Ceci un article publié chez nos confrères de The Washington Post,le 6 juin 2018. www.libreinfo.net a trouvé cet article pertinent et toujours d’actualité,voilà pourquoi nous le relayons aujourd’hui pour vous. L’article a été réalisé avec le général Roger L. Cloudier Jr.(voir la photo ci dessus) chef d’état-major du commandement américain en Afrique.
À compter de 2035, le nombre de jeunes atteignant l’âge de travailler en Afrique dépassera celui du reste du monde réuni et continuera chaque année pendant le reste du siècle. D’ici 2050, un être humain sur quatre sera africain. À la fin du siècle, près de 40% de la population mondiale sera africaine. Cependant, au lieu de se préparer à construire une relation capable de se développer avec le continent, basée sur la coopération diplomatique, les États-Unis doublent leurs efforts en s’appuyant sur plus d’une décennie de confiance dans leurs forces militaires, principal vecteur de leur engagement en Afrique. Comme on pouvait s’y attendre, les conséquences sont extrêmement négatives.
Le dividende démographique imminent ne fera qu’ajouter à l’importance économique de l’Afrique. Depuis 2000, au moins la moitié des pays du monde ayant le taux de croissance annuel le plus élevé se trouvent en Afrique. D’ici 2030, 43% de tous les Africains devraient rejoindre les rangs des classes moyennes et supérieures mondiales. D’ici la même année, la consommation des ménages en Afrique devrait atteindre 2 500 milliards de dollars, soit plus du double du 1 100 milliards de dollars enregistré en 2015, et les dépenses combinées des consommateurs et des entreprises devraient s’élever à 6 700 milliards de dollars.
L’évolution rapide de l’Afrique pose également des problèmes qui ne seront pas maîtrisés sur le continent. En effet, le nombre absolu toujours élevé de personnes vivant dans la pauvreté, le sous-développement des infrastructures, les conflits en cours et les problèmes persistants de gouvernance démocratique se combinent déjà pour faire de l’Afrique la plus grande source d’émigrants dans le monde.
De nombreux autres pays ont pris note du potentiel et des défis de la transformation attendue de l’Afrique et ont principalement décidé de renforcer leur engagement. Beaucoup de choses ont été écrites sur la présence croissante de la Chine et l’Union européenne a également renforcé ses liens avec le continent. Mais il existe également une liste croissante d’autres pays souhaitant renforcer leurs liens, notamment l’Inde, le Brésil, la Turquie, le Japon et les États du Golfe.
En revanche, depuis le 11 septembre, les relations des États-Unis avec le continent sont de plus en plus définies par la militarisation de la politique étrangère américaine. En 2003, l’administration George W. Bush a établi la première base américaine permanente sur le continent à Djibouti. En 2007, le commandement américain en Afrique a été créé.
L’administration Barack Obama a renforcé cette approche politique en augmentant les dépenses militaires et en déployant plus de troupes. Le président Trump suit l’exemple de ses prédécesseurs. Au cours de l’année écoulée, le nombre de forces américaines en Afrique a augmenté de près de 1 500, pour s’élever à environ 7 500, sans compter les forces des opérations spéciales. Les États-Unis ont maintenant 34 accords sur le statut des forces (ou traités similaires) avec des pays africains – dont 14 ont été signés ou améliorés au cours de la dernière décennie. Les forces spéciales d’opérations américaines sont également souvent déployées dans des pays sans tels accords. En 2017 seulement, des troupes américaines ont été déployées dans 50 des 54 pays africains, dont beaucoup dans des missions clandestines.
Cette présence militaire croissante est en train de déplacer la diplomatie. Les conseillers militaires sont plus nombreux que les diplomates dans les ambassades du continent. Les diplomates de carrière qui se concentrent sur l’Afrique sont souvent ignorés au profit des commandants militaires. Et au moins un haut responsable du département d’Etat a estimé qu’il y avait sept employés militaires pour chaque diplomate civil travaillant sur la politique américaine à l’égard de l’Afrique.
Il n’est donc pas surprenant que la présence militaire américaine agressive ait peu contribué à renforcer les liens entre l’Amérique et l’Afrique. Des manifestations contre des bases et des déploiements de troupes ont eu lieu au Ghana, au Niger, au Cameroun, au Libéria et dans plusieurs autres pays. Le commandement américain en Afrique a son siège en Allemagne, principalement parce qu’aucun pays africain ne veut l’accueillir. Le malaise suscité par le militarisme américain ne fera que grandir – en particulier à mesure que les pays deviennent moins dépendants de l’aide américaine et que certaines missions militaires américaines sont susceptibles de provoquer une recrudescence de l’extrémisme violent.
Il devrait être tout aussi évident que l’armée ne peut pas être le fondement des relations des États-Unis avec une Afrique émergente. Le Pentagone peut peut-être fournir des armes, de la formation et des véhicules aux forces armées africaines, mais il ne peut pas proposer d’accords commerciaux, de projets d’infrastructures ou de conseils en matière d’agriculture. L’armée américaine peut tenter, avec plus ou moins de succès, de professionnaliser les armées africaines, mais elle ne peut travailler avec les gouvernements civils, les partis politiques ou les mouvements sociaux pour promouvoir la démocratie et les droits de l’homme. En effet, l’objectif obsessionnel de Washington en matière de lutte contre le terrorisme en Afrique n’a que peu d’effet positif et il risque en réalité de multiplier les violations des droits de l’homme de la part des gouvernements africains habiles à employer la force contre leurs opposants civils.
En termes simples, l’armée américaine tente de préparer les pays africains à combattre un ennemi qu’elle n’a peut-être pas (ou du moins pas dans la mesure imaginée par Washington), alors que le gouvernement américain n’aide pas ces mêmes pays à faire face aux vrais assassins – à savoir la pauvreté et la corruption.
Par Ari Rickman et
Salih Booker
6 juin 2018
Salih Booker est le directeur exécutif du Center for International Policy. Ari Rickman est chercheur au Centre.
Source : The washington post publié le 6 juin 2018
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