Au Burkina Faso, l’adoption par le gouvernement d’un avant-projet de loi portant Promotion immobilière a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Dans cet entretien accordé à Libreinfo.net, le président de la Plateforme multi-acteurs sur le foncier, M. Bassiaka Dao est catégorique : il faut cette loi pour sauver le paysanat.
Propos recueillis par Nicolas Bazié
Libreinfo.net: Présentez nous la Plateforme multi-acteurs sur le foncier (PMAF)
Bassiaka Dao: La Plateforme multi-acteurs sur le foncier est une fédération d’OSC, d’organisations paysannes, d’organisations de l’administration publique et du privé, de collectivités territoriales et d’organisations paysannes qui a vu le jour en mars 2019.
Son objectif principal est d’assurer le droit à l’alimentation à travers une sécurisation foncière. Il s’agit de contribuer à la protection des intérêts des exploitations familiales agricoles burkinabè.
L’objectif aussi est de veiller à une bonne gouvernance foncière en milieu urbain et rural en interpellant les décideurs politiques.
Chacun doit pouvoir produire ce qu’il veut sur sa propre superficie de terre. La plateforme fonctionne dans ce sens avec la contribution de tous ses membres.
Libreinfo.net: Quelles sont les actions que la Plateforme mène dans le domaine du foncier?
Bassiaka Dao : Les actions que nous menons sont diversifiées dans ce secteur vital. Nous faisons le plaidoyer auprès des décideurs politiques dans un premier temps. Selon le code général de collectivités, l’espace communal est organisé en zone d’habitation , zone de production et de conservation.
Aujourd’hui, nous avons de vrais problèmes parce que des zones de production ne sont pas considérées par certaines personnes. C’est pourquoi nous faisons un plaidoyer conséquent à l’endroit des autorités.
Nous travaillons dans un deuxième temps à renforcer les capacités des différents acteurs du domaine, pour ce qui est de la connaissance des lois et de la politique foncière.
Sans oublier les conférences de presse que nous tenons ainsi que les séances d’échanges intercommunautaires que nous organisons parfois. C’est pour que tout le monde soit au même niveau d’information.
Libreinfo.net: Le Gouvernement a adopté le 29 mars dernier le projet de loi portant promotion immobilière au Burkina Faso. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle?
Bassiaka Dao: La nouvelle a été bien accueillie au sein de la PMAF. Tous ceux qui connaissent Ouagadougou doivent savoir que depuis 1960, les zones de production sont en train d’être remplacées par des zones d’habitation.
Maintenant, que deviennent ces citoyens qui étaient dans ces zones de production? C’est pourquoi il faut limiter cela. Et nous soutenons le projet de loi portant promotion immobilière au Burkina Faso à tous les niveaux.
Cela va permettre au gouvernement de prendre à bras le corps la question foncière dans le pays, dans la mesure où le projet de loi va limiter la spéculation foncière.
Ce qu’il faut savoir c’est que si les choses ne changent pas, il peut arriver que nous ne puissions même pas nous nourrir. Nous saluons vraiment les innovations que contient le projet de loi.
Libreinfo.net: Quels sont, selon vous, les avantages liés à ce projet de loi?
Bassiaka Dao: Le fait que le projet de loi ramène la superficie de la promotion immobilière à 5 ha est une bonne nouvelle. En plus, à ce niveau, le promoteur immobilier doit pouvoir investir sur cette superficie en construisant des logements décents avant de les mettre en location-vente.
On a vu des gens posséder 300 à 400 hectares dans un petit pays comme le Burkina Faso. L’autre avantage c’est que les paysans sauront qu’il est interdit de concéder des terres à vocation agricole pour une autre activité, faute de quoi des sanctions pourraient tomber.
Les promoteurs immobiliers se contenteront désormais de construire en hauteur pour minimiser les menaces sur la production agricole.
Libreinfo.net: Est-ce qu’il y a des limites dans ce projet de loi ? Lesquelles ?
Bassiaka Dao: On ne peut constater les limites d’une loi que dans sa mise en œuvre. Même quand vous mettez un enfant au monde c’est au fur et à mesure qu’il grandit que vous commencez à connaître son caractère.
C’est à partir de la mise en œuvre de la loi qu’on peut détecter des limites et en ce moment, on peut introduire une relecture de cette loi. Il faudra que chacun mette de l’eau dans son vin en se contentant du peu qu’on lui donne.
Le foncier est le support de toute activité humaine, donc, nous devons travailler à ne pas faire disparaître nos terres. Il y a des pays qui sont peuplés que le Burkina Faso mais qui n’ont pas de problème de production agricole et de logement.
Pourquoi nous, nous n’y arrivons pas ? Le Burkina Faso a une superficie de 274 200 km2. Nous comptons aujourd’hui 275 sociétés immobilières alors que de 1987 à 2014, le pays ne comptait que 13 sociétés immobilières.
Si chaque société s’accapare de 1000 ha de terres, qu’est-ce qui va nous rester? Comment les futures générations vont se nourrir ? Chacun doit pouvoir se reconvertir à un autre métier.
Libreinfo.net: Les promoteurs immobiliers sont contre l’adoption du projet de loi à l’Assemblée. Quelle appréciation faites-vous de leur position ?
Bassiaka Dao: Si vous coupez la tête d’un serpent, soyez sûr que la queue va se tordre. Autour de Ouagadougou, il y a plus de 30.000 hectares de terres accaparées où aucun immeuble n’y est sorti de terre.
C’était une activité lucrative sans mesures, ni contraintes qu’ils avaient eue. Maintenant qu’une loi vient tout changer, ils ne peuvent que se plaindre. Cependant, ils doivent savoir que l’adoption du projet de loi n’est pas contre eux.
Cela ne signifie pas que la promotion immobilière a été dissoute. C’est juste dire qu’il y a des normes à respecter au niveau de notre État. Chaque secteur d’activité doit avoir des lois, des règles que chaque citoyen est tenu de respecter.
Celui qui s’entête et viole ces lois, ce qui va lui arriver c’est lui seul en aurait cherché. Cela permet aux populations de vivre dans la paix , en harmonie. On ne peut être dans un pays où les plus forts piétinent les plus faibles parce que les derniers n’ont pas de moyens.
Si à l’Assemblée Législative de Transition la loi est adoptée, vous verrez que certains promoteurs vont se retirer d’eux-mêmes. Être contre l’adoption du projet de loi c’est leur droit, on ne peut pas les empêcher de manifester leur mécontentement.
Mais, si vous voulez continuer à être un promoteur immobilier, il suffit de vous conformer à la loi et vous n’aurez pas de soucis. On saura désormais dissocier le vrai promoteur immobilier du faux.
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que le paysan est acteur incontournable dans la société. C’est lui qui produit et nourrit l’humanité. Si vous récupérez toutes ses terres, comment allons-nous nous nourrir dans l’avenir ?
Libreinfo.net: Est-ce que vous avez des inquiétudes par rapport à la position des promoteurs immobiliers?
Bassiaka Dao: Cela n’inquiète personne. Il faut savoir que nul n’est au-dessus de la loi. C’est l’État qui décide de la démarche à suivre dans ce pays.
Libreinfo.net: Comment voyez-vous le foncier au Burkina dans 10 ans ?
Bassiaka Dao : Dans 10 ans, les activités foncières seront bien réglementées surtout avec l’avant projet de loi qui sera déposé sur la table du législateur.
Nous n’avons même pas d’autres choix que de veiller à ce qu’il en soit ainsi parce que notre superficie n’est pas extensible.