Le discours du premier ministre par intérim du Mali Abdoulaye Maiga à la tribune de l’ONU aura marqué beaucoup les esprits en Afrique par son audace à dénoncer la coopération bilatérale de son pays avec des voisins, les piques également contre la France, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, le président du Niger Mohamed Bazoum et bien d’autres. Quelques jours après, Libreinfo.net a rencontré Ismaël A. Diallo, ancien fonctionnaire du système des Nations Unies et observateur avisé de la scène internationale. Il donne sa lecture de la 77ème Assemblée générale de l’ONU.
Interview réalisée en ligne par Albert Nagréogo
Libeinfo.net: Comment vous avez suivi les discours des chefs d’États et de gouvernements africains à la 77è Assemblée générale des Nations Unies ?
Ismaël A. Diallo : Pour être honnête, avec peu d’attention sauf ceux des pays dont l’actualité sort de l’ordinaire et dont l’impact des problèmes pourrait toucher le monde. Il y a des États qu’il faut écouter car leur vision et projections concernent le monde. Pour beaucoup d’autres ce sont des redites avec quelques amendements.
Libeinfo.net: Le président Paul Henri Damiba était présent à cette Assemblée générale pour la première fois, comment vous appréciez sa participation à cette grande messe diplomatique ?
Ismaël A. Diallo : Il est peut-être soucieux d’entretenir la complaisance que le monde manifeste à l’égard de ce qui se passe au Burkina Faso. Et poursuivre sa politique de charme. Il a tenté de justifier l’injustifiable. Son propos sur l’intrusion de l’armée dans la gouvernance d’État ne pouvant convaincre personne. Sauf bien entendu ceux qui ne croient qu’à l’usage de la force brutale. Jusqu’à ce qu’ils réalisent que la force a ses limites. Et que ceux qui en usent et abusent n’en tirent aucune gloire.
Libeinfo.net: Quelle appréciation faites-vous de son discours prononcé à la tribune de l’ONU ?
Ismaël A. Diallo : Mon commentaire ci-dessus répond à cette question, je crois. Ce discours sera vite oublié et restera -inexploité- dans les archives des Nations Unies.
Libeinfo.net: L’allocution du premier ministre malien par intérim Abdoulaye Maiga semble avoir choqué le monde politico-diplomatique mais saluée par une bonne partie de la jeunesse, quel a été votre sentiment ?
Ismaël A. Diallo : Son discours sort des lieux communs et a l’avantage de dire au monde que l’Afrique évolue ; qu’elle ne continuera pas d’être le marche-pied des autres pays. Il a eu le courage des suicidaires car ceux qui profitent du statu quo ne ménageront aucun effort pour l’avilir et l’éliminer, afin que ses propos ne stimulent les jeunes.
Il a eu le courage de dire tout haut ce que beaucoup d’Africains pensent tout bas. Les pays autres que ceux d’Afrique au sud du Sahara sont toujours en retard d’une émancipation. Ils sont tellement habitués à voir et traiter l’Afrique comme un simple wagon exécutant leurs desiderata qu’ils refusent de penser que les temps changent. Ils seront surpris, à leurs dépens.
Libeinfo.net: Comment avez-vous trouvé ses propos vis à vis du président nigérien Mohamed Bazoum ?
Ismaël A. Diallo : Le premier ministre par intérim du Mali, Abdoulaye Maiga a souillé l’image du Mali-bâ! Lui et beaucoup d’Africains n’usent du panafricanisme et de l’unité africaine que dans les slogans et lors de réunions internationales.
Il oublie que le Mali a été le premier (sinon le seul) à inscrire dans sa première constitution « être prêt à renoncer à toute ou partie de sa souveraineté dans le processus de l’Union africaine ».
Il oublie également que lui-même n’est Malien de depuis quelques décennies. Car le brassage de nos populations est tel que très peu parmi nous peuvent affirmer qu’ils sont du même terroir depuis des siècles. Et d’ailleurs, depuis quand s’appelle-t-il Malien ? Kwame Nkrumah a baptisé la Gold-Cost dans un territoire qui n’était pas le Mali actuel.
De surcroît, j’ai entendu (on ne me l’a pas dit) lors d’une escale à Niamey en partance pour les États Unis le président d’alors Modibo Keïta dire (en plaisantant) à Diori Hamani président du Niger « Tu veux que je te rappelle que tu es Malien » ? Combien de chefs d’État actuels et passés peuvent se prévaloir d’être de leur nationalité actuelle depuis 3 ou 4 générations ? Pour résumer, cette remarque du premier ministre malien par intérim sur M. Bazoum est mal venue et indigne.
Libeinfo.net: Le président sénégalais Macky Sall avait la double casquette de parler au nom du Sénégal mais aussi de l’Union africaine, comment vous trouvez aujourd’hui la place de l’Afrique dans cette rencontre annuelle à New York ?
Ismaël A. Diallo : L’Afrique, je le pense n’a de place que lors des votes. M. Macky Sall a eu un discours banal, truffé de vues de l’esprit et d’illusions. Représenter tout le continent africain et aller quémander la solidarité du reste du monde et en particulier de ceux qui nous maintiennent au bas de l’échelle de ce monde est simplement pathétique.
Mais l’Afrique restera ce qu’elle est tant que nos dirigeants, notre classe politique, nos « intellectuels » persisteront à ne pas unir nos pays. Deux ou trois ou cinq ou dix auront plus d’impact que les lilliputiens que nous sommes toujours.
Libeinfo.net: Comment l’Afrique peut changer le regard des grandes puissances vis-à-vis d’elle ?
Ismaël A. Diallo: En changeant elle-même pour forcer les autres à nous voir et à traiter avec nous autrement. Tant que dans leur comportement les Africains continueront à se sentir et à agir comme des êtres inférieurs aux autres non-Noirs, rien ne changera.
Des africains, à des rares exceptions près se sont libérés de ce fardeau, mais peu de personnes à travers le monde qui ne sont pas Noirs ont fait leur mue. Ils ont toujours de complexe de supériorité vis-à-vis du Noir.
Libreinfo.net : Le Burkina Faso était fortement représenté à ce rendez-vous par son premier ministre Albert Ouédraogo quelques jours avant et ensuite le président Damiba, est-ce une vraie opportunité pour le Burkina Faso ?
Ismaël A. Diallo: Le Burkina Faso était fortement représenté à l’assemblée générale à New York pour impressionner qui ? On va quémander tout en se présentant en délégation d’un pays opulent. Cherchez l’erreur !!
Libreinfo.net: Le président Paul Henri Damiba a quand même rencontré des hautes personnalités du système des Nations Unies et d’autres pays. N’est-ce pas une offensive diplomatique réussie ?
Ismaël A. Diallo: Il est rare qu’un chef d’État se retrouve aux Nations Unies avec son premier ministre et de surcroît une forte délégation. Les autorités burkinabè n’ont rien à apprendre aux États membres intéressés au Burkina.
Ils en savent, peut-être mieux que beaucoup d’entre nous. En dehors du show, il y a peu ou pas de valeur ajoutée à cette présence démesurée. Les représentants des pays auxquels nous tendons la sibylle ont dû observer la délégation avec moquerie et un hochement de tête désabusé.
Les personnalités rencontrées ne sont en rien une nouveauté ni une “vraie opportunité” car encore une fois, nous ne leur apprenons rien sur nous-mêmes.
Libreinfo.net : La banque mondiale et l’ONU ont réaffirmé leur soutien au Burkina Faso dans la conduite de la Transition, Paul Henri Damiba n’est-il pas en passe de conquérir la communauté internationale ?
Ismaël A. Diallo: Il a une baraka inhabituelle et manifestement sait charmer ceux qu’il rencontre. Il surfe sur une condescendance propice à ses desiderata et plans. Le coup d’État au Burkina a été condamné du bout des lèvres et rien ne lui a été refusé depuis.
Libreinfo.net: Que pensez-vous de l’affaire des soldats ivoiriens arrêtés à Bamako et qui préoccupe désormais la CEDEAO et l’ONU ?
Ismaël A.Diallo: Une affaire rocambolesque ! Comment se fait-il qu’il y ait eu cette négligence, un manque de coordination entre la Côte-d’Ivoire, les Nations Unies et le Mali ? Ajoutons-y même la CEDEAO puisqu’elle est intéressée à l’actualité malienne.
Voici aussi les Nations Unies avec un langage contradictoire, embarrassé. Le gouvernement malien a peut-être un peu forcé la dose de réaction et de langage car il est illusoire que 49 individus, aussi entraînés soient-ils débarquent sur l’aéroport international de la capitale avec pour lubie de déstabiliser les institutions. Les forces ivoiriennes ne sont pas celles d’Israël ou des États-Unis.
Ceci entre dans le cadre des mauvais rapports que le gouvernement malien entretient avec quelques pays. Et un degré de nervosité flagrant. Tous, ici, (Côte-d’Ivoire, Mali, ONU, France évidemment) « overreacted » (se sont laissés aller au-delà du raisonnable).
