L’interrogatoire du colonel major Boureima Kiéré, chef d’état-major particulier de la présidence du Faso sous la transition, s’est poursuivi ce mardi 13 novembre 2018 à travers l’exposition de l’expertise téléphonique par le parquet militaire.
Poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires ; le colonel major a répondu aux questions du parquet militaire permettant de comprendre son implication dans le coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015. « Etes-vous membre du Conseil national pour la démocratie (CND) ? », demande le parquet. « Je réaffirme que je ne suis pas membre du CND. Le général Diendéré m’a instruit lors d’une rencontre de la commission de réflexion et d’aide à la décision (CRAD) de lire le communiqué qui le proclame auteur du CND. C’est un ordre du général devant les officiers et je ne pouvais pas refuser. J’ai juste lu le communiqué », explique Boureima Kiéré.
« Même si le général t’a instruit de lire le communiqué, penses-tu que ta responsabilité n’est pas engagée ? », poursuit le parquet. « Mon conseil pourra répondre », rétorque l’accusé. « Vous dites que vous n’approuvez pas le putsch mais est-ce que votre position n’a pas changé, allant de l’accompagnement du putsch à son opposition ? », demande le parquet. L’inculpé, répond par la négative « Non, ma position n’a pas changé, raison pour laquelle la hiérarchie ayant compris ma logique, m’a demandé de jouer la médiation », affirme l’accusé.
« Selon vous quel a été la principale motivation pour le putsch ? », continue le parquet. L’ex chef d’état-major particulier de la présidence du Faso estime que c’est l’exclusion politique, la dissolution du RSP et l’adoption du nouveau statut de l’armée qui ont été les raisons de l’avènement du putsch. Le parquet est revenu sur la question de clans au sein du RSP évoquée la veille par le colonel major.
A la question de savoir s’il existe des clans au RSP et pourquoi ces clans, M. Boureima Kiéré confirme de nouveau l’existence de deux clans plus un au RSP : le clan favorable à l’ex premier ministre de la transition Yacouba Isaac Zida, le clan fidèle au général Gilbert Diendéré et le dernier clan dit résiduel, celui des non-alignés. Ces clans selon l’accusé, existaient bien avant la transition. Mais c’est pendant la transition qu’ils se sont exacerbés. Chaque clan aux dires de l’inculpé, tentait de recruter le maximum de gens. Lesdits clans étaient basés sur le jeu d’intérêts (promotion à l’interne et distribution d’argent). Car selon les propos de M. Kiéré, « l’argent était distribué pour recruter le maximum de gens. L’ex premier ministre Zida y mettait beaucoup de moyens. La preuve, c’est que le mode de vie de certains soldats, a changé et d’autres, notamment des caporaux avaient 16 millions de francs CFA dans leurs comptes. C’est le premier ministre qui leur donnait tous ces moyens ».
« Et qu’avez-vous fait en tant que chef militaire ? », interroge le parquet militaire. Et à l’accusé de répondre « à notre niveau au corps, nous avons pris des dispositions pour dénoncer cela. Nous avons même produit un rapport que nous avons remis à la hiérarchie militaire ». Mais pour le parquet, des éléments ont été financièrement gratifiés pendant le putsch, laquelle gratification pourrait être perçue comme un acte pour stimuler les hommes étant donné que le Général Diendéré était déjà dans la logique du coup d’Etat.
L’ex chef d’état-major particulier de la présidence ne partage pas cet avis. Pour le colonel major Kiéré, cette gratification financière entre dans le cadre d’une promesse faite aux éléments par le général Gilbert Diendéré. Il leur avait promis individuellement une somme de cent mille franc CFA. En observation, le marquet note qu’en tout état de cause, cette promesse a été faite pendant le putsch et peut leur donner l’impression que c’est pour galvaniser les soldats.
Les actes du colonel major Kiéré selon Me Kam
Pour Me Guy Hervé Kam, avocat de la partie civile, le colonel major Kiéré a posé beaucoup d’actes qui ne le désengagent pas du putsch. M. Kiéré avait entre autres, selon Me Kam, été personnellement informé du coup d’état par M. Diendéré ; le général lui a fait lire la proclamation devant les officiers ; il était présent à la désignation de celui qui lira le communiqué CND ; depuis lors, M. Kiéré était au camp avec le général Diendéré ; M. Diendéré lui a remis l’argent pour partager aux éléments après la dissolution du RSP ; M. Kiéré a donné des instructions pour le contrôle de zone à la place de la nation ; l’accusé était à la réunion de la commission de réflexion et d’aide à la décision (CRAD) et il n’a pas pris la parole. Dans ces conditions poursuit Me Kam, « il m’est difficile de comprendre que l’officier supérieur que vous êtes, nous dites que vous n’avez aucune responsabilité dans cette affaire ».
Nous ne voulons pas d’un procès mouta-mouta
L’interrogatoire du colonel major Kiéré ce mardi 13 novembre 2018, a aussi été celui de l’exposition de l’expertise téléphonique. Des interlocuteurs nationaux et étrangers ont communiqué pendant le putsch avec l’ex chef d’état-major particulier de la présidence. Pendant la lecture de ces conversations, le parquet militaire a cité nommément des interlocuteurs nationaux et s’est tu sur les noms des interlocuteurs étrangers (ivoiriens et nigériens), pour des raisons dit-il, diplomatiques et politiques. Cette façon de procéder du parquet a insurgé les avocats de la partie civile.
Me Prosper Farama pose le problème et souhaite que les identités soient dévoilées parce qu’il n’y a aucun argument juridique qui l’interdit, surtout que les identités des burkinabé avaient déjà été dévoilées par le parquet. Pourquoi ne pas poursuivre dans cette dynamique étant donné que le procès est public ? S’interroge l’avocat.
Dans le même sens, Me Séraphin Somé se demande ce que fera le parquet, quand les généraux Gilbert Diendéré et Djilbril Bassolé passeront. « Nous ne voulons pas d’un procès mouta –mouta », a-t-il martelé. Me Bonkoungou, l’avocat de M. Kiéré, regrette que ce soit maintenant que la partie civile constate le mouta-mouta du procès pourtant visible depuis le début. Les interventions des avocats des parties civiles se succèdent pour le même fait.
Le procureur suspend l’audience pour quelques minutes. A la reprise, celui-ci déclare que le tribunal ne se mêlera pas dans la présentation des charges par le parquet. Il le fera à sa manière jusqu’à ce qu’on intervienne en cas de besoin, a-t-il dit ; avant d’autoriser le parquet à poursuivre sa présentation.
Le procès reprend le mercredi 14 novembre 2018 à 9h, au tribunal militaire de Ouagadougou.
Siébou KANSIE
Libreinfo.net