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Pastoralisme et prévention des conflits fonciers : Semfilms et GIZ posent le débat à Bobo et à Houndé

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Le Pastoralisme comme mode de production a-t-il encore de l’avenir au Burkina Faso ? La question est sur toutes les lèvres depuis des années, surtout avec l’exacerbation de la situation sécuritaire dans les pays du sahel. L’association Semfilms en collaboration avec GIZ pose le débat en réunissant différents acteurs à travers des ateliers et des projections d’un film documentaire dans les 13 régions du pays.

Quelle est l’importance accordée au secteur de l’élevage par les décideurs publics du Burkina Faso ? Si vous voulez un indice, il faut vous référer au dernier passage du Premier ministre à l’Assemblée législative de transition le 30 mai dernier.

Seulement trois députés sur une soixantaine ont posé des questions relatives au secteur de l’élevage au Premier ministre lors de son discours sur l’état de la nation. Ce dernier a donné une réponse très laconique et vague aux préoccupations posées par les députés.

En tout, moins de 10 minutes (questions et réponses confondues) consacrées à la politique de l’élevage sur plus de six heures (3600 minutes) d’échanges à l’hémicycle. Ce constat traduit le peu d’intérêt accordé à cette activité par les acteurs publics.

La gouvernance du secteur de l’élevage occupe une place congrue dans les discours et les débats publics. Les rares fois qu’il s’invite sur la place publique, c’est lorsqu’il y a des conflits entre agriculteurs et éleveurs.

Ces dernières années, avec la montée du terrorisme, on parle encore moins de ces conflits au profit des pillages des animaux par les terroristes. Comment inverser cette tendance de la marginalisation pour replacer le secteur au cœur de la gouvernance et de la gestion des conflits qui se multiplient et se muent d’année en année ?

Pour Semfilms et son partenaire du Programme pour une politique foncière responsable (ProPFR) de la Coopération allemande (GIZ), il faut créer des cadres d’échanges qui réunissent tous les acteurs qui gravitent autour de la question du pastoralisme ainsi que les décideurs publics et privés.

Pour nourrir les échanges entre les acteurs, un film documentaire sur la transhumance intitulé « Vert pâturage » a été produit par l’association Semfilms.

Les ateliers et les projections du film devraient permettre de mieux appréhender l’évolution du pastoralisme, ses avantages et ses contraintes dans un contexte de plus en plus difficile marqué par de nombreux conflits liés au foncier, selon l’étude réalisée en septembre 2021 (« Pastoralisme et conflits fonciers au Burkina Faso ») par GIZ.

Pastoralisme
Des acteurs du secteur de l’élevage suivant une projection de films sur le Pastoralisme

Après l’atelier de lancement qui s’est tenu le 13 mai dernier au Centre national de presse Norbert Zongo à Ouagadougou, cap a été mis sur l’ouest du pays, précisément les villes de Bobo-Dioulasso et de Houndé, les 19 et 20 mai pour la tenue de deux ateliers et de deux projections du film suivies de débats.

Les échanges au cours des ateliers ont mis en évidence la méconnaissance du pastoralisme (surtout la transhumance), son mode de fonctionnement et son apport à l’économie nationale mais aussi sa contribution au renforcement de la cohésion sociale.

Un abandon continu du secteur

Le pastoralisme est un mode d’exploitation fondé sur l’élevage extensif qui est pratiqué sur des pâturages et des parcours et marqué par le déplacement d’animaux. La transhumance est une sous forme du pastoralisme où la mobilité des animaux est saisonnière à la recherche du pâturage et de l’eau.

Les éleveurs transhumants ont une résidence permanente, comme le montre le film, et retournent à des bases saisonnières chaque année. La transhumance constitue un pilier économique majeur et une source de résilience pour de centaines de milliers de ménages au Burkina Faso.

« Si on mange la viande à moindre coût dans nos villes et campagnes, c’est grâce au pastoralisme car si tout le monde pratiquait l’élevage intensif, le prix du kilogramme de viande allait dépasser 15000F dans les villes. », avertit un responsable rugga, une association d’éleveurs.

Le président de l’association Walde Fulbe rencherit : « Pour éviter les conflits, on somme les éleveurs de changer de mode d’élevage pour pratiquer l’élevage intensif. Or, on oublie de dire qu’au stade actuel, c’est pratiquement impossible. Toute la production actuelle de la SOFITEX en aliments pour bétail ne peut même pas satisfaire le cheptel de la seule région des Hauts bassins. »

A cela, il faut ajouter le gros déséquilibre dans le financement public des secteurs du monde rural. L’élevage qui contribue à hauteur de 18% au PIB ne reçoit même pas 0,5% du budget national. Les investissements dans le secteur sont très faibles.

A titre de comparaison, le secteur de l’agriculture a reçu 82 milliards d’investissement public en 2022 contre moins d’un milliard pour l’élevage pour la même période.

En 2023, la Transition a initié des programmes d’urgence dans plusieurs domaines dont « l’Initiative présidentielle pour la production agricole 2023-2024 » à hauteur de plus de 22 milliards FCFA. En revanche, aucune initiative pour le sous-secteur de l’élevage.

« Le déséquilibre est très notoire et l’Etat doit faire des efforts pour le corriger. », reconnait le vice-président du Conseil régional des Hauts bassins, Mahamoudou Barry.

Or, bien sécurisé et efficacement soutenu par des politiques publiques adéquates, le pastoralisme est en mesure d’apporter aux côtés de l’agriculture, une contribution déterminante à la croissance économique et à la sécurité alimentaire nationale.

Par contre, marginalisé, négligé et abandonné aux vicissitudes des nombreux aléas qui minent son existence, le pastoralisme sera durablement déstabilisé.

Somé Mathurin, secrétaire général de la section du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) est quant à lui « très choqué par ce que j’ai entendu et vu aujourd’hui. Avec tout ce que le pastoralisme apporte au pays, l’Etat n’a pratiquement aucune politique pastorale pour soutenir le secteur. J’ai l’impression qu’il y a un abandon organisé du secteur. »

Ce sentiment est partagé par de nombreux participants au regard du recul constaté dans la conservation et l’aménagement des espaces pastoraux. Plusieurs cas illustrent l’ampleur de la situation. Les éleveurs ont perdu environ 500 hectares dans la zone de pâture de Fougamba dans la commune de Padema (province du Houet).

La zone, cédée en 1974 aux éleveurs, couvrait une superficie d’environ 1000 hectares. Plusieurs rapports et études révèlent qu’entre 2015 et 2021, les agriculteurs autochtones se sont mis à vendre une bonne partie de la zone de pâture aux migrants sous le regard des autorités locales.

Egalement, dans les villages rattachés de la commune de Bobo-Dioulasso, plus de 2000 hectares ont été cédés à des agences immobilières. Cette reconfiguration de l’espace autour de la ville de Bobo joue sur les parcours des troupeaux d’élevage car les agriculteurs sont obligés de défricher de nouveaux champs vers les périphéries, réduisant ainsi les espaces de pâture ou obstruant des pistes pastorales.

Tout cela contribue à multiplier les conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la zone. Dans la province du Tuy, la situation n’est guère meilleure. Pour preuve, l’envahissement de la zone pastorale de Saho (commune de Boni).

De 2500 hectares à sa création en 2001, il ne reste que 1619 hectares. En vingt ans, près de 1000 hectares ont été perdus au profit des champs. Or, la zone accueille 6500 bovins, 3000 ovins et 2500 caprins. La réduction drastique de la zone pastorale a des conséquences néfastes sur la paix sociale car elle aggrave les conflits entre les principaux acteurs.

Les ateliers ont permis, au cours des deux jours d’échanges à Bobo-Dioulasso et à Houndé, aux différents acteurs de se retrouver, de se connaitre, de renforcer les liens. Pour Abdoulaye Diallo, coordonnateur du projet de caravane de film et des ateliers régionaux : « On souhaite que le cadre de concertation que nous avons créé continue de fonctionner après nos ateliers pour que les acteurs se parlent, discutent et trouvent des solutions à leurs problèmes. »

A Bobo comme à Houndé, les principales recommandations qui sont formulées pour réduire les conflits, vont de la sécurisation juridique des espaces pastoraux à la réadaptation face à la rareté des espaces pastoraux en passant par la prise de mesures de compensation pour les agriculteurs qui acceptent céder leurs terres dans le cadre des aménagements des pistes à bétail et des zones pastorales ; la promotion des mécanismes traditionnels de gestion et de résolution des conflits.

Au-delà des débats, les deux ateliers ont été des occasions précieuses pour les éleveurs de rencontrer des acteurs clés du monde rural et de l’administration.

Les échanges informels ont permis de tisser des liens, de partager des expériences et de discuter de collaborations futures pour prévenir les conflits et renforcer les liens. Les journées se sont conclues avec des notes d’optimisme quant à la capacité des acteurs à se mettre ensemble pour relever les défis communs.

Idrissa Barry

idimutations@yahoo.fr

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