Sous réserve de ce qui sera décidé à l’issue de la réunion des Chefs d’État-major des armées des pays membres de la CEDEAO qui s’ouvre demain jeudi à Accra au Ghana, beaucoup d’indices permettent d’affirmer que l’intervention militaire évolue vers son échec.
Par Fred Ido
Si l’option militaire est maintenue, la CEDEAO aurait commis la plus grosse erreur de son histoire. Parce que la mise en œuvre d’une telle décision l’affaiblirait si elle n’entraîne pas son implosion.
Des 15 pays qui l’a composent, 4 seulement soutiennent l’intervention militaire à savoir Bénin, le Sénégal, le Nigéria et la Côte d’Ivoire. Le Burkina, le Mali, la Guinée Conakry, le Libéria, la Sierra Léone et le Cap Vert ont rejeté l’usage de la force.
Le Togo, la Guinée Bissau, la Gambie et le Ghana donnent l’impression d’être dans la circonspection en gardant le silence même si la réunion des Chefs d’État-major des armées se tient actuellement à Accra. Que peut-on comprendre par leur silence qui embarrasse l’opinion?
Excepté ces pays, l’Algérie ne s’est pas contentée d’une déclaration. Elle a même stationné, le long de sa frontière avec le Niger, des troupes militaires en état d’alerte, prêtes à intervenir contre une » agression » du Niger.
Depuis hier, 15 août, le Tchad a déroulé le tapis rouge au premier ministre du Niger Ali Mahamane Lamine Zeine en visite officielle à N’Djamena. Une reconnaissance tacite comme aiment à le dire les diplomates?
Que pensent les populations?
Le continent africain qui a de plus en plus une opinion forte sur les questions de gouvernance, de démocratie et de choix stratégiques pour son développement est bruyante sur la question.
Le rapprochement entre les peuples n’est plus un leurre et ne souffrent pas de débat. C’est un facteur important à intégrer à l’analyse pour toute prise de décision. Aucun dirigeant responsable et conséquent ne peut et ne doit se passer de l’opinion de son peuple surtout si elle est forte comme c’est le cas actuellement.
Dans le cas d’espèce, les populations du Nord du Nigéria se sentent de la même communauté que celles du Niger. Par conséquent, elles sont solidaires des difficultés de leurs frères et sœurs séparées par des frontières artificielles créées de toutes pièces par la colonisation.
A la veille de la conférence des chefs d’État de la CEDEAO du 10 août 2023, le forum des sénateurs du Nord dans un communiqué s’est inquiété des conséquences d’une intervention militaire au Niger : « Les victimes seront des citoyens innocents qui vaquent à leurs occupations quotidiennes ». En tout état de cause, les sénateurs ont plaidé pour un règlement pacifique.
Au Togo, les Évêques ont appelé le lundi 14 août la communauté internationale à éviter l’option militaire. Ils ont félicité le président de leur pays Faure Gnassingbé pour sa position mitigée dans la crise et pour sa volonté de rechercher une issue pacifique à la situation au Niger.
Au Bénin, quand bien même, le président Patrice Talon a officialisé son accord pour la guerre, des chefs coutumiers qu’il a rencontrés ont émis un avis contraire: « Résoudre la crise actuelle par la voie diplomatique faite de négociations, d’écoute, de réconciliation et de consensus est la meilleure option.»
Idem pour les religieux. Ils ont même dit ceci: «Nous, Pasteurs de la Conférence épiscopale du Bénin, réaffirmons notre opposition à toute option militaire qui entraînerait le Niger et les pays de la sous-région dans les affres du crépitement des armes et de leurs lourdes conséquences ».
Les positions à l’international
Au plan international, la Russie à travers son ministère des Affaires étrangères s’est prononcé le 11 août 2023 contre une intervention militaire. « Nous pensons qu’une voie militaire de résolution de la crise au Niger pourrait conduire à une confrontation prolongée dans ce pays africain ainsi qu’à une forte déstabilisation de la situation dans l’ensemble de la région du Sahara et du Sahel »,
L’Italie qui à une base au Niger au même titre que la France, les États-Unis, les Émirats Unis est favorable à une solution négociée. Elle l’a fait savoir le 7 août 2023.
Les États-Unis qui étaient alignés sur la position de la France a fait volt face. Le chef de sa diplomatie Antony Blinken a déclaré hier mardi 15 août, : « Nous restons concentrés sur la voie diplomatique pour obtenir les résultats que nous voulons, à savoir le retour à l’ordre constitutionnel, et je crois qu’il continue d’exister une marge pour obtenir ce résultat par la diplomatie ».
Aujourd’hui plus qu’hier, l’unanimité est loin d’être faite sur le choix d’une intervention militaire au Niger pour rétablir l’ordre constitutionnel. Que va faire les Chefs d’État-major en réunion dès demain à Accra? La CEDEAO n’a-t-elle pas perdu sur le terrain de l’option de l’usage de la force?
