Les relations entre la CEDEAO et les pays du Sahel sont tendues depuis la prise du pouvoir par les militaires dans certains pays d’Afrique de l’Ouest et, au Niger, où elle exige le retour à l’ordre constitutionnel. Dans cet entretien, l’ancien ambassadeur Ismaël A. Diallo se prononce sur la situation. Il donne également sa lecture de l’actualité en Tunisie et au Sénégal.
Propos recueillis par Nicolas Bazié
Libreinfo.net: Il y a eu coup d’État au Niger, le 26 juillet 2023. Depuis, la CEDEAO met la pression pour le retour à l’ordre constitutionnel. Comment appréciez-vous l’approche de la CEDEAO vis-à-vis de ces militaires ?
Ismaël A. Diallo : Je suis de ceux qui pensent que l’approche de la CEDEAO est radicale. Elle est très myope. Et c’est curieux que la CEDEAO qui a 48 ans d’existence, n’a toujours pas appris de son passé.
La CEDEAO me semble-t-il a une stratégie sommaire. Elle est basée sur la condamnation, car elle laisse les dérives s’installer dans chaque État, et quand il y a un coup d’État, elle en vient aux actes sans voir ce qui a occasionné le coup d’État.

La CEDEAO s’est toujours mise dans la posture de laisser à chaque État membre l’entière responsabilité de faire ce qu’il veut sans nécessairement respecter l’État de droit et l’intégrité des institutions.
Libreinfo.net: Les militaires au pouvoir au Niger ont refusé de recevoir des missions des Nations Unies, de l’Union Africaine, de la CEDEAO. Quel commentaire faites-vous?
Ismaël A. Diallo : Je ne suis pas étonné parce que ces émissaires ne seraient pas venus pour discuter avec les militaires mais pour leur dire ce qu’ils doivent faire. La communauté internationale qui en réalité est l’occident pousse à la roue la CEDEAO.
Elle vient pour dire à la junte: « rétablissez la constitution et réinstallez le président Bazoum dans ses fonctions».
Libreinfo.net: Croyez-vous vraiment à une intervention militaire au Niger ?
Ismaël A. Diallo: Ce serait une grave erreur à mon humble avis parce que ceci pourrait entraîner la dislocation de la CEDEAO et de l’UEMOA.
Si nous nous engageons dans une opération armée, contre le Niger, nous aurons semé une graine nocive pour nos pays mais peut-être au bénéfice de l’occident.
C’est là-bas que nous allons acheter les armes, c’est là-bas que nous allons avoir des conseillers pour nous dire ce qu’il faut faire. Les influences négatives vont venir de là. Pourquoi prendre le risque de casser la CEDEAO et l’UEMOA? Parce qu’on veut imposer au Niger ce qu’il doit faire .
Je ne suis pas en train d’accepter ou de justifier le coup d’État. Je suis indiscutablement contre les coups d’État et je préfère que nous trouvions les voies et moyens de les prévenir plutôt que de les laisser venir.
Libreinfo.net : Que devrait donc faire la CEDEAO ?
Ismaël A. Diallo: La CEDEAO aurait dû avoir d’autres solutions. Elle refuse de s’attaquer à la cause du problème et c’est la conséquence qui l’intéresse. On ne règle pas un problème comme cela.
Lorsqu’on tombe, il ne faut pas seulement se préoccuper de là où on est tombé mais il faut regarder derrière pour savoir pourquoi on est tombé.
Autrement dit, il faut maintenir le rythme des réformes, la bonne gouvernance pour éviter de donner des prétextes à l’interruption du cours des mandats présidentiels.
Libreinfo.net: Croyez-vous en la démocratie en Afrique ?
Ismaël A. Diallo : Je crois en la démocratie. Mais, laquelle ? Nous avons la «démocratie électorale». Et pourquoi l’Afrique au sud du Sahara est le seul endroit au monde où l’occident impose la démocratie telle qu’il la conçoit lui-même ?

Est-ce qu’il le fait dans le monde arabe , en Asie , dans les Amériques voire même dans certains pays d’Europe ? Non, c’est aux pays africains au Sud du Sahara que l’on vous dit: « faites ceci faites cela». Nous recevons les ordres et nous les exécutons.
Pourquoi sommes-nous jusqu’à présent incapables de nous donner 1 ou 2 voire 3 ans de réflexion et d’échanges à tous les niveaux de la société, sans oublier ou négliger une partie aussi petite soit elle de nos collectivités pour revisiter nos concepts et nos pratiques du vivre-ensemble, de la bonne gouvernance, de nos us et coutumes.
Libreinfo.net: Comment avez-vous accueilli la suspension de l’aide au développement de la France au Burkina Faso ?
Ismaël Diallo : Quand on dit aide, est-ce un don ? Ce n’est qu’une anticipation dans laquelle il y a un intérêt. Il faut peut-être interroger la chambre de commerce du Burkina, pour savoir quels sont les circuits dans lesquels la France est présente et ne pas seulement voir l’aspect étatique et macro-économique.
Libreinfo.net : Venons-en à la situation en Tunisie. Que reprochez-vous à ce pays?
Ismaël A. Diallo : L’inhumanité, la haine du noir. Bien sûr, le gouvernement tunisien et les Tunisiens vont rejeter violemment cette qualification et surtout les pays arabes qui sont sur le continent africain. Il est malheureux, il est honteux, il est déplorable, il est lâche de la part des Africains noirs d’accepter cet état de fait sans rien dire.
Chaque fois qu’un pays arabe sur le continent africain maltraite, brutalise et tue directement ou indirectement des migrants noirs, la question n’est jamais évoquée dans le milieu officiel. Ni à la CEDEAO, ni à la l’UA.
Pourquoi cette complaisance ? Pourquoi cette complicité malsaine? Pourquoi ce manque d’estime de soi qui va jusqu’à se haïr soi-même? De donner raison à l’autre de nous traiter comme des esclaves.
Voilà ce qui se passe et cela se passera toujours. Le président tunisien avait eu des propos insultants sur les noirs africains. Il y a eu quelques protestations. Il avait déclaré que ce n’était pas ce qu’il avait voulu dire, qu’il a été mal compris et voilà qu’il fait pire maintenant.
Beaucoup de Tunisiens, voir la majorité des Tunisiens aujourd’hui, expriment librement leur racisme vis à vis des noirs.
Mais c’est de la faute des noirs en vérité. C’est de notre faute. C’est nous qui nous comportons de manière à perpétuer cette haine , cette condescendance, ce racisme à notre égard.
C’est à nous de mettre fin à cela, en nous comportant avec dignité, en ne nous laissant pas faire. C’est à nous de rendre coup pour coup. Gentillesse pour gentillesse, maltraitance pour maltraitance.
Tant que nous ne nous comporterons pas de manière à forcer le respect ce traitement continuera. Tant que nous trouverons des prétextes pour camoufler notre lâcheté, notre inconscience, notre défaut d’émancipation, ce traitement continuera.
Libreinfo.net: Est-ce à dire que les dirigeants africains sont coupables de par leur silence ?
Ismaël A. Diallo : Tout le monde est coupable. Les dirigeants africains, les intellectuels africains, la classe politique africaine sont tous coupables. Les influenceurs africains surtout religieux, musiciens sont coupables du fait qu’ils se taisent.
Libreinfo.net: Et que pensez-vous de la situation au Sénégal?
Ismaël A. Diallo : Cela m’étonne. Comment comprendre que des compétitions électorales gangrenent la vie d’un pays comme le Sénégal. Je ne comprends toujours pas ce qui fait que monsieur Sonko soit le seul qui a tant de pouvoir, tant d’emprise sur la foule. Pourtant, le Sénégal a beaucoup de femmes et d’hommes de haut niveau. Où sont-ils ?
Libreinfo.net : Quel est votre mot de fin?
Ismaël A. Diallo: Au Burkina Faso, tout est important, tout est urgent, mais en même temps, le plus important est de garder la tête froide et de régler chaque chose en son temps.
Et, surtout comprendre que personne ne peut tout seul avoir la solution à la crise que vit le Faso. Nous sommes tous des passants qui n’emporterons rien le dernier jour. Nous laisserons après nous, le souvenir de nos faits et l’image de qui nous avons été.
