Ceci est une tribune de Jean-Baptiste Guiatin, docteur en Sciences Politiques, sur la suspension de l’aide au développement de la France pour le Burkina Faso.
C’est peu de dire que les relations franco-africaines ne ressemblent pas à un long fleuve tranquille traversant de paisibles savanes et forêts africaines, tel le Nil prêt à affronter le désert égyptien. Le dernier développement en date le prouve amplement. En effet, le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères a décidé de suspendre l’aide au développement qu’elle accorde au Burkina Faso.
Le second est une ancienne colonie de la première, et cette précision est très importante dans la mesure où une certaine littérature scientifique des relations économiques internationales nous démontre qu’il existe une forte corrélation entre d’une part le montant et la fréquence de l’aide accordée, et d’autre part l’existence ou non de liens historiques entre le pays donateur et le pays receveur.
Jusqu’à une époque récente la France était le premier bailleur de fonds du Burkina Faso. Les statistiques de ces dix dernières années la placent toujours parmi les cinq plus grands bailleurs de fonds du pays des hommes intègres.
Détrompons-nous, dans les mécanismes de l’aide internationale son rôle est beaucoup plus important pour les pays sahéliens. Certes, c’est une simple suspension qui peut être levée à tout moment au gré des fluctuations de la vie internationale.
Avant le Burkina Faso, le Mali et la République Centrafricaine ont vu leur aide coupée. Au vu de la texture géopolitique actuelle au Sahel, cette suspension n’est donc pas une anecdote, un incident de parcours dans les rapports entre la France et ses anciennes colonies africaines, mais elle est plutôt révélatrice d’une nouvelle logique d’action. Et c’est pourquoi on pourrait se permettre quelques commentaires.
D’abord, on pourrait s’intéresser à l’appui budgétaire. Cette catégorie d’aide atterrit directement dans les coffres de l’Etat bénéficiaire et celui-ci peut l’utiliser comme bon lui semble et sans contrepartie directe.
Du côté du pays donateur, l’aide budgétaire est le plus maniable des instruments de la politique étrangère.
Certes, elle ne constitue pas la part la plus importante du cadeau reçu par le Burkina Faso, sa suspension a cependant une portée très grande. En effet, dans la mesure où elle est l’un des principaux instruments de la politique étrangère du pays donateur, sa suspension indique clairement et sans ambiguïté que les relations entre les deux protagonistes – le Burkina Faso et la France – sont vraiment tendues.
La suspension concerne aussi les projets de développement socio-économique financés par la France à travers son agence bilatérale d’aide, Agence Française de Développement (AFD). Elle semble donc totale, même si l’aide privée française ne parait pas touchée.
Cette suspension est une pression économique relevant d’une stratégie classique – celles des sanctions – des grandes puissances pour faire plier leurs adversaires, ce d’autant plus que les interventions militaires sont de plus en plus coûteuses et impopulaires auprès de l’opinion publique occidentale.
Ensuite, cette suspension représente sans doute un manque à gagner pour le gouvernement burkinabé qui devrait revoir sa copie de prévision budgétaire.
Même en période d’abondance, une telle coupe se fait nécessairement sentir dans les calculs des argentiers du pays bénéficiaire, surtout quand on est classé pays dépendant de l’aide extérieure, avec un indice au développement au bas du classement.
Pour le moment, on attend toujours une réaction officielle du gouvernement burkinabé. En tout cas, c’est une pression supplémentaire de la part de la communauté internationale, un défi à relever.
Enfin, la France semble suivre la dynamique des sanctions initiée par les Etats-Unis dès le coup d’Etat du MPSRI.
Pour rappel, les Américains ont suspendu le Burkina du Millenium Challenge Account et de l’Africa Growth Opportunity Act au lendemain du coup d’Etat de janvier 2022. Avec la suspension de l’aide française, on pourrait se demander si cette pression économique est exercée de façon concertée.
Si c’est le cas, on pourrait se demander comment le Burkina va réagir à cette pression groupée. Ses stratégies d’ajustement, seront-elles efficaces ? Wait and see !
Jean-Baptiste GUIATIN, docteur en Sciences Politiques