Le numérique se présente de nos jours comme une opportunité contre le chômage des jeunes. Mais beaucoup d’entre eux, même dans les universités ignorent encore, les opportunités d’emploi qu’offre le digital. Pour en parler, libreinfo.net est allé à la rencontre du Dr Cyriaque Paré, chercheur et fondateur du média en ligne Lefaso.net. Dr Paré est également enseignant en nouveaux médias dans plusieurs universités et instituts au Burkina Faso et hors. Il a fondé l’Institut Supérieur de la Communication et du Multimédia (ISCOM), qui propose des filières innovantes dans le domaine du numérique.
Par Rama Diallo,stagiaire
Libre info (Li) : Vous avez créé une école qui forme exclusivement sur le numérique. Qu’est-ce qui vous a motivé à orienter la formation sur le numérique ?
Cyriaque Paré (C.P) : Je suis fondateur d’un média en ligne, Lefaso.net, qui est confronté aux problèmes de ressources humaines de qualité, c’est-à-dire, des professionnels des médias, ayant les aptitudes nécessaires et maîtrisant les outils incontournables dans la pratique du journalisme numérique.
Je suis aussi, par ailleurs, chercheur et enseignant en nouveaux médias. J’enseigne le journalisme et la communication numériques dans plusieurs universités et instituts. Et, j’ai pu constater que les matières et les volumes horaires dédiés aux nouveaux médias sont insuffisants par rapport à l’évolution des métiers et des pratiques dans le secteur de l’information et de la communication.
À défaut de pouvoir convaincre les promoteurs et les responsables d’écoles de journalisme et de communication de revoir leurs programmes d’enseignements et de les adapter en conséquence, j’ai décidé de créer moi-même une école axée sur le numérique qui va former des professionnels en phase avec l’évolution de leur secteur.
Li : Est-ce-qu’il y a de l’avenir dans les métiers du numérique ?
C.P : Non seulement, il y a de l’avenir dans le numérique mais l’avenir est dans le numérique. Si vous observez tous les secteurs de l’économie et même de la société aujourd’hui, vous verrez qu’ils subissent presque tous l’impact du numérique. La transformation digitale est à l’œuvre un peu partout, et une crise comme la COVID, avec ses multiples conséquences, a accéléré le processus.
Plusieurs experts annoncent la disparition d’au moins 30% des métiers que nous connaissons aujourd’hui. Si vous prenez le secteur de l’information et de la communication, il est difficile de pratiquer ses métiers aujourd’hui sans le numérique, que vous soyez dans les anciens ou les nouveaux médias.
Beaucoup de médias traditionnels seront obligés de passer par le numérique ou de disparaître. Cette évolution est visible déjà pour la presse imprimée et le sera bientôt pour la radio et la télévision. Dans notre domaine, on a l’habitude de dire qu’aucun nouveau média n’a tué un ancien, mais le paradigme a changé avec la révolution du numérique : les médias ne se superposent plus mais convergent pour former le multimédia.
De même que vous n’avez plus besoin d’un studio pour faire de la radio, vous n’en avez pas non plus besoin pour faire de la télévision. En effet, sans même parler de la TNT, avec des logiciels comme Soundcloud ou des plates-formes comme YouTube, vous faites de la radio et de la télévision avec autant de succès que les formats traditionnels.
Li : Quelles sont les facilités d’entreprendre dans les métiers du numérique ?
Le secteur du numérique illustre à souhait l’affirmation selon laquelle on peut entreprendre à zéro franc. J’ai parlé tout à l’heure des médias. Pour créer un média en ligne, vous n’avez presque besoin de rien, à part votre tête. Vous pouvez créer votre entreprise avec rien, juste avec une idée géniale et en sachant utiliser les outils gratuitement mis à votre disposition sur Internet ; bien entendu, il faudra beaucoup de sacrifices et de sueur pour que ça marche. Par exemple, j’ai créé Lefaso.net avec environ 60 euros (près de 40 000FCFA), de quoi acheter le nom de domaine et l’espace d’hébergement ; mais pendant sept ans, j’ai travaillé presque seul dessus et bénévolement, avant que ça devienne une entreprise qui emploie aujourd’hui une trentaine de travailleurs permanents et un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines de millions.
Li : Donc les métiers du numérique sont bien rentables ?
C.P : Oui, les métiers du numérique sont rentables. La meilleure illustration est que les hommes les plus riches du monde aujourd’hui ne sont pas des gens qui travaillent dans l’or, le diamant ou le pétrole mais sont dans le numérique.
Les promoteurs des GAFAM (Google Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) sont aujourd’hui les plus riches et les plus influents de notre monde, avec même parfois des menaces qu’ils peuvent représenter pour les démocraties les plus puissantes.
Li : Quelles sont les difficultés liées aux métiers du numérique ?
C.P : L’écosystème numérique reste encore beaucoup à structurer et à consolider dans notre pays. Il faut une bonne connectivité Internet pour travailler efficacement dans le numérique et nous en sommes encore loin. Mais avec les innovations technologiques, notamment la fibre optique et l’arrivée annoncée de la 5G, ces difficultés devraient être résolues.
Il y a aussi un problème de culture du numérique car beaucoup d’acteurs et de responsables politiques ne semblent pas encore avoir pris conscience des évolutions technologique et industrielle en cours et continuent de travailler avec de vieux schémas.
Li : Est -ce qu’il y a une législation qui réglemente les métiers du numérique ?
C.P : Oui, il y a des lois qui encadrent le secteur du numérique. En ce qui nous concerne, vous avez déjà la loi sur les médias en ligne qui fixe les conditions dans lesquelles vous pouvez créer un média en ligne à vocation professionnelle et exercer en tant que journaliste en ligne. Et les lois qui encadrent les autres secteurs économiques prennent en compte d’une certaine manière le numérique, même si c’est parfois très insuffisamment. Il revient aux acteurs et aux politiques de comprendre les changements de paradigmes dans presque tous les domaines sous l’influence du numérique et de faire bouger les choses.