diminue le montant.
Les textes prévoient comment calculer le montant. On peut dire que l’amende de la partie non déclarée est quatre fois la valeur de cette partie ou du moins la valeur de tout le stock qui est concerné par la fraude.
A ce niveau, la transaction est possible. Mais il faut arriver à établir que la société a vraiment tort, qu’elle est en infraction et qu’elle demande un règlement à l’amiable.