La situation sociopolitique du Burkina Faso caractérisée par des attaques terroristes à répétition, a fini par entraîner la chute de l’ancien Président Roch Kaboré suite à un coup d’Etat. Après le putsch du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la restauration (MPSR) le 24 janvier 2022, très vite, les militaires ont initié des assises nationales de la Transition à l’issue de lesquelles, le gouvernement de la transition a été mis en place. A l’international, c’est le retrait de Barkhane du Mali et la crise ukrainienne qui alimentent les débats. Dans cette interview avec Mélégué Traoré le 2 mars 2022, libreinfo.net est revenu sur ces actualités. L’invité de la Rédaction est un ancien président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso. Il a également été ministre de l’Enseignements Supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation et l’Ambassadeur du Burkina Faso en Russie.
Par Siébou Kansié et Tatiana Kaboré
Libreinfo.net : Le 24 janvier 2022, le Burkina Faso a connu un coup d’État qui a renversé le président Roch Kaboré. Ce putsch est-il la solution aux problèmes d’insécurité évoqués ?
Mélégué Traoré : La question de la sécurité est tellement importante qu’au fond, toute solution qu’on aurait trouvé, l’essentiel est qu’on s’en sorte. Avec le Président Roch Kaboré, nous avons été dans un régime de type démocratie libérale et ça n’a pas marché.
Lorsqu’il y a un blocage dans nos pays, la seule solution qui reste, c’est l’armée. Mais ce n’est pas la solution idéale. Je ne suis même pas sûr que ceux qui ont pris le pouvoir ont pensé au départ, que le coup d’État est la solution.
Mais on verra si c’est vraiment la solution. On tournait en rond. Dans notre pays, il y avait des associations qui voulaient clairement un coup d’État. Mais on verra si c’est vraiment la solution. On ne peut être au bord de la rivière et discuter de qui peut nager.
Je ne vois pas quelle solution il pouvait avoir encore, puisqu’il y a eu un changement de gouvernement mais malheureusement. Le premier ministre (Dr Lassina Zerbo) était très bon. Mais ce qui est arrivé, est arrivé et je crois que le débat est forclos ; il n’existe plus. Je crois qu’on est devant les résultats du coup d’État et il faut y aller.
Libreinfo.net : Une certaine opinion parle d’un recule démocratique, pendant que la masse populaire s’en réjouit. Que dites-vous ?
Mélégué Traoré : Il ne faut pas dire la masse populaire. C’est plutôt les élites des villes et beaucoup d’intellectuels qui s’en réjouissent. Sinon, dire que la masse s’en réjouit dans ce pays où les 2/3 de la population ne parlent pas français, ne connaissent pas la constitution, ne savent pas lire et écrire, c’est trop dit. La masse se trouve dans les villages. Or, je pense que la plupart s’en fout complètement de tout ça.
Pour eux, l’essentiel est qu’il ait un gouvernement. A part les périodes électorales, la couleur du gouvernement ne regarde pas ces personnes. Beaucoup pensaient qu’avec ce changement brutal, la guerre est gagnée d’avance contre les terroristes. Mais c’est un domaine où rien n’est moins sûr. C’est à la tâche qu’on saura si c’est efficace où pas. En tout cas, tous les moyens sont bons aujourd’hui pour lutter contre les terroristes.
Moi, j’avais déjà indiqué dans une lettre adressée au chef de l’État Roch Kaboré en 2019, que cette guerre contre le terrorisme va durer, elle va s’étendre dans tout le pays et le mode opératoire va changer. Il ne va plus se limiter aux attaques et disparaître. Non seulement les attaques se sont multipliées, mais les zones entières sont occupées. C’est-à-dire que ce n’est plus le même mode qu’au début.
Avant les terroristes venaient attaquer et disparaissaient ensuite dans la brousse. Mais aujourd’hui, ils attaquent et ils occupent des zones. La première fois où j’ai su ça, c’est lorsque le chef de Dori m’a appelé et il m’a dit : président, est-ce que vous savez que Dori et Sebba sont occupés ? Je lui ai dit, ce n’est pas possible ! Je lui ai demandé à savoir si les autorités sont au courant et il m’a répondu par l’affirmative.
J’ai appelé le colonel qui dirigeait l’Agence nationale de renseignement (ANR). Je lui ai demandé s’il est au courant qu’entre Dori et Sebba, c’est occupé. Il a dit oui. Il m’a dit que l’ANR s’occupe uniquement de collecter les informations et fait des rapports à qui de droit. Mais ce ne sont pas ses agents qui combattent sur le terrain.
Libreinfo.net : On a vu aussi qu’un mois après le coup d’État du MPSR, il y a eu des assises nationales sur la Transition. Votre commentaire ?
Mélégué Traoré : Ces assises étaient une bonne idée. Le coup d’État qu’on vient d’avoir est similaire à celui de 2014. On a beau dit que c’est une insurrection mais en réalité, c’est un coup d’État. C’est-à-dire qu’il y a eu un changement qui n’est pas constitutionnel. C’est dans ce même style qu’on a eu l’idée de créer un organe législatif.
Mais moi, je me suis toujours interrogé sur ce type de création d’une structure para parlementaire. Parce que personne n’a été élue. On ne sait même pas comment les membres sont choisis. Le plus souvent, c’est du copinage, et on sait que des gens viennent là-bas juste pour se remplir les poches. C’est peut-être, pour cette raison, la commission technique avait suggéré que le mandat des députés soit gratuit.
Il faut savoir qu’on a déjà essayé ça. Dans la Constitution du 14 juin 1970, le mandat était aussi gratuit. D’abord les députés, quand tu l’étais, tu continuais à faire ton boulot, ensuite, tu ne percevais de salaire de député. Mais quand tu venais pour des sessions à Ouagadougou, il y a des indemnités de session. Mais au bout d’un an, l’on a constaté que rien ne marche, et les députés n’étaient pas motivés. On a dû modifier les textes afin qu’ils perçoivent des salaires.
Ce qui est frappant dans la gestion du pouvoir en place, c’est la rapidité avec laquelle les assises nationales ont eu lieu. Nous sommes l’un des rares pays où des assises se sont tenues en une journée.
A mon avis, il faut s’interroger beaucoup sur ça. Parce qu’en une journée, on ne peut pas réfléchir de manière sérieuse. Ces assises pouvaient durer une semaine, deux semaines ou un mois. L’essentiel, c’est la qualité. Mais ici, nous avons décidé de les tenir en quelques heures.
Libreinfo.net : Vous voulez dire qu’il y a des calculs derrières ?
Mélégué Traoré : Je ne crois pas qu’il y ait un calcul spécial derrière. La situation est tellement grave que le pouvoir tape partout pour qu’on puisse s’en sortir. Et les propositions faites sont rationnelles. Par exemple, ce que la commission technique a fait est rationnel. On voit dans l’ambiance, la rationalisation de notre système institutionnel.
Je crois que l’idée a été de limiter le nombre de députés à 71 et des ministres à 25. Concernant le nombre des députés, ce n’est pas nouveau. La constitution de la 2e et de la 3e République limitait le nombre des ministres à 15 maximum. Vous aurez remarqué que depuis notre indépendance, le nombre de députés n’a atteint 19 qu’en 1970. Avant ça, c’était 70 toujours. Et la constitution de novembre 1978, c’était pareil.
C’est avec le Front populaire que le nombre des députés a explosé, la constitution de 1992 avec les élections qui ont suivi en 1992. C’est en ce moment que j’ai été élu député. Je ne crois pas qu’il ait un calcul. Ils veulent vraiment rationaliser. D’où les contrôles. On m’a dit qu’on a scellé les bureaux de plusieurs ministres.
Libreinfo.net : Excellence, est-ce que le nombre de députés joue sur le travail parlementaire ?
Mélégué Traoré : Le nombre de députés jouent sur le travail parlementaire. C’est à peu près comme en 1970. C’est à cette date qu’on a atteint 70 députés. Sinon avant, on était à une cinquantaine et plus tard en 1992 on est passé à 120 députés. Il faut une rationalisation, mais qui vaille le coût, pour que l’Assemblée nationale puisse vraiment travailler.
En matière parlementaire, on rapporte toujours le nombre d’élus à la population totale. On est le pays où l’Assemblée est plus petite par rapport à la population. Lorsque vous regardez le tableau publié par l’Union interparlementaire, vous verrez que le Burkina est l’un des pays où on arrive à contenir le nombre de députés à des limites raisonnables. Pour le moment, il n’y a pas de problème.
Le nombre de députés est important pour le fonctionnement même de l’Assemblée. Parce que vous devez constituer les grandes commissions. Généralement, il y a 5 grandes commissions, mais ça change selon les législatures. Donc il faut que le nombre de députés par commission atteigne un certain nombre, si on veut vraiment travailler.
Les groupes parlementaires dans notre système actuel, il faut 10 députés pour constituer un groupe parlementaire. Il faut attendre que l’assemblée se réunissent et adopte son règlement. Le principe de parlementarisme, c’est que chaque législature institue son règlement. Mais dans tous les cas, il faut que le bureau atteigne une centaine avant de pouvoir travailler. En 1985, nous avons créé des délégations de bureaux. Chaque vice-président s’occupait d’une délégation de bureau et il était dans un domaine précis.
Ceux qui ne sont pas à l’Assemblée imaginent toujours que les députés dorment et ne font rien. On travaille énormément à l’Assemblée Nationale.
Libreinfo.net : Quel est votre avis sur la durée de la Transition
Mélégué Traoré : Sur la durée de la transition, je disais de ne pas dépasser deux ans sinon, nous aurons des problèmes avec la CEDEAO parce qu’elle a des principes. A mon sens, il ne fallait pas qu’on aille jusqu’à 3 ans. C’est vrai qu’il faut être efficace, mais de toutes les façons, ce n’est pas la transition qui va régler nos problèmes. Il faut que la transition permette surtout de bouter les terroristes du Burkina Faso. C’est surtout ça qu’il faut viser.
Libreinfo.net : Quel problème lié à la durée de la Transition le Burkina aura avec la CEDEAO ?
Mélégué Traoré : La CEDEAO ne peut pas accepter un mandat d’une transition qui dure comme si c’était un mandat présidentiel normal. Je veux parler du cas malien. Les textes qu’elle applique ont été signés par tous les pays membres y compris le Burkina Faso et le Mali.
Dans notre cas, je pense que si l’approche a été de viser haut pour obtenir une durée acceptable, c’est-à-dire, on peut dire 3 ans en sachant bien que la CEDEAO ne va pas accepter. Mais dans les discussions avec elle, ça peut être ramené à 2 ans ou 1 an et demi. Mais je continue à penser que 2 ans c’est bon.
Libreinfo.net : Comment appréciez-vous les premières actions administratives et militaires du MPSR ?
Mélégué Traoré : Dans notre situation, ce qu’on vise, c’est l’efficacité. Je pense que le chef de l’État raisonne en termes de cohésion du groupe. Tous ceux qui ont été nommés sont de même génération. On a remarqué que ce sont des jeunes qui sont nommés. On les verra à l’œuvre. A priori, je ne peux pas ne pas soutenir. Le fait de raisonner génération, n’empêche pas de nommer aussi des gens de notre génération à certains postes.
Quant au changement au niveau de l’armée, je crois que le président cherche l’efficacité. On ne peut pas ne pas soutenir cette action là, même si par principe, on ne peut accepter les coups d’État. Mais on ne peut aussi se dire à chaque fois qu’il y a quelqu’un qui a les armes et la volonté, il devient chef d’Etat. Là aussi, on ne s’en sort plus.
Libreinfo.net : A l’international, la force Barkhane a annoncé son retrait du Mali. Votre avis ?
Mélégué Traoré : Dans les relations bilatérales, chacun cherche de fois ses intérêts. Si les Français n’avaient pas d’intérêts à défendre au Mali, ils n’y enverraient pas leurs troupes et si le Mali n’avait pas d’intérêt, il n’allait pas signer des accords avec la France.
Mais quand les opinions diverses trop, on finit par casser la baraque, et c’est ce qui s’est passé. Les Français reprochent beaucoup de choses aux Maliens mais les Maliens aussi ont beaucoup de choses à reprocher aux Français. En matière de coopération, il faut de bonne foi : on s’entend et on s’engage et on agit de bonne foi. Il faut que celui avec qui vous travaillez, perçoive que vous travaillez de bonne foi, et c’est ce que les Maliens ne sentent pas.
Libreinfo.net :Le Mali et la société de sécurité privée russe Wagner, on en parle beaucoup.
Mélégué Traoré : La pensée militaire malienne est dominée par les tendances militaires russes. Si les Maliens pensent qu’il n’y a plus d’intérêts avec la France, ils ont le droit d’arrêter. Cela peut même aller jusqu’à la rupture des relations diplomatiques. Quand la France arrive aux gestes qu’elle fait au Mali, il faut vraiment qu’il y ait des raisons valables et vice versa. Sur le fond, il y a quelque chose qui ne va pas. Quand la confiance disparaît en matière de relations, vaut mieux ne pas continuer.
Libreinfo.net :comment avez-vous accueilli les sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA prises le 9 janvier 2022 contre le Mali ?
Mélégué Traoré : ce sont des sanctions dures, mais je répète, en dehors du degré de sanctions, la CEDEAO est dans ses principes et elle ne blague pas avec. Il y a aussi l’UEMOA qui est dans l’espace CEDEAO. Pour une fois, les deux communautés ont coordonné les sanctions. Par exemple les sanctions de type financier, ce n’est pas la CEDEAO qui devrait les prendre puisqu’elle n’a pas de banque centrale.
Ce sont des sanctions dures, mais en dehors du degré de sanction, la CEDEAO est dans son rôle. C’est à cause de ça les Maliens disent à quatre ans au lieu de cinq.
Libreinfo.net :Avec le changement de régimes au Mali, en Guinée Conakry et au Burkina Faso, qu’est-ce que cela peut changer sur la géopolitique de l’Afrique de l’Ouest ?
Mélégué Traoré : Rien ne peut changer. Les coups d’État n’ont pas été concertés, c’est la dynamique interne de chaque pays qui a conduit à un coup d’État. Et les raisons sont complètement différentes les unes des autres. C’est pourquoi il ne faut les uniformiser. Regardez par exemple le nombre de coups d’État entre 1965 et 1966. Mobutu à son temps avait proposé qu’on créé une espèce d’international des chefs d’État arrivés au pouvoir par des coups d’État.
Libreinfo.net : Mais c’est comme un effet de mode ces coups d’Etat.
Mélégué Traoré : Ce n’est pas un effet de mode. Si vous regardez superficiellement et vous prenez le facteur temps auquel ça s’est produit, vous verrez qu’un coup d’État est le produit d’une dynamique interne. Dans un état où tout ne va plus, la seule institution qui résiste, c’est l’armée. Et c’est pourquoi, les militaires interviennent.
Au Burkina, il fut un moment où on se demandait si Roch Kaboré gouvernait encore le pays. C’est un ami à moi, je ne parle pas en fonction des amitiés mais des réalités. J’avais dit dans un article, que Roch a été élu, donc il n’y pas de raisons que trois ou quatre personnes s’asseyent sous un rônier à Banfora avec du bangui, pour dire que Roch doit partir.
Mais j’étais aussi conscient que la situation était telle, que ça ne pouvait pas continuer. Il y a une spécificité de coup d’État dans chaque pays. Au Mali je disais à Ibrahim Boubacar Keita que c’était une erreur de mettre son fils dans la structure chargée de l’achat des armes. Aussi, les nouveaux chefs d’État militaires n’ont pas la même manière de voir les choses.
Le ton mesuré de Damiba est complètement différent de celui de la Guinée. Chaque Etat va se baser sur les facteurs internes et externes pour s’en sortir. Mais les pressions internationales font que les coups d’État ne peuvent pas continuer comme avant.
Libreinfo.net : quel est votre lecture sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie ?
Mélégué Traoré : Premièrement, il faut savoir que le point de naissance de l’empire russe, c’est à Kiev en Ukraine. C’est pourquoi les Russes y sont très attachés. Deuxièmement, un pays ne peut pas se lever parce qu’il est fort, envahir un autre. On peut trouver des explications, mais pas des excuses à cette invasion.
C’est une violation du droit international, mais en 1962, il y a eu exactement cette situation entre les Etats-Unis et la Russie à Cuba. Il s’agit de la guerre des missiles. Les Américains se sont farouchement opposés à l’installation des missiles russes, menaçant même d’utiliser la bombe nucléaire.
Les États-Unis veulent que la Russie accepte ce qu’eux, n’ont pas accepté en 1962. Si l’Ukraine entre dans l’OTAN, les Russes peuvent se retrouver un bon matin avec des missiles à leurs frontières. C’est difficilement acceptable. C’est pourquoi la meilleure solution serait de faire de l’Ukraine un pays neutre comme la Suisse, c’est-à-dire, elle est avec aucun camp.
Si l’Ukraine était un pays neutre, la Russie ne l’aurait jamais attaqué. Dans cette guerre, ce sont 30 pays (OTAN) qui sont contre un seul pays (la Russie).
Libreinfo.net : Peut-on craindre une troisième guerre mondiale ?
Mélégué Traoré : Il n’y aura pas une 3e guerre mondiale mais il y a des risques. Les Russes sont capables de raser New York en un rien de temps, mais il y aura suffisamment de bombes aux USA pour raser Moscou.
Libreinfo.net : Les sanctions économiques peuvent-elles dissuader la Russie dans ce conflit ?
Mélégué Traoré : Non, je ne crois pas. Rien ne peut empêcher Poutine de stopper ce qu’il a commencé parce que ses intérêts vitaux sont menacés. Il faut plutôt négocier pour qu’il ait une porte de sortie pour tout le monde. Les Russes se sont préparés depuis longtemps en réserves et en équipements. Les sanctions seront catastrophiques sur certains secteurs, mais ne feront pas reculer Poutine.