Le projet de loi portant Promotion immobilière semble convenir aux citoyens et à l’État qui voient en cela un garde-fou contre l’accaparement des terres. Cependant, ce projet est vivement décrié par les promoteurs immobiliers qui dénoncent leur exclusion de la gestion immobilière. Dans cette interview accordée à Libreinfo.net, le gérant de l’Agence Perspective, M. Léandre Guigma, architecte et urbaniste, donne son analyse sur cette question.
Propos recueillis par Daouda Kiekieta
Libreinfo.net : Le gouvernement burkinabè a adopté un projet de loi portant réforme du secteur immobilier. Comment appréciez-vous cette initiative ?
M. Léandre Guigma : Il faut rappeler que la loi sur la promotion immobilière existe depuis 2008. Cela fait 15 ans de pratique immobilière au Burkina Faso. Cette initiative de relecture de la loi est à saluer.
Qu’au bout de 15 ans, on puisse évaluer les forces et les faiblesses de l’application de cette loi, en tirer les conséquences pour améliorer le cadre juridique de l’exercice de cette profession.
Surtout quand on sait qu’il y a beaucoup d’engouement autour de la promotion immobilière. On a près de 300 promoteurs immobiliers agréés.
C’est normal que l’Etat puisse questionner la loi que lui-même a proposé, et chercher à l’améliorer au bénéfice des citoyens en quête de logements décents.
Libreinfo.net : Des Burkinabè, notamment ceux de la société civile, n’ont cessé de dénoncer cette ancienne loi sur la promotion foncière immobilière. Est-ce que vous avez eu des inquiétudes. Quel est votre avis à ce sujet ?
M. Léandre Guigma : Il faut d’abord encore rappeler le contexte qui a conduit à l’élaboration de cette loi sur la promotion immobilière. On se rappelle qu’avant l’adoption de cette loi, qu’il y avait vraiment de la promotion foncière.
C’est-à-dire qu’il y avait beaucoup de lotissements opérés par les communes et l’Etat et que très peu de parcelles issues de ces lotissements étaient mises en valeur.
L’objectif visé par la loi sur la promotion immobilière était de contribuer à la mise valeur des parcelles.
Or sur le terrain, on constate que la majorité des promoteurs ont fait plutôt de la promotion foncière. On se retrouve donc à la case départ.
Donc la promotion immobilière reste une problématique non résolue au Burkina Faso. On continue de morceler les terrains en périphérie et on les vend sans mise en valeur. Ce n’est pas comme cela qu’une ville se construit, s’édifie, et qu’on aura des quartiers où il fait bon vivre.
Libreinfo.net : Pour vous, qu’est-ce qui entrave la mise en valeur des terrains acquis dans le cadre la promotion immobilière, notamment à Ouagadougou ?
M. Léandre Guigma : Ouagadougou a, à la fois un avantage et un inconvénient, il se développe sur un site sans contraintes géographiques et physiques. Le terrain est plat et il n’y a aucune barrière qui empêche l’étalement de la ville.
C’est un avantage car le sol est constructible et plat ; l’inconvénient est que la ville n’a pas de limites naturelles, elle se développe dans toutes les directions.
Au bord de tous les axes empruntés, il y a des non lotis des possessions foncières, des grands domaines délimités, des site de promoteurs immobiliers qui s’étendent sur des centaines d’hectares.
Une ville a besoin d’être circonscrite pour être mieux gérée, mieux équipée. Le fait de laisser la ville s’étendre au gré des transactions foncières est une contrainte pour la maîtrise du développement urbain et la gestion foncière.
Donc l’une des grandes contrainte du développement urbain est l’étalement urbain de la ville de Ouagadougou dans tous les sens, qui n’arrive pas à suivre avec la viabilisation, c’est à dire des voies bitumées, avec le réseau d’eau potable et d’électricité, le réseau de drainage des eaux pluviales afin d’ avoir du foncier urbain apte à recevoir des logements.
Libreinfo.net : Nous avons assisté à des contestations de certains promoteurs immobiliers qui rejettent ce nouveau projet loi. Quelle est votre position à ce sujet ?
M. Léandre Guigma : Il y a eu des contestations depuis très longtemps ; ce n’est pas maintenant que la relecture de la loi a commencé.
Plusieurs dossiers des promoteurs immobiliers sont en cours d’approbation. Ils attendent depuis longtemps et certains ont perdu patience et sont même allés implantés des bornes sans approbation.
Il y a aussi les superficies proposées dans ce texte (qui est passé de 25 ha à 5 ha maintenant). Les promoteurs qui ont acquis des dizaines voire des centaines d’hectares trouvent que ce n’est pas suffisant pour faire de la promotion immobilière rentable.
Il se trouve également que la loi crée des monopoles pour des sociétés publiques comme la CGECI et la SONATUR. Ce sont ces raisons qui font que les patrons des sociétés immobilières ne sont pas favorables à cette révision de loi.
Nous, en tant que professionnels privés, nous pouvons dire que les superficies prévues nous semblent correctes ; ce n’est pas facile d’aménager des centaines d’hectares.
Selon nos calculs, pour aménager correctement un terrain d’un hectare, il faut environ100 millions F. CFA. Ce ne sont pas toutes les structures immobilières qui ont cette capacité de réunir cet l’argent pour juste produire du foncier, des parcelles viabilisées, sans compter les équipement de proximité et des logements.
Pourquoi ne pas commencer avec une petite superficie, puis étendre, par la suite, si on en a les moyens ?
Le fait d’avoir limité à 5 ha nous paraît restrictif car les promoteurs n’ont pas la même capacité. Si, éventuellement, un promoteur peut réunir les moyens pour bâtir sur plus d’un hectare, on peut échelonner les conditions pour permettre à certains promoteurs d’aller au-delà de la mise en valeur des 5 ha qui sont prescrits.
Une autre contrainte qui n’arrange pas les promoteurs immobiliers, c’est de les limiter à la promotion immobilière ; c’est-à-dire à les empêcher de faire de la promotion foncière et aussi de l’aménagement urbain. Désormais, ils n’auront qu’à construire sur des terrains mobilisés et aménagés par l’Etat.
La promotion immobilière est aussi limitée dans des zones urbaines dotées de documents d’urbanisme. Aujourd’hui, la nouvelle loi interdit d’aménager sur des zones rurales.
Libreinfo.net : Quelle différence faites-vous entre la promotion immobilière et la promotion foncière ?
M. Léandre Guigma : La promotion foncière consiste à acquérir un terrain, à l’aménager et à vendre des parcelles viabilisées. Il s’agit d’une opération qui consiste à donner de la valeur au foncier qui n’était pas aménagé.
La promotion immobilière intervient après la promotion foncière, c’est-à-dire après la viabilisation des parcelles. Elle consiste à édifier des immeubles, des constructions sur les terrains urbains aménagés.
Libreinfo.net : D’une manière générale, comment appréciez-vous la gestion du secteur foncier au Burkina Faso ?
M. Léandre Guigma : On a la chance d’avoir un cadre juridique qui n’est pas parfait mais qui existe et qui permet de régler les litiges fonciers. On a le Code de l’urbanisme et de la construction qui règle toutes les questions liées à l’urbanisme ; tous les pays n’ont pas ce cadre.
Mais, on n’arrive pas à l’appliquer sur le terrain. On constate beaucoup d’entraves aux textes que le législateur a pris. Les entraves se font à tous les niveaux ; : pas de respect des opérations d’urbanisme conformément aux documents d’urbanisme.
Par exemple, il y a des zones à lotir prévues par le schéma d’aménagement urbain ; le permis de construire n’est pas non plus respecté.
De façon générale, la mise en valeur des parcelles n’est pas réalisée au rythme souhaité par l’urbanisation. Elle n’est pas aussi proportionnelle à la demande en logements. Le besoin en logement est estimé à 20 000 logements par an à Ouagadougou.
La production est en deçà de la demande. Par exemple, l’Etat a réalisé 5000 logements en 10 ans, ce qui est nettement en deçà de la demande.
Libreinfo.net : Le nouveau projet de loi sur la promotion immobilière prévoit l’exclusion des promoteurs immobiliers privés des opérations d’urbanisme, notamment le lotissement. Quels peuvent être les impacts de cette exclusion ?
M. Léandre Guigma : Les promoteurs vont se contenter de construire sur des terrains déjà aménagés. Ce ne sont pas les terrains qui manquent. Dans toutes les villes, on a fait des lotissements. Dans ces lotissements, la moitié des parcelles ne sont pas bâties.
Ce qui me paraît idéal, c’est de permettre aux sociétés immobilières de les mettre en valeur, de tirer profit de leurs investissements, mais aussi de permettre au citoyen de pouvoir se loger.
Les parcelles déjà disponibles ne sont pas mises en valeur pour produire des logements aux populations qui en ont besoin.
Il faut orienter les services immobiliers vers les parcelles vides pour justement aider ceux qui ont des difficultés à mobiliser les ressources, à pouvoir édifier des logements, des constructions sur ces parcelles.
Des logements en hauteur peuvent être édifiés au bord des grandes voies afin d’accroître l’offre de logements et d’assurer un toit à chaque citoyen burkinabè, ce qui est un droit constitutionnel.
Qu’on puisse orienter la promotion immobilière vers la résolution d’un vrai besoin de logement et non créer d’autres problèmes avec de nouvelles parcelles qui restent vides.
La promotion immobilière a pour finalité de donner un logement à chaque citoyen et non de faire de la spéculation foncière.
Libreinfo.net : Est-ce que c’est la promotion foncière qui a rendu cher le coût des parcelles et des terrains ?
M. Léandre Guigma : Je ne pense pas que ce soit la promotion foncière, c’est plutôt la loi du marché. Lorsque l’offre est rare, le prix augmente. Cela peut s’expliquer en partie par l’arrêt des lotissements à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso.
Libreinfo.net : Les superficies réservées à l’activité de promotion immobilière sont réduites de 25 ha à 5 ha. Est-ce que cela pourrait contribuer à la bonne mise en valeur des terrains acquis par les sociétés immobilières ?
M. Léandre Guigma : C’est très cher de faire de la promotion immobilière sur de grandes superficies. Pour aménager un hectare, il faut au moins 100 millions de F CFA comme je le disais.
Mais pourquoi ne pas permettre à ceux qui ont les fonds d’investir sur des superficies plus grandes avec des conditions différentes de ceux qui ont des superficies plus petites ?
Lorsqu’on produit en masse, on peut faire des économies d’échelle. Contraindre tout le monde à 5 ha me paraît réducteur, mais c’est un bon chiffre pour commencer.
Pour les sociétés qui n’ont pas encore fait leur preuve, il faut ces conditions. C’est risqué de commencer avec des centaines d’hectares.
Libreinfo.net : Quelles peuvent être les conséquences de la non mise en valeur des terrains ?
M. Léandre Guigma : C’est la cause de notre sous-développement urbain. Pour construire la ville, il faut mettre en valeur tous les terrains. S’il y a des quartiers sans logement, sans centre de santé, sans école, il n y a pas d’urbanité.
C’est très important qu’on change de paradigme en allant au-delà du foncier pour mettre en valeur, et qu’on puisse avoir plus d’édifices construits, plus de logements, plus d’équipements sur des terrains sécurisés.
Il ne s’agit pas d’aller construire en milieu rural dans des zones qui ne sont pas viables, mais d’abord au sein des lotissements, des zones aménagées où la densité est forte. Cela va permettre à la population de profiter des réseaux d’eau et d’électricité disponibles avant d’étendre progressivement ces réseaux vers les périphéries.
Libreinfo.net : Quelle appréciation faites-vous de la gestion des zones non loties par l’État ?
M. Léandre Guigma : Elles sont gérées par les populations, par les chefs des quartiers ou par les conseillers municipaux qui habitent ces quartiers.
Il y a beaucoup d’efforts à faire pour restructurer, apporter à ces quartiers une sécurisation foncière à leurs habitants ; mais aussi et surtout leur apporter de la voirie, des équipements.
Un des objectifs principaux de l’urbanisme, c’est de produire des logements. Dans les zones non loties, les habitants ont déjà des logements qui ne sont pas décents ou adéquats certes mais en apportant la sécurisation foncière aux habitants, ceux-ci consolideront mieux leur constructions.
Il faut aussi inciter les promoteurs immobiliers à investir aux bords des grandes voies de certaines zones non loties situées dans de quartiers centraux des villes, pour accroître l’offre de logements. La sécurisation foncière incite les habitants à investir, à mieux construire.
Libreinfo.net : Un contrôle des terrains à usage autre que d’habitation a commencé le 1er avril 2023 dernier sur toute l’étendue du territoire national. Ce contrôle devrait permettre d’assainir le secteur foncier. Es-ce que cette initiative n’est pas tardive ?
M. Léandre Guigma : Il y a plusieurs aspects. Le premier, c’est la nécessité pour tout propriétaire de terrain à usage d’habitation ou autre usage que d’habitation de payer sa taxe de jouissance, sans distinction.
Ensuite, cela permettra de déceler certains terrains qui ont changé de destination sans respecter les procédures et au détriment de l’intérêt public. Par exemple, un espace vert transformé en commerce.
Pour nous, la finalité de tout aménagement c’est de mettre en valeur, c’est la mise en valeur des terrains qui est recherchée. Nous avons entendu qu’il y aura des retraits de parcelles qui ne sont pas de la mise en valeur conformément aux textes en vigueur.
Cela ne suffit pas à régler la non mise en valeur des terrains. Il faut mettre en place le cadastre numérique, c’est-à-dire numériser toute la gestion foncière. Il faut tendre vers une gestion fiable, durable de la question foncière.
Si on a un fichier numérique des parcelles de Ouagadougou, il suffit de la superposer à une image satellitaire et très vite on peut repérer toutes les parcelles non mises en valeur de Ouagadougou.
C’est une solution qui est à notre portée, aujourd’hui. On n’a plus besoin de faire le tour des parcelles.
On peut faire ensuite des taxations dissuasives pour que celui qui n’a pas mis sa parcelle en valeur ait une taxe à payer à l’Etat pour éviter la spéculation foncière.
Si un citoyen acquiert une parcelle, n’a rien investi dessus dix ans après et la revend trois fois plus cher que son coût d’acquisition, c’est cela la spéculation. Faisons-en sorte que nos zones loties soient aménagées et occupées, cela contribuera à réduire l’insécurité.
Concernant le délai des cinq ans pour mettre en valeur les terrains, on a remarqué dans la pratique, que peu de Burkinabè arrivent à respecter ce délai. L’Etat lui-même peine à trouver des ressources dans son budget pour mettre en valeur toutes les parcelles publiques.
Donc, si la question du délai de mise en valeur est posée, on peut revoir quel est le délai convenable pour mettre en valeur les parcelles au Faso. Cela va arranger tout le monde : l’État, les promoteurs immobiliers et les particuliers.
À mon avis, la numérisation du cadastre, la recherche de vraies solutions pour mettre en valeur les parcelles, paraissent des solutions plus durables que des opérations ponctuelles comme ce qui se passe en ce moment.
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