La rentrée judiciaire 2023-2024 a eu lieu ce lundi 02 octobre 2023 à Ouagadougou. Cette année, le thème retenu était « Le traitement judiciaire des infractions économiques et financières : état des lieux et perspectives ».
Ce thème, dont la pertinence n’est pas à démontrer dans le contexte actuel de notre pays, va sans doute permettre aux acteurs judiciaires non seulement de faire un bilan sans complaisance de leur contribution à la lutte contre les crimes économiques au Burkina Faso, mais aussi d’orienter la réflexion vers une meilleure efficacité de l’institution judiciaire.
La Justice est considérée comme un pilier de l’État de droit et de toute société démocratique. Elle est l’instrument de régulation des tensions sociales, en ce sens que c’est vers elle que se tournent le plus souvent les citoyens, en particulier les plus faibles, pour avoir du réconfort lorsqu’ils se sentent lésés dans leurs droits.
De ce fait, la justice devrait être au service de la nation et non des individus. En tant que telle, elle doit montrer à la société et au citoyen toutes les garanties de son indépendance et de son impartialité dans son fonctionnement quotidien et dans la gestion des litiges.
Ce n’est qu’à ce prix qu’elle peut apparaître crédible aux yeux du peuple au nom duquel elle est rendue.
Cette année, la rentrée judiciaire se tient dans un contexte où la Justice burkinabè fait face à des défis importants en matière de son indépendance.
Comme en témoigne l’irruption, le 28 juillet 2023, d’un groupe de militaires dans les locaux du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Ouaga II aux fins de soustraire de l’autorité judiciaire une prévenue placée sous mandat de dépôt pour complicité de coups et blessures volontaires, séquestration et actes de tortures.
Si le gouvernement a considéré cet acte comme « une série d’incompréhensions et de malentendus », la situation a plutôt suscité de la part de tous ceux qui sont attachés à l’indépendance du pouvoir judiciaire une indignation et une désapprobation générale, compte tenu de sa gravité dans un État qui se veut de droit.
En outre, la manière dont ce problème a été géré, en l’occurrence le « transfèrement » de la principale mise en cause, Amsétou Nikiéma, de la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO), où elle ne s’y trouvait d’ailleurs pas, vers la Maison d’Arrêt et de
Correction des Armées (MACA), s’apparente bien à un arrangement politico-judiciaire. Autrement, par quel mécanisme juridique le Procureur général près la Cour d’Appel peut, à travers un simple communiqué, rectifier un mandat de dépôt décerné par un substitut du Procureur du Faso ?
Il faut se convaincre que cette manière de gérer les affaires judiciaires ne rend service ni au gouvernement, ni à la Justice.
L’indépendance du pouvoir judiciaire est le ciment qui garantit la prise des décisions à l’abri de toute intrusion et pression politique ou économique.
Elle implique que ni le législateur, ni le gouvernement, encore moins une quelconque autorité administrative ne puisse ou ne doive empiéter sur les fonctions du juge.
Cela est important pour la crédibilité et le bon fonctionnement de l’institution. Faut-il rappeler que la grave crise que traverse notre pays depuis 2015 est en partie la résultante de la mal gouvernance qui a entraîné un discrédit des institutions républicaines dans la régulation des rapports entre les citoyens.
En tant qu’acteur engagé pour une gouvernance vertueuse, le REN-LAC réaffirme son attachement à l’indépendance de la Justice dont le Chef de l’État est le garant. Il dénonce et condamne tout acte de nature à remettre en cause cette indépendance.
Par ailleurs, il encourage les acteurs judiciaires qui œuvrent au quotidien, malgré les conditions de travail difficiles, à rendre les décisions de justice en toute impartialité. Notre peuple saura reconnaître leurs efforts dans la lutte contre la corruption y compris au sein de l’appareil judiciaire.
Il est vrai que la justice a longtemps été décriée et continue encore de l’être pour sa difficulté à traduire entièrement les aspirations du peuple burkinabè, d’autant que certains acteurs s’adonnent à des actes de corruption contraires à l’éthique et à la déontologie de leur métier, cependant force est de reconnaître que l’institution a effectué des progrès non négligeables ces dernières années dans le traitement des dossiers de crimes économiques.
Cela, en dépit des difficultés d’ordre matériel, humain et financier auxquelles les différentes juridictions font actuellement face et qui peuvent handicaper leur fonctionnement.
Cette situation est davantage perceptible au niveau des pôles judiciaires spécialisés dans la poursuite et la répression des infractions économiques et financières (ECOFI), créés en 2017.
Ces pôles manquent notamment d’assistants spécialisés dans le traitement des dossiers ainsi que d’une unité de police spécialisée dans la répression des infractions économiques et financières.
On note aussi leur engorgement du fait que les juges qui les animent continuent de connaitre des affaires de droit commun.
L’efficacité de l’appareil judiciaire dans le traitement des infractions économiques et financières exige à la fois une volonté politique au sommet de l’État à doter l’institution de moyens conséquents et des efforts considérables de la part des acteurs judiciaires à mener à bien leur mission pour le bonheur de notre peuple.
Le REN-LAC profite donc de cette rentrée judiciaire pour plaider une fois de plus à la relecture de la loi N°005-2017/AN portant création, organisation et fonctionnement des pôles judiciaires spécialisés dans la répression des infractions économiques et financières et de la criminalité organisée.
Pour une Justice véritablement indépendante au service du peuple, il appelle l’ensemble des acteurs, en particulier le Chef de l’État, garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, à œuvrer pour le strict respect de la séparation des pouvoirs, seul rempart contre l’arbitraire et la volonté des puissants.
En ces moments difficiles pour notre pays, la Justice a plus que besoin d’être renforcée et crédibilisée pour pouvoir jouer efficacement son rôle dans l’apaisement des cœurs à travers un apurement du passif social.
Cela passe aussi par l’assainissement de cette institution qui doit se débarrasser des brebis galeuses dans ses rangs. Plus que jamais, les Burkinabè doivent se mobiliser pour préserver et approfondir les acquis de l’insurrection populaire en matière d’indépendance de la Justice.
Bonne année judiciaire 2023-2024 à tous les acteurs judiciaires du Burkina Faso
Fait à Ouagadougou le 02 octobre 2023
Le Secrétariat Exécutif