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Tribune: Relations France-Sahel : Un Partenariat Impossible, Une Rupture Improbable

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Dans une tribune parvenue à Libreinfo.net, son auteur Jean-Baptiste  Guiatin, Docteur en Science Politique (Université Thomas Sankara) analyse les Relations France-Sahel à partir des turbulences socio-politiques que connaissent certains pays comme le mali et le Burkina Faso et trouve que ce Partenariat devient impossible autant que la Rupture est improbable. Voici la première partie de cette tribune. La deuxième partie dans nos prochaines éditions.

Les relations franco-africaines n’ont jamais été sous le feu des projecteurs de l’actualité nationale et internationale. Les rues de Bamako et de Ouagadougou bouillonnent, des nouvelles fusent de partout. Les réseaux sociaux s’enflamment. La France, la puissance tutélaire, est pointée du doigt, et fait l’objet de tous les débats. Le moment semble donc propice de prendre de recul pour jeter un regard analytique sur l’état des relations franco-africaines. Pour cela, nous nous sommes appuyés non seulement sur la littérature scientifique, mais aussi sur l’observation des faits et la lecture de plusieurs articles de presse.

Cependant, nous n’avons pas encore pu effectuer des entretiens semi-directifs dans le but de renforcer les fondements de notre analyse qualitative. Notre travail s’articule autour de deux grands points. Si la première partie se focalise sur l’historicité du partenariat franco-africain en vue de camper le décor, la seconde partie, elle, s’intéresse surtout à la possibilité d’un quelconque divorce au sein de la maison franco-africaine dans un futur non lointain.

Partie I : L’historicité d’un partenariat impossible

Général Charles de Gaulle – le héros des tirailleurs sénégalais de la génération de nos grand- parents – et Jacques Foccart, l’homme de la Françafrique et fidèle serviteur du premier, doivent être en train de se retourner dans leurs tombes respectives. Il est difficile d’en deviner la cause, mais la raison en semble simple si l’on prend le soin de feuiller quelques pages de la littérature scientifique consacrée aux relations franco-africaines.

Tout comme un certain dirigeant allemand rêvait de construire une Germania qui durerait plus de mille ans, la passion du Général de Gaulle était de construire une communauté franco-africaine1 qui allait rentrer et rester dans l’éternité éternelle du temps de la grandeur éternelle de la France. En effet, de son point de vue son œuvre devait résister au temps car elle était conçue pour être et rester exceptionnelle (Chafer, 1994).

Mais, voilà qu’il n’avait même pas fini de construire son illustre maison que celle-ci devait faire face à des tempêtes les unes aussi fortes que les autres. En effet, trois grandes vagues de turbulence se sont révélées vraiment fortes. Par exemple, après l’époque des barbouzes à la Bob Denard et Jacques Foccart, soupçonnés à tort ou à raison de vouloir déstabiliser les nouveaux Etats africains francophones, et surtout de vouloir corriger les égarés comme Sékou Touré, Gilchrist Olympio, on vit venir l’ouragan des années 1990 avec ses conférences nationales, ses transitions contrôlées (Gazibo, 2010), le discours de la Baule avec in fine le maintien en place des gardiens du temple franco-africain.

En effet, la tempête des années 1990 n’a pas empêché Omar Bongo au Gabon, Houphouet Boigny en Côte d’Ivoire, Biya au Cameroun, Diouf au Sénégal, Conté en Guinée-Conakry, Eyadéma au Togo, ou Mobutu au Zaire, pour ne citer que quelques exemples, de continuer de régner avec le soutien explicite et indéfectible de la France. Même les nouveaux venus dans le club – par exemple Blaise Compaoré du Burkina Faso parvenu au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat de 1987 ayant coûté la vie au Président Thomas Sankara dont il était le numéro 2 – n’ont pas été inquiétés.

Enfin, dans les années 2000 deux événements significatifs se sont succédé. Premièrement, la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo et son groupe dit de Jeunes Patriotes vont, à travers des manifestations monstres souvent sanglantes, demander à la France de quitter le cœur de son pré-carré en Afrique de l’Ouest. Puis vint l’insurrection djihadiste des années 2010 qui obligea la France, en tant que puissance tutélaire, de monter deux longues et coûteuses opérations militaires au Sahel dont l’efficacité fait l’objet de sérieux débats aujourd’hui. Il faut noter que l’efficacité de ces opérations militaires françaises a été tellement jugée douteuse par l’opinion africaine que la France a fini par plier bagages du Mali en 2022, puis du Burkina Faso en 2023. Un vrai séisme dans la maison franco-africaine ! En outre, elle a vu ses accords de défense, la liant à ces deux pays sahéliens, dénoncés.

La plus récente secousse mérite quelques mots de plus. La crise djihadiste semble différente, de par ses effets sur le temple franco-africain. Après l’éphémère joie suscitée par l’Opération Serval, on s’est installé dans le doute, les accusations mutuelles. Dans tous les cas, il n’est pas difficile d’en imaginer la cause : l’incapacité de l’intervention militaire de la puissance tutélaire française à mettre fin aux multiples drames et tragédies causés par les sanglantes attaques des groupes dits terroristes, la plupart du temps sur des populations civiles sans défense, toute tendance ethno-religieuse confondue. Depuis que la désillusion s’est installée, le sentiment populaire est le suivant : « France Dégage ! » Même les gouvernants – notamment ceux du Mali et du Burkina Faso – ne font plus beaucoup de mystère de leur désenchantement et leur volonté de changer de direction.

Cette rupture, tant clamée et réclamée par l’homme de la rue à Bamako et à Ouagadougou fatigué des décomptes macabres dus aux attaques terroristes, et probablement envisagée dans le secret par les décideurs politiques des pays sévèrement touchés par le terrorisme, aura-t-elle lieu ?

A notre humble avis, la réponse à cette question est non2. Mais avant de répondre à une telle question qui taraude tous les esprits, il est important de démontrer, en quelques lignes, que le partenariat dont on parle tant dans les relations franco-africaines n’a jamais eu lieu.

Le pacte scellé par la France du Général de Gaulle avec ses anciennes colonies a été fondé sur un principe de base autre que celui de l’égalité des parties. En outre, la logique qui irrigue les relations franco-africaines des années 1960 à nos jours, à quelques exceptions près, se résume en cette formule majestueuse du célèbre sociologue et africaniste français Jean-François Bayart : « La diplomatie subsaharienne de la France vaut moins pour l’Afrique elle-même que parce qu’elle est censée servir la réalisation des ambitions mondiales de la (France) » (1990). En effet, cet africaniste de renom n’a fait que répéter les propos d’un ancien ministre français des affaires étrangères, qui affirmait ceci au début des années 1980 : « L’Afrique est le seul continent qui soit encore à la portée de la France, à la portée de ses moyens. Le seul où elle peut, encore, avec ses hommes, changer le cours de l’histoire » (Bayart, 1990 : 47). Par conséquent, on comprend aisément que la France règne en maîtresse absolue, en puissance tutélaire refusant de changer de paradigme, de logiciel de politique étrangère. Ce qui est encore plus frappant c’est la continuité de ce paradigme à travers les âges, du Général de Gaulle en 1958 à Emmanuel Macron au 21ème siècle (Staniland, 1987, Bayart, 1990). Quelle longévité d’un logiciel de politique étrangère d’une puissance qui a des ambitions mondiales dans un monde qui change!

Ainsi, tant que les princes locaux africains respectent ce principe de base, ils peuvent être rassurés de la pérennité de leur règne grâce au soutien indéfectible de la puissance tutélaire française. Avec la crise djihadiste, au grand dam de la France cela n’est plus le cas, en témoignent la chute de Ibrahim Boubacar Keita au Mali et celle de Roch Kaboré au Burkina Faso. Le partenariat gagnant-gagnant, tant clamé dans les discours officiels, n’a jamais eu lieu puisque l’exceptionnalité de la relation franco-africaine exclut de toute évidence ce type de partenariat. C’est pourquoi l’on peut parler de partenariat impossible entre la France et ses anciennes colonies au Sud du Sahara. Et pourtant, les décideurs politiques africains – à l’exception du Capitaine Thomas Sankara, de Sékou Touré et dans une certaine mesure Modibo Keita – ont toujours eu recours à la France pour faire face aux différents défis de leurs pays, que ce soit celui de développement d’hier ou celui de la lutte contre le terrorisme d’aujourd’hui. C’est dans ce contexte de dépendance que s’élèvent les clameurs d’une rupture.

Jean-Baptiste GUIATIN, Docteur en Science Politique (Université Thomas Sankara) Fulbright 2016

Master of Arts in International Affairs, Washington D.C.

Conseiller des Affaires Etrangères

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