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Jeûne musulman à Ziniaré
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Le jeûne musulman boucle aujourd’hui sa première décade (période de dix jours). A Ziniaré, chef-lieu de la province de l’Oubritenga et de la région du Plateau Central, les fidèles sont confrontés à la pénurie du sucre en carreaux et à l’inflation des prix des produits de première nécessité. Libreinfo.net a fait le constat.

Par Natabzanga Jules Nikiema, correspondant dans l’Oubritenga 

Des fidèles musulmans vivent une abondance spirituelle contre une pénurie matérielle en cette période de ramadan. Il est 18 h 14. Abdoul Rasmané Ouédraogo, un jeune commerçant, s’apprête à rompre son jeûne. Devant lui, une tasse de thé, une pomme tranchée, un bidon d’eau minérale de 1,5 litre, un plat de bouillie et un petit seau en plastique rempli de jus de pâte de mil composent son menu de rupture de jeûne. Il faut adapter son alimentation. « Les produits coûtent cher. Le sucre blond en carreaux, par exemple, manque sur la place du marché. Nous sommes réduits à la consommation du sucre en poudre », justifie le vendeur de cyclomoteurs.

Jeûne musulman à Ziniaré
Abdoul Rasmané Ouédraogo en train d rompre son jeûne

Face à la cherté de la vie, Mahamoudou Dicko, personne déplacée interne en provenance de Dori avec une famille de plus de 12 membres, s’adapte autrement. Il fait de la boucherie. Une résilience qui lui permet de miser au moins 2 500 FCFA par jour pour le jeûne. A la place de son habituel Gapal culturel, il se contente actuellement de la bouillie et de dattes. « Nous nous débrouillons avec le peu dont nous disposons », dit-il.

La débrouillardise est le maître-mot chez Bibata Traoré. C’est une vieille femme (environ 60 ans) démunie qui vit seule dans une bicoque isolée. Assise devant un foyer en trois pierres, elle prépare une sauce de gombo sec pour sa pâte de mil restante. Elle suspend de remuer, la torche braquée sur la marmite bouillante. « Souvent, c’est avec de l’eau plate que je jeûne et je romps », indique la vieille pour montrer l’élévation de sa spiritualité.

Des acteurs sous pression économique

L’inflation paraît avoir des causes chez des acteurs sous pression économique. L’essentiel repose sur le dispositif de contrôle du marché par la mairie, les spéculations d’importation et l’insécurité vécue dans le pays.

Rasmata Sawadogo vend du beurre de karité au marché central de Ziniaré. Elle vit cette morosité du marché depuis le début du carême. « Les clients trouvent mon produit très cher et ne payent pas », déplore la vieille femme. « La cherté des produits est générale et n’est pas liée au mois de carême », fait-elle comprendre.

Jeûne musulman à Ziniaré
Rasmata Sawadogo, vendeuse de beurre de karité au marché central de Ziniaré

El hadj Sidiki Rabo est le président de l’Association des commerçants de Ziniaré. Il pointe d’abord du doigt les règlementations instaurées en matière de commerce. Principalement, il met en avant les récents déguerpissements des commerçants anarchiquement installés aux abords des voies publiques par la mairie. « C’est normal qu’il y ait inflation car les jeunes aujourd’hui veulent la facilité et ne s’intéressent pas à l’agriculture », justifie-t-il. Ensuite, il avance la cupidité des jeunes commerçants et l’exagération générale chez tous les commerçants. « Nous exagérons quelque part aussi car nous voulons avoir un bénéfice de cent pour cent partout », poursuit-il. Il accuse le double jeu des grossistes. « Il y a aussi le fait que les grossistes et les détaillants se concurrencent sur le marché », indique-t-il.

Dans une alimentation de la place, El hadji Lamine Tiendrebeogo fait ses comptes et suit attentivement la sortie de ses produits en présence de clients qui défilent. Il est à la fois grossiste et détaillant. Seul le sucre granulé est disponible contrairement au sucre blond en carreaux de l’usine SOSUCO qui a disparu il y a environ deux mois. Le bidon de 20 l d’huile Dinor coûte 23 000 F CFA et celui jaune, 22 500 F CFA. Il accuse plutôt l’importation et l’ensemble des transactions comme causes de l’inflation. « Il y a entre cinq à six postes de contrôles policier et douanier sur la route auxquels nos chauffeurs sont soumis avant d’arriver à destination avec le paiement de taxes », justifie-t-il. « Chacun tire la couverture à son avantage » dit-il en réponse aux accusations des détaillants contre les grossistes en lien avec les augmentations des prix. « L’importation coûte cher avec les frais de transport associés à la sous-traitance ou les prix connaissent de légères augmentations », martèle-t-il.

Solidarité communautaire et religieuse

Le mois de jeûne est un mois de solidarité communautaire et religieuse. C’est un mois de partage. Bibata Traoré affirme n’avoir rien reçu pour le moment comme générosité de bonnes volontés ou d’associations islamiques en guise de solidarité pour effectuer le jeûne. « Peut-être après. Mais, pour l’instant rien ! », dit-elle. Chez Mahamoudou Dicko, c’est le même son de cloche. A Dori, il bénéficiait du cash et des aides humanitaires du PAM (Programme alimentaire mondial). « Ici, rien ! », dit le boucher avec insistance et désolation.

Jeûne musulman à Ziniaré
Cheick Saidou Tapsoaba, imam à la mosquée de vendredi au secteur 1 de Ziniaré

Après la prière du Magrib (18 h passées), Cheick Saidou Tapsoba, imam à la mosquée de vendredi au secteur 1 de Ziniaré, fait des invocations entouré de quelques fidèles. Malgré les péripéties, les musulmans observent le jeûne et s’adonnent à la prière. La solidarité collective n’est pas visible. En effet, nous faisons le constat d’une absence d’intervention d’associations islamiques œuvrant dans l’humanitaire à travers la collecte de vivres au profit des démunis. Au sein de la mosquée elle-même, une organisation consistant à collecter des vivres pour les personnes démunies n’existe pas. « Les principes religieux voudraient que l’on manifeste de la solidarité envers les démunis pour leur permettre d’accomplir sereinement le jeûne. C’est par cet acte que nous recevrons des bénédictions d’Allah », indique le guide religieux. « Individuellement, certains musulmans font œuvre de solidarité », précise-t-il.

La crise sécuritaire plombe l’approvisionnement

Sur la place du marché, le sac de maïs de 100 kg coûte 32 000 F CFA, 30 000 F CFA pour celui de sorgho rouge, 26 000 F CFA pour le sac de sorgho blanc et 36 000 F CFA pour le sac de petit mil. Jean Baptiste Ilboudo, vendeur de céréales, trouve plutôt une autre justification de son côté. Il invoque l’impact de la crise sécuritaire sur l’approvisionnement. Les années passées, il faisait de bonnes affaires en cette période de jeûne. Hélas ! Au-delà de la faible production agricole constatée au niveau local, il évoque le contexte sécuritaire difficile. « Les agriculteurs ont fui leurs zones de production agricole à cause de l’insécurité. Donc, le ravitaillement est dur », indique M. Ilboudo.

Jeûne musulman à Ziniaré
Jean Baptiste Ilboudo, vendeur de céréales

Au Burkina, il n’existe pas à ce jour une étude recensant les causes profondes de l’inflation en période de jeûne, selon les spécialistes. Maténé Ouattara est économiste. Selon elle, l’inflation peut être influencée par différents facteurs comme la demande et l’offre, les coûts de production, la croissance économique, la politique monétaire, les fluctuations des taux de change, les chocs pétroliers, les changements de réglementations, etc. Et les causes profondes sont économiques, structurelles ou sociales. Elle cite l’augmentation de la demande, des coûts de production, la dépréciation de la monnaie, l’augmentation de la masse monétaire en circulation.

Selon son constat, en période de jeûne ou de fêtes, la demande des biens de première nécessité augmente par rapport aux autres mois ordinaires. « Cette forte demande peut occasionner une augmentation des prix sur le marché si les acteurs économiques ne possèdent pas de quantités suffisantes de ces biens », explique-t-elle. « L’une des raisons de l’inflation peut aussi découler de la mauvaise foi des opérateurs économiques pour se faire plus de gains », estime l’économiste Maténé Ouattara.

En attendant, les fidèles musulmans jeûnent sous une résilience spirituelle malgré l’inflation aux causes profondes et diverses. « La baisse du prix des produits dépend seulement des commerçants eux-mêmes et non de l’État », résume El hadj Sidiki Rabo.

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