La réalisatrice franco-burkinabè, Chloé Aïcha Boro, est la lauréate de l’Etalon d’or de Yennenga dans la catégorie documentaire avec son film « Le loup d’or de Balolé », à la 26e édition du Fespaco en mars 2019. Elle a également remporté le titre du meilleur pitch de long-métrage de fiction avec le projet « Président Baba ». La cinéaste franco-burkinabè a fait des études universitaires en Lettres modernes et a d’abord commencé sa carrière comme journaliste dans la presse écrite. Elle s’est par la suite lancée dans la production de films documentaires. Elles réalise un premier long métrage intitulé: « Farafin ko », qui a été plusieurs fois primé. Ces films ont plusieurs fois été projetés au festival de films “Ciné droit libre” qui l’a d’ailleurs promu. A cheval entre la France et le Burkina Faso, elle rencontrera dans ses tournées à Ouagadougou au Burkina Faso, la carrière de granite où travaillent de milliers de personnes dans des conditions précaires. Dans un film intitulé « le loup d’or de Balolé », elle décide d’y faire une immersion. C’est un film qui a connu un grand succès même après le Fespaco. Invitée de Libreinfo.net, Chloé Aïcha Boro nous parle de son chef d’œuvre qui traverse les frontières du Burkina Faso.
libreinfo.net (Li): Vous êtes la réalisatrice du loup d’or de Balolé, un documentaire qui a fait parler de lui au dernier FESPACO. Dites-nous d’où vous est venue l’idée de réaliser ce documentaire ?
Aïcha Boro (AB): Ce film est vraiment un cadeau de la vie parce que je suis tombée sur cet endroit singulier par hasard. Il s’agit d’une sorte de sous-ville, un trou béant et une carrière dans la ville de Ouagadougou où évoluent 2500 personnes. C’est vraiment une sorte de faille spatio-temporelle parce qu’être dans cet endroit constitue aussi bien un voyage dans le temps que dans l’espace. Ça donne l’impression d’être dans un chantier de construction des pyramides en Egypte alors qu’on est au cœur d’une capitale avec tous les artifices de la modernité.
En 2015, je suis venue pour filmer les monticules de cailloux sans me douter qu’il y a un espace juste derrière parce que comme tout le monde, je croyais que les cailloux venaient d’ailleurs. Je parle de sous-ville parce qu’il y a toute une vie avec des personnes de tous les âges : une mosquée, une église, un marché …l’endroit est presqu’autonome et ça fait un potentiel cinématographique incroyable.
C’est vrai que les conditions de vies sont extrêmes, mais ça donne des photographies incroyables avec la poussière granitique grise qui se mélange à la poussière rouge de la latérite et au fumerole qui se dégage à longueur de journée. Quand tu vois ça, en tant que cinéaste, tu te dis qu’il y a quelque chose à faire. En plus, quand j’y suis entrée, je me suis rendue compte qu’ils ont créé une association pour prendre leur destin en main par rapport aux démarcheurs qui sont des intermédiaires de vente. Ils disent avoir fait l’insurrection de 2014, mais estiment être les grands oubliés de l’histoire.
Li: D’où est venu le nom du titre « le loup d’or de Baloulé ? »
AB: Vous savez en Afrique, on a cette capacité à refuser ce que la vie nous impose. Par exemple, se surnommer millionnaire même quand on est pauvre. Ablassé qui est le personnage principal du film est de ce fait surnommé le loup d’or. J’ai trouvé ça très poétique et ça s’est imposé comme ça parce qu’au départ, et jusqu’à la fin du montage, je voulais l’intitulé Baloulé, une carrière de géant.
Li: Quel est le message que vous avez voulu faire passer ?
AB: Moi, je fais de l’art pour l’art. Donc pas forcement pour faire passer un message. Mais le message qui s’est quand même glissé, c’est le rapport à la lutte, à l’autre. Le but de l’association qu’ils ont créée est d’arracher le fruit de leur labeur vis-à-vis des démarcheurs puisque chaque scène raconte cette thématique-là.
Li: Vous parlez de leur participation à l’insurrection de 2014 mais ils disent ne pas avoir senti de changement. N’y a-t-il pas eu un abandon politique ?
AB: Moi, je pense que lorsque l’on remplace une personne par son second couteau, c’est que l’on n’a pas changé vraiment. Il s’agit plutôt d’un changement dans la forme et non dans le fond. Le président actuel a été président de l’Assemblée nationale sous l’ancien régime et ne l’a quitté que lorsqu’il a senti que le bateau coulait. Comme beaucoup de gens, j’ai le sentiment que l’insurrection est inachevée. Du reste, les pratiques de l’ancien système n’ont pas été fondamentalement remises en cause. Le vrai changement consiste à mon avis à apporter autre chose.
li: À voir ces jeunes travailler sur le site, est-ce la preuve que le Burkina Faso a échoué dans sa politique sociale ?
AB: Bien sûr ! En termes de politique sociale, on est vraiment à la ramasse. Il n’y a qu’à voir le nombre d’enfants dans la rue. L’échec n’est pas qu’en matière de politique sociale mais aussi en matière de politique environnementale. Mais je salue l’initiative du gouvernement d’introduire des sachets biodégradables dans les marchés. Comment comprendre que 50 ans après le séjour de l’Homme sur la lune, il y ait encore des gens qui vivent de telles situations ? C’est indigne !
Li: Le Président de l’Assemblée nationale s’y est rendu et a pris des engagements. Est-ce que cela vous satisfait-il ?
AB: C’est un grand pas en avant. Cela signifie qu’ils existent déjà et qu’ils méritent qu’on se penche sur leur sort. J’étais très contente d’apprendre ça.
Li: Est-ce que le documentaire a eu un impact après sa sortie au FESPACO ?
AB: Énormément ! Depuis le début de l’année, je fais environ quatre pays par mois soit les cinq continents. En août dernier, il a été projeté à Lausanne et des députés suisses se sont mobilisés pour leur apporter des machines appelés téléphériques. Avec ça, les femmes n’auront plus à porter des bassines sur la tête pour remonter les cailloux. Elles sont déjà au courant de la nouvelle mais il y aura une projection cinématographique pour officialiser la nouvelle. Avec ça, elles n’auront plus qu’à poser les bassines sur les téléphériques et ceux-ci vont transporter jusqu’à la sortie. Ce n’est déjà pas mal ! Il y a beaucoup d’autres exemples comme ça !
Li: Est-ce qu’il vous arrive de repartir là-bas et quelle rapports entretenez-vous ?
AB: Bien sûr ! Beaucoup sont devenus mes amis même si certains sont réfractaires parce que tout le monde ne comprend pas l’organisation d’un film documentaire. Certains ont vu la remise des prix et ont cru que cela leur revenait alors que c’est toute une équipe qui est derrière la réalisation d’un film et que chacun a droit à une rétribution.
Li: Vous avez dit dans les débats qu’ils disent qu’ils ne sont plus sujets et qu’ils sont devenus citoyens…
AB: Tout à fait, il y a un vent d’émancipation qui souffle sur les esprits. Sujet veut dire qu’on est à la merci d’un roi et citoyen veut dire qu’on a élu un président pour défendre nos droits et nos intérêts. Être conscient de ça n’est quand même pas mal.
Li: Vous êtes devenue une sorte de porte-parole. Si vous avez un message à porter en leur faveur, que diriez-vous ?
AB: Je n’irai pas jusqu’à dire que je suis leur porte-parole parce qu’ils le font bien eux-mêmes. Je pense tout de même qu’ils méritent une plus grande attention. Imaginez un bébé de six mois au fond d’une carrière ?
Soumana Loura,stagiaire
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