L’armée burkinabè a annoncé dans un communiqué le 16 novembre 2019,la libération de plusieurs femmes entre les mains des terroristes dans le Nord du Burkina. C’est la première fois officiellement que des femmes sont prises entre les mains des terroristes. www.libreinfo.net s’est entretenu avec Dr Jacob Yara,chercheur sur les questions d’extrémisme violent en vue de mieux comprendre les enjeux de cette prise. Faut il craindre que le terrorisme se féminise?Comment peut-on expliquer le besoin de sexe par les terroristes? Quel rôle les femmes peuvent jouer dans le terrorisme?Voilà autant de question que Dr Jacob Yara tente de répondre.Il est enseignant à l’Université Pr Joseph Ki-Zerbo et chercheur sur l’extrémisme violent.
Libreinfo.net : C’est la première fois qu’on entend au Burkina Faso des femmes libérées entre les mains des terroristes […], quelle appréciation (s) faites-vous de cela ?
Dr Jacob Yara: Nos Forces de Défenses et Sécurité viennent de réussir un coup majeur dans la lutte contre les Groupes Armées Terroristes(GAT) en ce sens qu’elles ont non seulement réussi une offensive mais aussi révélé dans un communiqué qu’elles ont libéré des femmes. Cela fait chaud au cœur de savoir que le travail de renseignement donne des résultats et l’offensive vaut toujours mieux que la défensive dans la lutte contre le terrorisme.
Peut-on considérer ces femmes comme innocente ou comme des femmes de connivence avec les terroristes ?
Il faut considérer les faits suivants. Le communiqué signé du Directeur de la communication et des relations publiques des armées a été très précis quant au nombre de terroristes neutralisés : 24 ! Quant au nombre de femmes libérées, on n’en sait rien. Le communiqué s’est contenté de dire que : « Cette opération a également permis de libérer plusieurs femmes qui étaient retenues par les terroristes ». Si le nombre de ces femmes se révélait numériquement important (comme on l’a vu avec l’enlèvement de 276 lycéennes de Chibok en avril 2014 par Boko Haram), il y aura de quoi appuyer la thèse de « femmes retenues ». Mais pour confirmer cette thèse, il faut compléter l’enquête sur ces femmes en vérifiant entre autres auprès de leurs familles d’origines les circonstances de disparition de leurs filles ou femmes ; vérifier que les familles en avaient fait la déclaration auprès des services compétents comme la police et la gendarmerie ou même auprès du préfet voire auprès du comité villageois de développement (CVD). Par contre si plus tard le nombre de ces femmes était relativement bas, on pourrait penser en plus de la thèse de « femmes retenues » à une autre plus grave de « femmes actrices ».
Je suis donc prudent vis-à-vis du communiqué quand il déclare que « cette opération a permis de libérer plusieurs femmes qui étaient retenues par les terroristes et utilisées comme esclaves sexuelles ». Les femmes dont le nombre jusqu’ici est « plusieurs » peuvent déclarer à nos FDS que les terroristes ont fait d’elles des esclaves sexuelles mais cela ne va suffire pour comprendre leur fonction réelle. Si on enquête mieux on préservera la vie de nombreuses jeunes filles séduites par les offres des terroristes. Si on enquête bien, on pourra faire de ces victimes des porteuses de messages forts à l’endroit des autres femmes et même des populations sur les mesures de prévention. Mais si on s’arrête là, on pourrait se faire duper !
Quelle est l’expérience que vous avez de la mobilisation ou de l’engament des femmes aux côtés des GAT ?
Les Groupes armées terroristes n’ont jamais pu réussir sans l’implication de femmes. Les femmes dans les actions terroristes sont aussi bien victimes mais aussi (malheureusement) actrices. Que soit au Nigeria, au Mali, en Syrie, au Tchad ou au Niger, on a pu documenter l’engagement des femmes aux côtés des GAT. Elles y jouent le rôle de renseignement, d’organisation de la logistique avec des facilités de dissimilation du fait de leur nature de femme, de transport de munitions ou d’armes ; elles y jouent également le rôle de cuisinière car vous savez comme moi que les terroristes ne boivent pas que de l’eau. Des femmes jouent dans certaines bases de GAT ce rôle ; elles y jouent également un rôle sexuel. Les terroristes, après la drogue font du sexe le second vice. La piste du sexe n’est pas souvent bien explorée pour traquer les terroristes or c’est l’un de leur point faible après la drogue.
Dans certains pays les FDS ont été dupées par l’apparence de certaines femmes et cela a été fatal. Elles ont souvent joué le rôle de vendeuses de petites choses (arachides, oranges, bouillie, maïs, etc.) pour échapper aux soupçons. Pour démasquer ces femmes, il faut tout simplement mettre la main sur les flux financiers et les investissements faits dans le cercle familial.
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Propos recueillis par Albert Nagreogo