spot_img

Burkina Faso: grogne autour de la mise en place des délégations spéciales, ce qu’il faut savoir des délégations spéciales

Publié le : 

Publié le : 

Depuis l’annonce de la mise en place des délégations spéciales, il ne se passe pas un seul jour sans que des difficultés ne soient relevées dans plusieurs localités du Burkina. Libreinfo.net a interrogé l’Administrateur civil, Kalifara Sere sur l’historique des délégations spéciales, les modalités de mise en place de ces délégations et les enjeux de ce fonctionnement. Lisez cet extrait de l’entretien.

Par La Rédaction

Libreinfo.net: Notre première question relève d’une actualité brulante. Suite au décret du 1er février dernier portant Dissolution des conseils de collectivités territoriales et installation de  Délégations spéciales, il y’a comme un grand tohu bohu. Pouvez-vous nous expliquer cette procédure des délégations spéciales ?

Kalifara Sere: Cela peut donner à sourire que, plusieurs années après la communalisation intégrale, on s’étripe ça et là pour la mise en place de « délégations spéciales » dont la terminologie elle-même résonne comme une survivance archaïque. De nombreux chercheurs en décentralisation à travers le monde ignorent jusqu’à la signification même du concept tant la délégation spéciale a tendance à etre expulsée de la lexicologie spécifique.

Il faut savoir que la délégation spéciale (y compris la délégation spéciale générale) est partie intégrante de notre législation sur le processus. La délégation spéciale a été relue plusieurs fois et toujours à minima et sa réforme n’a pu totalement aboutir au terme des travaux d’élaboration des nouveaux référentiels de la décentralisation.

Il faut retenir que depuis l’avènement du processus de décentralisation en 1995, la délégation spéciale divise et continue de diviser les acteurs. En effet, même pour finaliser un projet de décret consacré à la délégation spéciale, les risques sont importants de se heurter à un boycott des élus locaux ; tant ces derniers considèrent que la délégation spéciale est une formule peu subtile de récupération par la déconcentration des processus authentiques d’auto gestion.

A contrario, il faut convenir qu’en dépit des nombreux avatars constatés par le passé, la délégation spéciale continue de fasciner les administrateurs territoriaux tentés par un cumul de fonctions carrément original ! Il convient de rappeler que notre pays a connu jusqu’à 2006 (date de la communalisation intégrale) plus de 75 ans de délégations spéciales multiformes. Le Ministère en charge des collectivités territoriales a donc la mémoire vive de plusieurs générations et carrières de sous-préfets maires, puis de préfets-maires.

Les délégations spéciales consacrées par la loi municipale de 1884 a beaucoup évolué dans l’espace francophone et à partir de 1920, a été déclinée sous différents angles de tirs dans les colonies dans les communes indigènes, les communes de premier degré, les communes mixtes, les communes de moyen puis de plein exercice, etc. Au Burkina à la date des élections municipales d’avril 2006, nous avions 74 délégations spéciales permanentes !

Pour répondre de façon concise à votre question, je dois avouer que j’ai du mal à apprécier globalement (de façon poly axiale) la dissolution des conseils de collectivité car j’ignore sous quel prisme politique la question a été appréhendée. Sous le prisme politique, toute rupture telle que celle du 24 janvier 2022 engendre la formation d’un nouveau tableau de valeurs et de rapports de forces politiques. La délégation spéciale est-elle un des canaux de cette nouvelle écriture ?

Cependant, d’un point de vue purement technique, j’affirme sans ambages que la démarche interroge, tant elle est cafouilleuse et peu orthodoxe. Le MPSR ne semble pas avoir bénéficié de conseils techniquement irréprochables.

Les malfaçons de la procédure sont si nombreuses que je me contenterai d’apporter mon appréciation technique sous deux angles seulement:

Primo : de la contexture juridico administrative

Au 1er février, il n’existait plus de conseils de collectivité régulièrement constitués. Il n y avait plus que des  conseils sortant habilités par la loi 021 du 29 avril 2021 et ce jusqu’au 21 mai 2022, à exercer la totalité des pouvoirs habituellement dévolus aux organes délibérants et exécutifs. Le décret du 1er février ne peut pas contrarier la loi : c’est par une ordonnance que le MPSR doit mettre fin à la prorogation puis décider souverainement de la suite.

Or, le décret en cause se prévaut de dissoudre les conseils en totalité (ce qui est hors de sa portée) et d’instituer des délégations spéciales (ce qui relève de sa portée). On a donc commis une grave confusion en compilant dans un seul acte inapproprié deux questions totalement différentes par nature et par destination.

Il faut être clair ; je ne pose pas un problème d’opportunité. Je ne dis pas que la dissolution n’est pas possible puisque le président du Faso lui-même père des CT, a été dissous ! Je ne dis pas non plus qu’il ne faut pas installer des délégations spéciales sous quelque forme que ce soit bien que je tiens la délégation spéciale pour une forme moyen-âgeuse de gestion des territoires.

Le bon conseil au MPSR pour instituer une nouvelle étape de gestion des CT aurait été de distinguer clairement  les séquences : d’abord la fin de la prorogation, puis l’institution de la gestion suivant la modalité des affaires courantes dévolues aux représentants de l’Etat (les affaires courantes donnent une marge de 3 mois au MPSR pour bien calibrer la délégation spéciale par un décret ad’hoc).

Le décret 431 de 2013 n’est plus le décret d’application des procédures de dissolution puisque trois (3) lois modificatives successives sont intervenues pour régir cette même matière. Un nouveau décret d’application est en chantier depuis belle lurette et est toujours sous le boisseau pour diverses raisons.

Il faut aussi convenir que l’agencement de la loi de décentralisation est asez complexe et induit de nombreuses erreurs d’interprétation notamment dans les liens à faire entre les alinéas 2 des articles 172 et 251 et des alinéas des articles 173 et 252.

Enfin, il reste que le décret d’application définisse de façon opérationnalisable  la composition «  à l’image des conseils élus »

Secundo : de la contexture administrative et organisationnelle

Le Burkina Faso est un pays qui a mal à sa déconcentration territoriale qui est une concentration de toutes les impuissances administratives, de toutes les impécuniosités, et de toutes les déshérences. Sa vocation de conseil-appui-substitution aux conseils territoriaux se présente comme l’ambition d’un indigent chargé de faire des dons financiers aux communautés.

Les chefs de circonscriptions administratives, plutôt que d’etre au centre et à l’instigation de l’appui aux CT, en sont les observateurs lointains et inconsidérés.

La délégation spéciale, singulièrement la délégation spéciale générale est une affirmation d’un représentant de l’Etat neutre, professionnellement impeccable, incrusté dans la base-système de la décentralisation jusqu’au bout des ongles, etc.

Malheureusement, les SG de Mairie sont davantage au fait des réalités des collectivités territoires que leurs homologues représentants de l’Etat. De surcroit, la gestion des ressources par le département de l‘Administration du territoire porte le sceau d’une extrême politisation à telle enseigne que si l’objectif des délégations spéciales est de réduire l’empreinte du MPP et de l’APMP sur les CT, il faudrait alors procéder à un gigantesque mouvement du commandement territorial afin d’installer comme représentant de l’Etat des hommes et des femmes plus compatibles avec les ambitions du MPSR… toute chose qui nous entrainerait dans un autre cycle éventuel de « politisation ». Évidemment la solution à ce problème pourrait etre notamment l’institution du corps préfectoral à deux composantes (pour intégrer la promotion des catégories inférieurs) afin d’assurer une gestion saine et éthique des emplois-fonctions attachés à la représentation de l’Etat.

Au total, il me semble opportun d’instruire la gestion selon la  procédure des affaires  courantes  permettant à court terme (3 mois) de :

soumettre et faire adopter un décret approprié définissant le nouveau format des délégations spéciales ;

évaluer en profondeur la question du statut des emplois et fonctions liés à la représentation de l’Etat ;

actualiser la loi organique portant définition, organisation  et gestion de l’Administration du territoire ;

etc.

Il convient par ailleurs de mettre fin aux mesures aussi, vexatoires qu’inutiles de mises sous scellés des bureaux des Maires (les procédures relatives aux faits de mauvaise gestion sont connues de tous). A ma connaissance on n’a pas encore découverts des stocks d’engins explosifs improvisés dans le bureau d’un Maire et le Président KABORE a fait lui-même l’objet d’un traitement très humain voire élégant.

Enfin, toute cette situation est due à la consécration du terrorisme sur notre territoire. On peut affirmer que les groupes de violence jihado-criminalo-terroristes ont réussi un « clean sheet » en empêchant les élections liées à la démocratie locale. Ces dits groupes ont parfaitement réussi à castrer les résistants aux sein des communautés en tuant suivant un protocole incroyablement horrible et théâtral un échantillon de Maires.

De ce point de vue il est dommage que les délégations spéciales suscitent une frénésie de querelle intestine : la seule urgence du moment est de faire ou aider à faire la guerre ICI et MAINTENANT !

www.libreinfo.net

- Advertisement -

Articles de la même rubrique

[Interview] le championnat burkinabè de football suspendu pour 140 millions fcfa

Le championnat national de football au Burkina Faso est en arrêt depuis plusieurs mois. Dans cet entretien avec Libreinfo.net, Koudougou David Yaméogo, président de...

[Interview] Cancer du sein chez l’homme : « Les symptômes sont les mêmes que chez la femme », Pr Ollo Roland Somé

Le cancer du sein chez les hommes est rare. Seulement, moins de 1% de toutes les leucémies du sein les affectent. Il est cependant...

[Interview] sélection nationale «je crois qu’il faut privilégier un entraîneur local», Charles Kaboré

Plus de 100 sélections à l’équipe nationale de football du Burkina Faso, l’ancien capitaine des Étalons, Charles Kaboré a inscrit son nom dans les...

[Interview] : retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Cedeao, ce que pense Mélégué Traoré

L'ancien Président de l'Assemblée nationale du Burkina Faso et ambassadeur Mélégué Traoré a accordé une interview à Libreinfo.net dans laquelle il donne sa lecture...

[Interview] « Je souhaite que Bouaké porte chance au Burkina Faso », Amadou Koné Maire de Bouaké

À l'orée de la 34e édition de la Coupe d’Afrique des nations, Amadou Koné, élu maire de la ville de Bouaké en septembre 2023,...
spot_img

Autres articles

Sourou : le Haut-Commissaire Désiré Badolo est installé dans ses fonctions

Désiré Badolo est désormais le nouveau Haut-Commissaire de la province du Sourou, région de la Boucle du Mouhoun. Il a été officiellement installé ce...

Burkina/Industrie : Bientôt un complexe textile de 165 milliards FCFA à Sourgou dans la province du Boulkiemdé

Le complexe industriel textile IRO-TEXBURKINA SA sortira bientôt de terre. La pose de la première pierre est prévue pour le 29 mars 2024 à...

Burkina : Compte rendu du conseil des ministres du mercredi 27 mars 2024

Le Conseil des ministres s’est tenu à Ouagadougou, le mercredi 27 mars 2024, en séance ordinaire, de 09 H 00 mn à 13 H...

Burkina/Défense :Le gouvernement prolonge  la durée de la mobilisation générale et mise en garde 

Le Conseil des ministres de ce 27 mars 2024 a adopté un décret qui  proroge  la durée de la mobilisation générale et mise en...

Burkina Faso : la CAMEG redevient une société d’État

Au Burkina Faso, le conseil des ministres de ce 27 mars 2024 a adopté un décret portant approbation des statuts de la Centrale d’achat...