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Dépotage dans une station de traitement de la boue de vidange
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Chaque jour, à Ouagadougou, plusieurs milliers de mètre cube d’excrétas sont tirés de fosses d’aisance et acheminés vers des stations de traitement des boues de vidange. Mais savez-vous que la capitale produit plus de fèces qu’il en a la capacité de gérer ? Un sujet nauséabond qui ne semble pas intéresser grand monde, si ce n’est les vidangeurs débordés. Pendant plusieurs mois, nous avons curé le sujet. Reportage !

 

Ça ne sent pas bon ! Ce samedi 19 octobre 2024, le soleil vient à peine de pointer ses premiers rayons sur la capitale (Ouagadougou). Nous recevons un appel téléphonique. Au bout du fil, un anonyme nous invite à nous rendre sur le site de dépotage de Kossodo, au nord-est de la ville.

Depuis quelques mois, nous travaillons sur le sujet de la gestion des excrétas tirés des fosses septiques et avons, de ce fait, pris des contacts. Quand nous enfourchons notre moto, l’espoir d’avoir enfin des informations nous permettant d’avancer sur le sujet nous motive. Il faut dire que, jusque-là, les acteurs du domaine n’étaient pas prompts à parler à visage découvert.

Sur place, nous découvrons des camions vidangeurs stationnés. Chauffeurs, apprentis et responsables de sociétés de vidange ont des mines graves. Ils sont en arrêt de travail depuis quelques jours, le 16 octobre précisément. « Ici, on trouve environ 150 camions alignés en file indienne pour dépoter sur un site qui a beaucoup de difficultés. Il faut attendre au moins 6 heures de temps avant de pouvoir déverser les boues de vidange », fulmine Arnaud Paré, secrétaire général de l’Association des vidangeurs du Faso.

Lui et ses camarades ne se contentent pas de dénoncer la forte pression à la station de dépotage de Kossodo où une centaine de camions vidangeurs a créé, depuis quelques jours, un embouteillage inédit. Ils demandent aux autorités de leur trouver des sites de dépotage autorisés pour poursuivre leurs activités. Faute de quoi, leur arrêt de travail va se poursuivre jusqu’à nouvel ordre.

En prime de cet appel qui débouche sur ces déclarations, les croquants nous font visiter la station de traitement de boues de vidange. À l’entrée principale, nous constatons qu’il est presqu’impossible pour un camion de passer, à cause des trous d’une certaine profondeur.

Quelques jours plus tôt, un contact nous envoyait des vidéos amateures montrant comment les fosses débordent sur un autre site de dépotage, celui de Zagtouli. C’est dans cet environnement et à ce prix que Ouagadougou la belle est débarrassée de sa merde.

« Nous marchons dans du caca »

« Nous souffrons … », soupire ce chauffeur qui a requis l’anonymat et à qui nous donnons le nom d’emprunt de Franck Dianda. C’est dans une concession située dans le quartier Cissin qu’il nous a donné rendez-vous pour, dit-il, se « libérer » de ce qui se passe réellement dans le domaine de l’assainissement notamment les activités de vidange.

Franck Dianda (nom d'emprunt), chauffeur
Franck Dianda (nom d’emprunt), chauffeur

Dans ce domaine où il travaille depuis 2019, Franck révèle que démarrer le camion pour aller vidanger chez un client est une joie de courte durée. La vraie hantise est l’accès aux sites de dépotage. A Zagtouli, Sourgoubila ou Kossodo, il n’y a pas de bonnes voies pour y accéder. « Nous cotisons parfois 500, 1000, 1500 ou 2000 F CFA pour acheter des cailloux pour damer la voie et pouvoir accéder aux différents sites », nous dit Franck ajoutant qu’une fois sur le site, se déplacer à l’intérieur relève du parcours de combattant.

« Nos pneus s’éclatent là-bas, alors que nous payons à un comité mis en place et ce, par voyage, pour déverser les déchets. Nous pouvons faire 8 à 10 rotations par jour et nous payons 300 F le mètre cube (m³) pour chaque rotation », maugrée le chauffeur qui se demande à demi-mot à quoi sert cet argent versé au comité. « Il arrive que les fossés dans lesquels les chauffeurs déversent le liquide soient pleins et débordent. Nous vidons du caca et nous marchons dans du caca », regrette Franck Dianda, visiblement en colère mais impuissant.

Ses confidences sont confirmées par Carine Félicité Kaboré, promotrice de Alpha Omega Service, une entreprise spécialisée dans l’assainissement. Elle fait partie des rares femmes, sinon la seule, à être dans ce métier.

Excédée par les multiples problèmes qui minent le domaine, elle se lâche, en août 2024, sur le réseau social Facebook. « Nous sommes vraiment à bout. Nous avons parlé, négocié, rencontré les premier acteurs, responsables des sites de dépotage et autres en vain. Des sites fermés depuis des mois, le seul grand site à Ouagadougou fonctionne à peine normalement (site de Kossodo, ndlr). Nous croyons être aussi des acteurs essentiels pour l’assainissement du pays (…) », écrivait la patronne de Alpha Omega Service.

Quand nous la rencontrons, le 8 octobre 2024, le ton n’a pas changé. Selon elle, lorsqu’un site comme celui de Zagtouli, à la sortie ouest de Ouagadougou, est fermé pour des raisons techniques ou de traitement des déchets, presque tous les camions vidangeurs se tournent vers celui de Kossodo. C’est là que commence un autre calvaire des chauffeurs qui créent une longue file d’attente. « C’est parce que nous n’avons pas les moyens pour chercher notre site à nous. Si nous avions les moyens, ce serait déjà fait sans même attendre l’accord de l’ONEA (Ndlr, Office national de l’eau et de l’assainissement) ou de qui que ce soit. Malheureusement, nous ne pouvons pas nous permettre cela », se désole-t-elle.

Des camions dépotant sur un site provisoire à la sortie sud de Ouagadougou
Des camions dépotant sur un site provisoire à la sortie sud de Ouagadougou

Itinéraire sinueux pour l’assainissement

Lundi 9 septembre 2024. Ouagadougou. Quartier Sin Yiri. Le chauffeur d’un camion vidangeur vient de recevoir un appel téléphonique. Certainement un client a besoin de ses services pour vider sa fosse septique. 13h40, le camion vrombit, laissant échapper une épaisse fumée noire.

Discrètement, nous suivons le camion avec, à bord, trois personnes. La fosse d’aisance à vidanger se trouve derrière le Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de l’ex-secteur 30 de Ouagadougou, encore appelé « Major ». A l’adresse, le camion stationne et les occupants débarquent. Ils déballent un long tuyau en plastique derrière le camion et l’introduisent dans la fosse. Environ 30 minutes après, le travail est terminé.

Le camion démarre et prend la direction de Kossodo. La circulation à cette heure de la journée est plutôt fluide. Puis, nous bifurquons pour emprunter une voie aussi dégradée que visiblement dangereuse. Des nids-de-poule parsèment ce qui reste du bitume sur environ 1 km. Entre les secousses qui donnent souvent l’impression que le camion vacille et risque de terminer sa course sur le bas-côté de la route et la poussière, nous restons à bonne distance, observant le manège. Voici les conditions dans lesquelles les camions vidangeurs traversent chaque jour la ville depuis plusieurs années pour rejoindre les sites de dépotage de déchets construits par l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA).

Loin des habitations, des sociétés industrielles et à l’abri des regards, notre camion vidangeur entre enfin dans un grand espace. La destination finale des fèces depuis ses origines du quartier Sin Yiri.

Des capacités de traitement dépassées

En cette journée du 11 septembre 2024, c’est sous une fine pluie que Soumaïla Sedogo, président de l’Association des vidangeurs du Faso nous reçoit dans l’un de ses bureaux à Karpala. Il nous informe que la seule ville de Ouagadougou compte plus de 200 camions vidangeurs.

Les chiffres ici ⤵️⤵️⤵️

Selon lui, 90% des problèmes que les entreprises de vidange rencontrent sont liés aux sites de dépotage surtout en saison pluvieuse. Chaque jour, révèle-t-il, ce sont plus de 1000 m³, soit 65 à 70% de boues de vidange, que les chauffeurs envoient vers les stations de traitement.

Pourtant, le total cumulé de la capacité de réception des trois stations de la ville de Ouagadougou est d’environ 800 m³ par jour. Les stations ont donc, non seulement des capacités très faibles, mais elles sont toujours en mauvais état. Conséquence, certains vidangeurs ont des lieux secrets où ils déversent le contenu de leurs camions.

Une pratique que le président Soumaïla Sedogo regrette et condamne. Risques de pollution, des maladies déversées à l’air libre, de mauvaises odeurs, autant de désagréments pour l’homme et la nature. « C’est dangereux pour la santé. Cette pratique n’est pas du tout autorisée et nous sensibilisons nos chauffeurs sur la question. On ne dépote ni dans les caniveaux, ni à l’air libre, ni aux abords des barrages, encore moins dans les champs des cultivateurs», fait-il savoir.

Projets de nouveaux sites de dépotage

Les yeux des acteurs sont notamment tournés vers l’ONEA. Après plusieurs mois de relance, l’ONEA nous reçoit le 31 janvier 2025. Olivier Yaméogo, Directeur de l’exploitation assainissement, reconnaît les difficultés relevées par les vidangeurs. Il fait noter que, ce que les vidangeurs dépotent par jour dépasse les capacités des stations de traitement des boues de vidange. Cela dépasse largement les 1000 m³, dit-il.

Il faut donc trouver une solution et, selon notre interlocuteur, la Nationale de l’eau a en projet la construction d’infrastructures supplémentaires à l’intérieur des stations de traitement. Aussi, il rassure qu’il est prévu la réhabilitation des voies d’accès aux différents sites.

« Nous travaillons activement pour réhabiliter ces stations et l’État nous a aidés avec un budget », soutient le directeur de l’exploitation assainissement de l’ONEA qui poursuit que deux stations de traitement de boues de vidange verront le jour bientôt, notamment à Pabré et à Komsilga pour contribuer à désengorger celles existantes.

Aussi, fait-il savoir, un site provisoire de dépotage est en cours de construction à la sortie sud de Ouagadougou, sur l’axe Ouaga-Saponé pour permettre aux vidangeurs d’y dépoter, le temps de réhabiliter les anciennes stations. Après plusieurs mois, le 5 avril 2025, nous constatons que ce nouveau site provisoire est effectivement fonctionnel.

Olivier Yaméogo, Directeur de l’exploitation assainissement de l'ONEA
Olivier Yaméogo, Directeur de l’exploitation assainissement de l’ONEA

Presque tous les vidangeurs s’y rendent désormais, tout en espérant que d’autres sites verront le jour comme l’a promis l’ONEA. Des promesses dont Soumaïla Sedogo, le président de l’Association des vidangeurs du Faso et ses camarades, attendent la concrétisation.

En attendant, Frank Dianda vient de vidanger une fosse d’aisance familiale dans le quartier Cissin. Il est 7h en ce mois d’avril. Son camion, plein de matière fécale, se dirige vers la station de dépotage provisoire. En circulation, il roule lentement, la cigarette entre les doigts, dans un silence de cimetière. La journée commence, certes, avec un client, mais aussi avec ses équations comme, par exemple, sur quelle ruelle passer, quel trou éviter pour arriver à bon port.

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