Issa Sorogo, styliste burkinabè vivant à New York aux Etats-Unis d’Amérique, est le génie créatif derrière la marque de vêtements Sorobis. Il a illuminé le Pavillon Afrique, le 23 mai 2024, lors du prestigieux Festival de films de Cannes. Son défilé a non seulement mis en avant l’élégance et la diversité du textile et de la mode africaine, mais a aussi laissé une empreinte indélébile sur la scène internationale.
Propos recueillis par Clémence Tuina
Comment vous vous sentez après cet exploit surtout qu’il y a eu beaucoup de difficultés (budget en deçà de ce qui était prévu, visas non délivrés à temps pour l’équipe) ?
Sorobis : Après cet exploit, je me sens très bien malgré les difficultés. Je suis très content. C’est une grande avancée pour la mode burkinabè et celle africaine de façon générale. C’est la deuxième fois successive qu’on voit cet événement de mode se dérouler en plein festival de Cannes.
Comment vous avez pu organiser un défilé de mode en marge du festival de Cannes, une programmation officielle du pavillon Afrique ?
Sorobis: En fait, j’ai une chargée de communication qui est une Américaine d’origine antillaise qui travaille avec le Pavillon Afrique depuis bientôt trois ans. La présidente du Pavillon Afrique du Festival de Cannes est une Française d’origine antillaise. Elle s’est rendue une fois en Afrique du Sud pour faire la promotion du Pavillon Afrique et, à cette occasion, elle avait besoin de tenues.
Mais comme elle ne connaissait pas de styliste africain ou afro, elle a demandé à ma chargée de communication, qui s’appelle Alizée, si elle pouvait trouver quelqu’un qui allait lui faire des tenues. C’est ainsi que Alizée m’a fait appel.
J’ai confectionné deux robes et après les avoir portées, la présidente du Pavillon Afrique, voulait me les retourner. J’ai dit non car je les ai faites à ses mesures.
Elle a été beaucoup touchée par ce geste qu’elle a pensé à organiser un jour un défilé de mode au Festival de Cannes pour me remercier à sa façon et me donner de la visibilité au niveau international.
Je n’ai pas hésité et j’ai sauté sur l’opportunité. Elle était tellement contente qu’elle nous a dit on n’a vraiment pas d’argent pour financer mais on vous donne le podium.
Je vais insérer cela dans le programme du Pavillon Afrique au Festival de Cannes et organiser un événement qui va célébrer la mode africaine, qui va faire la promotion du textile africain. Et c’est comme cela que tout est parti.
La première édition a eu lieu l’année dernière. C’était à 45 jours du Festival qu’elle a donné son OK et on s’est lancé. Suite à cet engouement, au succès de l’année dernière, elle est revenue cette année encore à cinq semaines avant le Festival de Cannes pour réitérer la même invitation.
A partir de maintenant, je crois que ça devient une tradition et on va se préparer dès à présent pour 2025.
Avez-vous connaissance de défilé de mode au Festival de Cannes avant le vôtre ?
Sorobis : Avant moi, il n’y avait pas un défilé de mode officiel qui rentrait dans le programme d’un quelconque pavillon. Il y a des gens qui venaient comme ça et qui faisaient des événements off de mode.
Je connais notamment une personne d’origine sénégalaise basée en France qui, souvent, faisait ses défilés dans les rues de Cannes pendant le Festival mais cela n’avait vraiment rien à voir avec le Festival de façon officielle.
Je suis le premier styliste qui a été inséré dans le programme du Pavillon Afrique du Festival de Cannes. C’était vraiment une première mondiale. En 76 ans d’existence du Festival, cette programmation n’avait jamais été faite.
Ce fut le cas l’année dernière et ça a été un succès phénoménal. Sorobis a été le styliste qui, la première fois, a été associé officiellement au programme du Festival de Cannes à travers le Pavillon Afrique.
Mais je ne veux pas que ce soit seulement une affaire de Sorobis. Bien que nous ayons été pionniers, je voudrais pouvoir tendre la main à d’autres stylistes, qui sont ambitieux, qui veulent se faire connaître à l’international et qui sont stables dans ce travail qualitatif qu’il faut pour être au Festival de Cannes. C’est une place bien indiquée pour une visibilité mondiale pour ceux qui le désirent.
Qui dit Festival de Cannes, dit tapis rouge avec les plus belles créations. Malheureusement, la mode africaine n’est pas assez représentative sur le tapis rouge pour la montée des marches. Quel commentaire en faites-vous ?
Sorobis : C’est vrai que c’est encore un début pour la mode africaine. Les tenues à inspiration africaine ne sont pas tout de suite sollicitées pour la marche, la montée des stars ou la marche du tapis rouge.
Mais ça commence à venir, à se faire. Par exemple, deux acteurs m’ont demandé de les habiller. Ils voulaient à tout prix porter des costumes alors que je n’en avais pas.
Nous avions plutôt des tenues à inspiration africaine qui sont tout aussi glamour mais comme ils ne sont pas encore habitués à ces tenues, il y en a qui ont plus ou moins désisté.
Parallèlement, il y a des personnalités du cinéma africain d’origine africaine qui ont porté des tenues africaines sur la montée des marches, sur le tapis rouge. Et tout cela contribue vraiment à donner de la force à la mode africaine.
Je parie que dans les années à venir, des stars porteront des costumes africains, des tenues glamour africaines, pour marcher sur le tapis rouge du Festival de Cannes.
Quel est votre rêve le plus fou pour votre marque « Sorobis » au Festival de Cannes ?
Sorobis : Le rêve le plus fou, c’est de voir que les tenues Sorobis, celles de créateurs africains, portées au Festival de Cannes sur le tapis rouge et même utilisées pour tourner certains films. C’est cela le rêve absolu et j’ai foi que ça va se réaliser. Je ne dirais pas tout ici, nous avons des petites sollicitations par ci et par là pour que cela devienne une réalité.
Comment voulez-vous voir grandir votre événement défilé de mode au Festival de Cannes ?
Sorobis : Ce n’est pas un one man show. Chaque année, je me retrouve à me battre tout seul, à trouver les sponsors. Les gens pensent que je peux faire venir tout le monde à Cannes alors que ne vient pas à Cannes qui veut.
Quand on vous donne un plateau et on vous dit exprimez-vous sans pour autant vous donner les moyens, ce n’est pas évident.
Donc du coup, vous n’avez pas la possibilité de dire à untel ou à tel autre je te fais venir à Cannes alors qu’il faut payer son billet d’avion, son hébergement, sa restauration. Et comme vous le savez, la vie à Cannes est chère pendant le festival.
Mon souhait est de voir beaucoup de mécènes venir vers nous, nous donner cette possibilité d’avoir les moyens afin de pouvoir impliquer beaucoup plus de créateurs de mode, beaucoup plus d’artisans, qui vont contribuer vraiment à la promotion de tout ce qui est beau en Afrique. Je profite de l’occasion pour dire que, d’ores et déjà, nous allons commencer à préparer l’édition 2025 et nous avons besoin de partenaires.
Qu’est-ce qui vous tient à cœur en cet instant précis ?
Sorobis : En tout cas, tout ceci n’aurait été possible sans le soutien financier de la holding de Monsieur Moumouni Pograwa. Je voudrais aussi dire un grand merci à Alizée, ma chargée de communication qui a animé le défilé.
C’est elle qui a été à la base de tout ce que nous faisons à Cannes aujourd’hui. Elle se bat pour tout ce qui est beau en Afrique, pour la black excellence.