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[Tribune] Les assises nationales : C’est comme la mort ou chéchéé…

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La légende raconte que dans une terre lointaine, existait un peuple qui vivait en harmonie avec le respect scrupuleux de ses règles et traditions.

Une des règles sacrées était de ne jamais profaner le territoire sacré réservé uniquement aux grands mages dépositaires du meilleur des savoirs et cultes endogènes.

Toute personne qui profanait le territoire sacré, était sévèrement puni. Comme punition, elle avait la possibilité de choisir entre la mort ou Chéchéé.

Un jour, des visiteurs étrangers, sans le savoir, profanèrent le territoire sacré et furent donc capturés pour être jugés et châtiés conformément à la tradition. On leur demanda alors quelle punition ils souhaitent ? La mort ou Chéchéé ?

Ils prirent le soin de demander ce que c’est que Chéchéé avant de faire leur choix. On leur expliqua que Chéchéé est une forme atroce de punition. Les contrevenants sont engagés dans une forme de pratique sexuel dégradante avec tous les mâles de la tribu… (jusqu’à ce que mort s’en suive).

Alors, les deux étrangers répondirent qu’ils choisissaient la mort. Le chef du territoire dit : «d’accord pour la mort, mais avant, Chéchéé ». En fait, on leur donna l’impression qu’ils avaient le choix, alors que, peu importe le choix, c’est Chéchéé d’abord et avant tout !

Cette histoire illustre parfaitement la scène politique du Burkina Faso de nos jours avec l’organisation des assises nationales. Quelle que soit la qualité des participants, quelle que soit la beauté des débats, la finalité sera de produire les conclusions attendues par le prince du moment. C’est sans enjeu !

Après le coup d’état du MPSR 2, et après la tenue des assises nationale des 14 et 15 octobre 2022, le Capitaine Ibrahim Traoré a prêté serment devant le Conseil Constitutionnel. Le 21 octobre, il jurait ainsi devant les juges de cette institution du Faso :

«Je jure devant le peuple burkinabè et sur mon honneur, de préserver, de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution, la Charte de la transition et les lois. De tout mettre en œuvre pour garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso ».

Dans un contexte de rupture de l’ordre constitutionnel, les Burkinabè dans leur large majorité, ont pu penser que la tenue de ces assises visait à offrir au pouvoir du MPSR2, une odeur de légalité, un goût démocratique, ainsi qu’une sensation de légitimité.

A l’épreuve des faits et 21 mois plus tard, force est de constater que la nature du régime du Capitaine Traoré malgré le volontarisme sur le plan de l’organisation de l’armée, est loin de faire l’unanimité ne serait-ce que si on considère les entraves à la liberté, les enlèvements de citoyens, la non-exécution des décisions de justice, ou la mise à mal de la cohésion sociale.

Toutes les voix discordantes sont contraintes au silence au nom de la lutte contre le terrorisme. C’est dans un tel climat de pensée unique que l’Assemblée Législative de Transition compte organiser les 25 et 26 mai 2024, une autre messe d’assises nationales pour ajouter un « lenga » au régime du MPSR2.

La question fondamentale concernant les assisses est la suivante : comment un régime qui ne croit pas en la démocratie peut-il vouloir faire usage d’instruments démocratiques pour légitimer son pouvoir ?

Les partisans et courtisans du MPSR2 affirment urbi et orbi que le Burkina Faso sous le Capitaine Ibrahim Traoré, n’a pas besoin de la démocratie, ni des droits de l’homme qui, disent-ils, sont des formes de contrat social impérialistes…

Ainsi, organisent-ils des meetings (probablement financés à coups de millions), pour réclamer cinq ans, 10 ans, ou une présidence à vie pour le Capitaine Traoré.

Cela rappelle étrangement les derniers moments de l’ère Compaoré avec l’organisation des meetings recto-verso par le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), pour sauter le verrou de l’article 37 et permettre ainsi à Blaise Compaoré de régner à vie.

Les assises supposent un débat contradictoire, des différences d’opinion, puis un consensus sur des divergences librement exprimées, etc. Comment un régime qui a passé son temps à entraver la liberté d’expression et d’opinion des Burkinabè, à museler les voix dissidentes, peut-il convoquer des assises nationales pour que les forces vives de la nation puisse discuter librement de la suite à donner à la transition ?

Pour être cohérent avec lui-même, le MPSR2 devrait se passer de cette gymnastique de légalité démocratique pour poursuivre son œuvre si tant qu’elle est salvatrice pour le pays.

Après tout, ils semblent avoir le rapport de forces en leur faveur. Pourquoi donc se donner la peine d’organiser des assises nationales ? A moins de vouloir donner l’illusion aux soi-disant forces vives de la nation, qu’ils ont pris part à un processus participatif et consensuel pour statuer sur la suite à donner à la transition. En réalité, comme dans la légende, ces forces vives auront le choix entre la mort ou Chéchéé.

Une autre question est de savoir quel crédit accorder au régime pour respecter les conclusions des assises sachant qu’il a unilatéralement choisi d’ignorer quatre des six missions de la charte de la Transition[1] du 14 octobre 2022 ?

Y a-t-il encore un intérêt, dans un contexte de rareté des ressources financières, d’organiser des assises pour produire une autre charte qui n’aurait aucune valeur contraignante pour le régime ?

Le MPSR2 au bout de 21 mois a pu faire la démonstration aux Burkinabè qu’il peut se passer de son serment de « préserver, de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution, la Charte de la transition et les lois ».

Dans ces conditions, pourquoi faudrait-il s’attendre à ce que le régime change soudainement pour s’encombrer des décisions et recommandations des assises surtout si celles-ci ne vont pas dans son sens ?

Il convient de souligner par ailleurs, que le pays est plus que jamais divisé, encouragé en cela par un discours non-rassembleur tenu au sommet de l’Etat. Pourtant, dans un contexte de crise sans précédent dans notre histoire politique, le discours des autorités étatiques devrait servir à rassembler les Burkinabè, à les inciter à œuvrer inlassablement en faveur de la cohésion sociale qui est un des facteurs déterminant pour le retour à la paix.

Malheureusement, Le Capitaine Traoré et son Premier Ministre ont, par leurs invectives, semé les germes de la division des Burkinabè en les catégorisant en apatrides et patriotes, valets locaux ou ennemis du peuple et Wahiyan, etc.

Un ministre d’Etat a même expliqué que les Burkinabè qui sont en désaccord avec l’approche du gouvernement peuvent quitter le pays… Pourquoi donc dans ces conditions, faire appel aux bons et mauvais Burkinabè pour prendre part à des assises dites nationales ?

Les autoproclamés patriotes, sont déjà acquis à la cause et sollicitent le pouvoir à vie pour le Capitaine Traoré. Pour eux, c’est Dieu qui a envoyé le Capitaine Ibrahim Traoré, qui est le seul à pouvoir sauver le Burkina Faso.

Les Burkinabè sont donc mis en demeure par les soi-disant patriotes, de choisir une forme de vie en mode pilotage automatique où seul le Capitaine a le droit de réfléchir pour eux, de décider pour eux.

C’est un crime de lèse-majesté que de demander des comptes sur la gestion du pays à moins d’être un apatride ! Nous sommes en guerre, disent les patriotes, et la seule attitude responsable, c’est d’encourager le Président de la transition.

Il faut donc s’abstenir de toute critique, et applaudir les efforts des autorités qui luttent pour la souveraineté et la libération de notre peuple des mains de l’impérialisme… Il faut combattre la domination de l’Occident sur nos peuples à condition que cet Occident s’appelle la France.

Il faut donc se débarrasser de tout ce qui s’apparente à la France y compris comme le souhaite un des chefs des Wahiyans, les couleurs des gyrophares des ambulances… peu importe si le drapeau russe a les mêmes couleurs…

Dans un tel climat de pensée unique et d’intimidation, qu’iront-ils faire aux assises les autres Burkinabè jugés indignes de leur nationalité ? Vont-ils vraiment s’exposer à des expéditions punitives en donnant leur véritable point de vue ? la réponse est évidente.

Il y a donc lieu pour le régime, de rester de bout en bout logique et cohérent avec la la politique de déni des règles de l’Etat de droit, et économiser les maigres ressources qui devront servir à organiser ces assises nationales.

Par un concours de circonstance, les auteurs de cet écrit ont la malchance de ne pas être présentement au pays, et d’avoir étudié dans des pays occidentaux (France, Canada, USA).

Que n’entendront nous pas sur leurs comptes après la publication de cet article ? La profondeur de la crise que notre pays traverse a atteint des niveaux insoupçonnés. La haine de l’autre est devenue une sorte de fonds de commerce, des faux profils et trolls sont créés sur les réseaux sociaux pour servir d’épouvantail, contre quiconque ose porter un regard critique sur la gestion de notre pays.

Pourtant, faut-il encore le rappeler, le Burkina Faso nous appartient tous et nul n’a le monopole du patriotisme. Il est donc impératif que les sachants et les intellectuels puissent s’exprimer pour déconstruire méthodiquement le narratif du prince du moment et de ses courtisans tant que cela sera contraire aux intérêts du peuple.

Le bruit de la minorité qui s’arroge le droit de vouloir monopoliser le débat public ne devrait, en aucun cas, nous départir d’affirmer nos positions et nos convictions. Il est grand temps de prendre position, et cela, en fonction de ce en quoi nous croyons au plus profond de nous-mêmes, de nos idéaux, de nos valeurs.

C’est pourquoi, sans prétendre sous aucun prétexte que ceux qui ne partagent pas nos arguments, ou que ceux qui soutiennent le régime sont moins Burkinabè que nous, sans nier le droit à ceux qui sont appelés péjorativement Wahiyan de s’exprimer, nous voulons inviter tous les Burkinabè à la pluralité des opinions et les autorités à se faire garant de ce droit de penser et de s’exprimer en citoyens libres, comme le garantit notre Constitution.

Nous devons avoir le droit de dire au Capitaine et à son équipe, de réviser leur trajectoire, de changer leur fusil d’épaule. C’est seulement à ce moment-là, que la tenue d’assises nationales aura tout son sens.

Pour l’heure, la meilleure chose à faire, c’est de décrisper le contexte politique national délétère caractérisé par des entraves à la liberté, les enlèvements extra judiciaires, la répression des voix dissidentes, le refus d’exécution des décisions de justice.

Le régime, pour prouver sa bonne foi, devrait libérer sans condition, tous les citoyens victimes d’enlèvements arbitraires, suspendre les applications sélectives de la loi de mobilisation générale, et mettre un terme à la suspension des activités politiques.

Cela est un préalable à la tenue des assisses nationales qui, pourraient être repoussées de trois mois, pour l’organisation d’une véritable conférence nationale souveraine.

En définitive, et pour reprendre les mots d’un internaute, nous croyons que “notre pays irait mieux le jours où nous allons nous réunir tous sans exclusion aucune et avec sincérité pour définir une voie à suivre dans le respect des opinions de chacun et dans un esprit d’inclusion totale.

A défaut, tant que des Burkinabè continueront à utiliser l’appareil de l’état pour se venger ou brimer d’autres Burkinabè, tant que certains citoyens considèreront qu’ils ont plus de légitimité à penser à la place des autres, nous courrons le risque de demeurer dans la violence cyclique et dans 100 ans nos enfants seront toujours là, à sauter et à aduler un nouveau messie comme nous aujourd’hui. »

Changeons donc de trajectoire car la haine de l’autre ainsi que la culture du messie, sont des mauvaises options très coûteuses et sans issue. C’est la mort ou Chéchéé.

Dr. Moumini Niaoné

Email : moumini.niaone@gmail.com

Bernard Zongo

Email : barkbigazongo@gmail.com

[1] Les six missions de la Transition sont : Mission 1 : Rétablir et renforcer la sécurité sur l’ensemble du territoire Nationale ; Mission 2 : Apporter une réponse urgente, efficace et efficiente à la crise humanitaire ; Mission 3 : Promouvoir la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption ; Mission 4 : Engager des réformes politiques, administratives et institutionnelles en vue de renforcer la culture démocratique et consolider l’Etat de droit ; Mission 5 : Œuvrer à la réconciliation nationale et à la cohésion sociale ; Mission 6 : Assurer l’organisation d’élections libres, transparentes, équitables et inclusives.

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