L’on en reparle toujours, le panel de haut niveau organisé par le mouvement Citoyen du Renouveau, lundi 16 décembre à Ouagadougou a diagnostiqué le problème sécuritaire sous plusieurs angles (constitutionnel, politique, militaire, diplomatique etc.). L’Universitaire Abdoul Karim Saidou a développé la question du jour : le Burkina Faso est-il en guerre ? sous différents prismes du point de vue constitutionnel, la tenue des élections, la présence de Barkhane au Sahel etc. www.libreinfo.net vous propose une partie de l’exposé du Dr Abdoul Karim Saidou. Le thème du panel : Burkina Faso, un pays en guerre ? Que faire ?
On sait que le concept de guerre de façon traditionnelle est présenté comme un duel entre gladiateurs. Du point de vue de la législation, nous ne sommes pas en guerre. Cela veut dire qu’on n’est pas dans une guerre de type conventionnel où il y a une déclaration de guerre entre Etats. Il n’y a pas eu de déclaration de guerre parce qu’on ne sait pas à qui déclarer la guerre compte tenu de la mosaïque d’acteurs qui sont dans la région, certains sont jusqu’en Asie et au Moyen Orient. En plus, il y a un problème de législation sur les forces armées.
Vous vous rappelez que l’actuel président du Faso avait laissé entendre qu’il n’y aurait pas de militaire dans son gouvernement. A part le gendarme à la retraite (Ousseni Compaoré) actuellement ministre de la Sécurité, on peut dire qu’il a tenu parole. Ce qui veut dire qu’il y a une certaine méfiance envers les militaires. Vous savez aussi qu’il y a une certaine rivalité entre le ministre de la Sécurité et celui de la Défense pour savoir qui va lutter contre le terrorisme parce que la menace terroriste est transversale d’autant qu’elle relève à la fois de la sécurité intérieure et de la Défense.
Nous avons aussi des implications liées aux droits humains. Par exemple l’instauration des couvre-feu pose des problèmes de droits humains. Sans oublier que nous faisons aussi face à une violence d’Etat portée par les forces armées.
Il y a aussi le débat qui est posé sur la question des élections qui est d’actualité sur les réseaux sociaux notamment parce qu’on se pose la question de savoir s’il faut reporter les élections et attendre que la situation sécuritaire s’améliore avant de les organiser. Dans ces genres de situations, on ne sait pas quand on aura la paix. Prenez l’exemple du Mali : si l’on devrait conditionner la tenue des élections au retour de la paix, Dioncounda Traoré serait toujours au pouvoir. Il en est de même pour l’Afghanistan, la Somalie et la Centrafrique. On peut donc dire que la réponse à la question de savoir s’il faille déclarer la guerre ou non est éminemment politique. Cette question n’a pas de réponse sur le plan scientifique.
Maintenant qu’on sait beaucoup de choses sur ce qui se passe grâce à l’Institut d’Etudes de Sécurité, sur la nature des menaces, sur la cartographie des acteurs, sur les modes opératoires ainsi que les motivations des combattants, il y a lieu de se pencher sur la réponse des Etats.
Pour ce qui est du Burkina, je peux citer un certain nombre de réponses qui ont été élaborées depuis 2015.Il s’agit du renseignement à travers la création de l’Agence Nationale des Renseignements qui est censée coordonner les différents services de renseignements. Il y a aussi la création de pôles judiciaires spécialisés sur la question du terrorisme, l’élaboration de lois anti-terroristes, la mise sur pied de brigades antiterroristes au niveau des différentes forces de sécurité. La reforme sur la police de proximité a été adoptée en novembre 2016.
De son côté, l’armée a adopté un plan de stratégie de reformes qui a été adopté par le gouvernement et suite auquel une loi de programmation militaire a été adoptée par l’Assemblée nationale. Un forum national sur la sécurité a été organisé en 2016 à l’issue duquel le président du Faso a lancé l’élaboration d’une politique de sécurité nationale qui est censée être la réponse aux multiples défis de sécurité d’un point de vue holistique.
Vous savez que notre politique de défense date de 2004.Pour les experts militaires, cette politique n’est plus d’actualité. Cette politique comporte trois volets essentiels : une politique de défense économique, de défense civile et de défense militaire. Quant à la politique de sécurité intérieure, elle date de 2010 et la loi de sécurité intérieure date de 2003.Le chantier qui a été ouvert par le Président du Faso consiste à avoir un socle commun de l’ensemble de ces politiques de sorte que les politiques ou les stratégies aux plans civils, militaires et de la lutte contre l’extrémisme violent puissent être des stratégies sectorielles qui vont découler de cette politique commune. C’est donc un chantier extrêmement important.
Un certain nombre de choses ont aussi été faites sur le plan opérationnel tels que les changements à la tête des commandements, les opérations de sécurisation. De son côté, le conseil supérieur de la défense nationale est resté pendant longtemps une sorte de coquille vide mais qui a commencé à fonctionner. Il y a aussi des outils d’analyse au niveau de l’armée tels que le secrétariat général de la défense qui ne fonctionnaient pas très bien mais qui a aussi commencé à jouer son rôle de veille sur les questions stratégiques.
Comme perspectives, il faut finaliser le processus de réformes des politiques publiques de sécurité. Sur ce chantier, la société civile a un rôle important à jouer. Le défi est aussi lié à la gouvernance du secteur de la Sécurité notamment les questions liées aux finances de l’appareil sécuritaire de façon générale même si le secret défense est souvent mis en avant. La police de proximité doit aussi être opérationnalisée. La collaboration de la population que tout le monde appelle doit se faire dans le cadre de la police de proximité. Dans la plupart des communes les formations globales de sécurité n’ont pas été opérationnalisées.
Au plan régional un certain nombre de réformes ont aussi été adoptées depuis la création du G5 Sahel. Du reste, on observe à des tâtonnements parce que les Etats du Sahel se sont alignés sur la stratégie française. En effet, c’est la CEDEAO qui devrait avoir le leadership sur la stratégie de sécurité mais la CEDEAO fait peur à des pays comme la France du fait qu’elle n’a pas d’emprise sur celle-ci du fait de la présence du Nigéria. Maintenant qu’on a du mal à opérationnaliser la force du G5 Sahel, on demande l’appui financier de l’UEMOA et de la CEDEAO. En somme sur le plan régional on assiste à une impasse. C’est pourquoi il se pose la question de savoir si Barkhane doit rester ou quitter. La rencontre de Pau doit permettre de clarifier cette question.
Une chose est sure, si l’on analyse le sujet de la présence de Barkhane sous la perspective burkinabè, il y a une corrélation entre la présence militaire française dans le Sahel et la montée du terrorisme. De Serval à Barkhane, le terrorisme n’a fait qu’augmenter. Mais beaucoup de choses nous échappent : est-ce que la situation serait pire sans Barkhane ? Est-ce que Barkhane va partir même si on leur dit de partir ? Et même s’ils sont partis, avons-nous les moyens de vérifier qu’ils sont bien partis ?Sont-ils complices avec les terroristes, nul ne saurait répondre. Toujours est-il que pour avoir discuté avec des militaires nigériens, je sais que ce qu’on appelle sentiment antifrançais est partagé en leur sein. Les Français sont en effet soupçonnés par beaucoup de militaires d’être complices des terroristes. Mais nous ne disposons pas d’éléments pour l’affirmer. Tout comme on ne sait pas s’il y a une alternative à Barkhane.
Propos d’Abdoul Karim Saidou,
Enseignant à l’Université Ouaga II, analyste politique
Propos recueillis par Siébou Kansié