C’est l’ère de la mondialisation, d’ouverture sur le monde, le lieu de rencontre des peuples et des cultures. Chaque civilisation va à la rencontre des autres, avec des éléments précis d’influence. L’Afrique qui, depuis longtemps a négligé sa riche culture laissant terrain fertile aux autres, veut se réorganiser. C’est du moins, ce qu’a décidé l’Union africaine à son 34e sommet tenu du 6 au 7 février 2021 à Addis-Abeba. Désormais, lors des activités de l’Union, la culture et le patrimoine seront mis en avant. Le thème du sommet est d’ailleurs évocateur et traduit la volonté de l’institution, de prendre appui sur sa culture pour son développement. « Art, culture et patrimoine : un levier pour construire l’Afrique que nous voulons », tel était le thème. À l’annonce de cette thématique, plusieurs acteurs culturels à travers le continent ont réagi. Ils ont pour la plupart, salué cette décision, qui reste à être concrétisée.
Par Tatiana Kabore, stagiaire
L’UNESCO, dans sa Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles du 26 juillet au 6 août 1982, a reconnu que « la culture donne à l’homme la capacité de réflexion sur lui-même. C’est elle qui fait de nous des êtres spécifiquement humains, rationnels, critiques et éthiquement engagés. C’est par elle que nous discernons des valeurs et effectuons des choix. C’est par elle que l’homme s’exprime, prend conscience de lui-même, se reconnaît comme un projet inachevé, remet en question ses propres réalisations, recherche inlassablement de nouvelles significations et crée des œuvres qui le transcendent. La culture constitue une dimension fondamentale du processus de développement et contribue à renforcer l’indépendance, la souveraineté et l’identité des nations. » C’est donc clair, la culture est nécessaire pour le développement des nations, surtout à l’heure de la globalisation. L’Union européenne l’a compris en 2020, quand elle déclarait au Conseil européen extraordinaire de Lisbonne que ‘’l’économie de la connaissance et de la créativité’’ est l’un des piliers majeurs pour un développement économique durable de l’humanité dans le futur proche.
L’Afrique n’avait pas encore perçu cet enjeu, dirait-on, quand l’on porte un regard sur l’importance accordée à la culture et au patrimoine dans ses États. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, estimaient certains analystes, lorsque l’Union africaine a décidé de considérer la culture comme le « principal marqueur de l’identité » lors de la 38e session de son Conseil exécutif. Et, de choisir la culture et patrimoine comme thème général de son 34e sommet, qui décide de le mettre au centre des discussions dans ses différents évènements pour les 12 prochains mois. Une décision qui sonne comme une Afrique qui va à la reconquête de son ‘’’indépendance’’, sa ‘’’souveraineté’’ et son identité.
Les acteurs culturels apprécient diversement la décision

Les avis restent partagés entre les différents acteurs culturels, face à la décision de l’UA de promouvoir désormais la culture africaine. Pour certains, cette initiative est déjà un bon pas pour le développement du continent, pour d’autres, c’est juste des paroles en l’air car la culture a été longtemps négligé depuis la naissance de l’institution. Marie-Cécile Zinsou, historienne de l’art au Benin pense que « l’UA n’a aucune action visible » dans le domaine de la culture. L’écrivain congolais Boniface Mongo-Mboussa quant à lui, estime que « ce sont des mots qui sonnent creux. » Pour lui, si l’Union africaine œuvrait réellement pour la culture, cela auraient eu des résultats probants.
« Tout en étant conscient des limites de la grande machine administrative qu’est l’Union africaine, je pense qu’il faut saluer le choix de culture et du patrimoine comme au sommet », a indiqué pour sa part Felwine Sarr, économiste et écrivain sénégalais. La question de la culture et du patrimoine pour lui, n’ont jamais été auparavant mis au premier plan. Il a invité par ailleurs, tous les acteurs culturels à soutenir cette initiative. Comme illustration de l’avancée de l’UA concernant la culture, M. Sarr fait cas de la restitution des objets d’art au Bénin, au Sénégal, etc.

Aristide Tarnagda, directeur du festival les Récréatrales à Ouagadougou au Burkina Faso, estime que la culture est un instrument qui « permettra à l’Afrique de se réconcilier avec elle-même et avec les autres et de participer à la marche de monde ». Il déplore le manque de financements et propose que des mécanismes concrets soient mis en place pour soutenir le milieu artistique et culturel à travers des subventions. « On nous répond qu’il n’y a pas les moyens, la priorité est toujours ailleurs. Notre festival par exemple fait un travail énorme auprès des jeunes. Il leur donne du sens. On a besoin d’une jeunesse qui soit fière, qui puisse se projeter » explique l’initiateur des Récréatrales. Pour lui, les « slogans ne suffisent plus », il faut poser des actes concrets afin de soutenir le milieu artistique.

Quant à Nocembo Zikode, la chanteuse sud-africaine auteure du titre « Jerusalema », il ne faut en aucun cas négliger le rôle que peut jouer la culture en tant qu’ambassadrice. Selon elle, c’est la culture qui va permettre d’éliminer le malentendu dans la façon dont le reste du monde considère le continent africain. Comme illustration, elle fait cas de son titre « Jerusalema » qui fait un succès planétaire malgré l’utilisation de la langue locale africaine. « Passer à la vitesse supérieure pour aller vers quelque chose de plus officiel », souhaite la chanteuse sud-africaine.
Pour mémoire, le 34e sommet a été marqué par l’élection du nouveau président de la Commission de l’Union africaine et du président en exercice de l’institution. C’est le président de la république démocratique du Congo, Félix Antoine Tshisekedi, qui a remplacé Cyril Ramaphosa, de l’Afrique du sud, à la tête de l’Union. Moussa Faki Mahamat, quant à lui, a été réélu pour un mandat de quatre ans comme président de la Commission de l’Union africaine. C’est cette équipe, qui mettra en œuvre la politique culturelle de l’Union s’il en existe, pour le rayonnement et le développement du continent.