WhatsApp Image 2025-04-29 at 18.42.59
Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye
Facebook
X
Print
WhatsApp

Considéré comme une étape marquante de tout mandat présidentiel, le terme des cent premiers jours donne lieu, ici et ailleurs, à un tour d’horizon des questions fondamentales de la marche de la nation. On sort, en effet, de l’état de grâce pour entrer de plain-pied dans la gestion quotidienne du magistère et on scrute plus attentivement comment le nouvel élu entre dans son costume de président. Au Sénégal, Bassirou Diomaye Diakhar Faye n’a pas échappé à cette traditionnelle halte.

Par Serge Mathias Tomondji

Qui a eu cette idée folle, un jour, d’inventer le rituel des cent premiers jours de présidence ? C’est la célèbre chanteuse française France Gall qui a musicalement posé la même question en 1964, mais à propos de l’école, dans sa chanson « Sacré Charlemagne », devenue culte ! Mais depuis longtemps en effet, et dans la sphère politico-médiatique, marquer les cent premiers jours de la présidence d’un chef d’État, nouvellement élu ou non, est devenue une tradition, une règle non écrite qui traverse les âges.

Dans une Tribune publiée le 16 août 2017 dans Le Figaro, Maxime Tandonnet indique que ce « passage obligé des cent jours d’un quinquennat (est une) tradition qui nous vient de Napoléon ». Et rappelle à ce propos la brève période de trois mois que cet empereur français a passé au pouvoir après son évasion, le 20 mars 1815, de l’île d’Elbe. 

Du reste, pour Maxime Tandonnet, « l’étape des cent jours est toujours le moment du premier bilan, généralement dominé par le désenchantement après l’état de grâce ». Une réalité française sans doute, qui incruste ce rendez-vous au cœur de la « politique spectacle contemporaine » et trahit, selon Maxime Tandonnet, « un goût suranné pour la personnalisation du pouvoir, qui est bien souvent le masque de l’impuissance ».

On parle, en effet, aussi des cent jours aux États-Unis, sans que l’on y décèle un quelconque culte de la personnalité. Et l’on se rappelle d’ailleurs que c’est Franklin Delano Roosevelt qui y a introduit cette pratique, lorsqu’il accède à la présidence américaine le 4 mars 1933. Le pays était alors plongé dans une terrible crise et Roosevelt met en œuvre des mesures hardies, à travers son « New Deal », une batterie de lois qui permirent aux États-Unis de sortir de la Grande Dépression. Barack Obama l’a d’ailleurs beaucoup emprunté à Franklin Delano Roosevelt pour impulser, en 2009, une nouvelle dynamique politique et économique à son pays.

Endosser le costume présidentiel 

Finalement, à quoi cela peut-il servir aujourd’hui de jauger l’action d’un chef d’État cent jours après sa prise de fonction, alors qu’il commence à peine à affronter les réalités de son nouveau pouvoir ? Bien évidemment, cette… tradition s’est invitée sur le continent africain, où on parle à l’envi de devoir de redevabilité et tutti quanti… 

C’est vrai, il faut montrer au nouvel élu que le moindre de ses actes est scanné et que les préoccupations des populations sont là, toujours pressantes. Une manière de mettre un terme à l’état de grâce dont il a pu bénéficier au long du premier trimestre de sa présidence et un terme, cent jours, pour lui indiquer qu’il a eu le temps « pour endosser le costume présidentiel et faire ses preuves ».

C’est pourquoi le rituel des cent jours devrait donner lieu à une profonde réflexion pédagogique et prospective, qui part de l’état des lieux des préoccupations nationales aux esquisses de solutions pertinentes pour assurer le mieux-être de la population. Montrer le cap, dessiner la voie, redimensionner, s’il le faut et dans la sincérité, le rêve et les objectifs de départ, pour amener chacun et tous à … regarder dans la même direction. 

Au cœur de l’action

En tout cas, au Sénégal récemment, le nouveau président, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, n’a pas échappé à l’exercice. Le sablier politique a, en effet, indiqué, le 10 juillet dernier, qu’il a déjà grillé cent jours de son bail de cinq années à la tête du pays, depuis son investiture, le 2 avril 2024, comme cinquième président de la République. Cent jours seulement, a-t-il d’ailleurs souligné, mais cent jours déjà, s’exclament ceux qui trouvent ses premiers pas plutôt timides.  

Pourtant, un peu plus de trois mois après son entrée en fonction, le chef de l’État sénégalais, porté par une solide légitimité politique et populaire, a mis le cœur à l’ouvrage. Il sait que les priorités sont nombreuses et les attentes cruciales. En promettant « une gouvernance de rupture et de justice sociale », Bassirou Diomaye Faye semble travailler pour mettre effectivement « la gouvernance, le renforcement de l’État de droit, la lutte contre la corruption, la souveraineté économique et le bien-être social des Sénégalais » au cœur de son action.

Si l’annonce, en juin dernier, de la baisse des prix des denrées alimentaires comme le riz, l’huile, le sucre et le pain, répond bien à la promesse du nouveau pouvoir d’agir conséquemment sur la cherté de la vie, cette mesure est toutefois jugée quelque peu dérisoire. Saluée à sa juste mesure par de nombreux Sénégalais, ce fléchissement des prix de principaux produits de consommation, y compris le ciment, agit sur le pouvoir d’achat. Ce qui n’empêche pas de nombreux observateurs de réclamer « plus d’efforts du gouvernement pour lutter durablement contre la cherté de la vie, notamment dans la capitale, Dakar ».

Les défis pour impacter positivement le quotidien des populations les plus défavorisées sont, on le sait, prégnantes, mais les opportunités ne manquent pas. Surtout avec le début de l’exploitation, par le pays, du champ de pétrole et de gaz de Sangomar. « Le Sénégal qui espère atteindre une production de 100 000 barils par jour, compte (ainsi) diversifier son économie grâce à ce secteur ». La renégociation annoncée des contrats pétroliers et gaziers signés avec des sociétés étrangères et la bonne gestion de ces ressources, catéchisme du nouveau binôme de l’Exécutif sénégalais, devraient permettre au pays de disposer des leviers de son ambition à travers la mise en œuvre de politiques publiques efficaces.

Nouveau regard diplomatique

Bien sûr, les critiques n’ont pas manqué de fuser au cours de ces cent premiers jours, tant les chantiers à investir et à réussir sont multiples et multiformes. C’est maintenant, dirait Aimé Césaire, « le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme » pour délivrer une copie acceptable quand viendra le véritable moment de rendre compte. Et notamment sur « les questions d’emploi et de réduction de la pauvreté », au nombre des priorités du président Bassirou Diomaye Faye.

Mais le … jeune chef de l’État du Sénégal est aussi beaucoup attendu sur les questions internationales, dans un contexte de surchauffe diplomatique et sociopolitique en Afrique de l’Ouest. Que peut-on attendre de sa casquette de facilitateur — avec le président togolais, Faure Gnassingbé — de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans le bras de fer qui oppose l’instance communautaire aux trois pays de la Confédération Alliance des États du Sahel ?

Calme, posé et pondéré, Bassirou Diomaye Faye a indiqué avec pertinence, en abordant la question lors de l’oral qu’il a accordé, le 13 juillet dernier, à la presse de son pays au détour de ses cent premiers jours de présidence, qu’il fallait « administrer » cette situation avec hauteur et respect.

« Je ne me fais pas d’illusion, j’aborde cette mission avec humilité, en dialoguant et en cherchant à réconcilier les positions. Les décisions des États de l’Alliance du Sahel seront respectées, mais il est essentiel de continuer à discuter en raison des défis communs », a notamment indiqué le président sénégalais.

En tout état de cause, estime-t-il sur cette question, « même si des pays décident de quitter la CEDEAO, il faut administrer cette situation, discuter de ce qu’ils avaient et de ce qu’ils auront en dehors de la CEDEAO, notamment sur des défis communs comme le terrorisme et les trafics illicites ». Au total, martèle encore celui qui n’était pas aux affaires au moment où les sanctions de la CEDEAO qui ont finalement conduit à ce divorce ont été prises, « un conflit sans dialogue n’est pas acceptable » !

Judicieux partage des rôles

C’est sûr que l’Afrique, et singulièrement l’Afrique de l’Ouest, attend de voir l’aboutissement de cette mission de facilitation. Mais Bassirou Diomaye Faye veut rester pragmatique en la matière et œuvrer pour la solidarité et la fraternité dans la région ouest-africaine. En atteste ses premières sorties présidentielles, consacrées aux pays voisins du Sénégal, et la réorientation du département ministériel chargé de piloter la diplomatie sénégalaise.

La dénomination actuelle du ministère — «ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères » — traduit ainsi le rôle prépondérant que compte jouer le pays de la Téranga sur le chantier de l’intégration africaine. En tout état de cause, estime Babacar Ndiaye, analyste politique et chercheur à West African Think Tank (Wathi), Bassirou Diomaye Faye a adopté « une nouvelle politique étrangère qui privilégie les relations entre États africains », montrant ainsi que l’Afrique constitue un espace d’intérêt stratégique.

Il ne reste peut-être qu’à rassurer les uns et les autres sur la bonne entente entre son mentor, Ousmane Sonko, devenu Premier ministre faute de s’asseoir sur le fauteuil présidentiel, et lui. Et Bassirou Diomaye Faye le fait de fort belle manière : « Je n’ai aucun problème avec mon Premier ministre. Je l’encourage non seulement à lorgner le fauteuil présidentiel, mais aussi à l’occuper car depuis dix ans je me suis battu à ses côtés pour qu’il y parvienne. Je le souhaite de tout cœur. »

De quoi faire taire les mauvaises langues qui prédisent que le fameux duo du Pastef entrera forcément dans l’arène d’un duel politique serti d’ego et de contradictions ? Il faut sans doute attendre encore de voir, mais il reste évident que pour l’heure, le partage des rôles est clair : « le président Bassirou Diomaye Faye s’occupe des questions stratégiques, de souveraineté et de la diplomatie, laissant le soin au Premier ministre, Ousmane Sonko, de gérer les dossiers politiques et l’administration quotidienne de l’État ». Une répartition des rôles on ne peut plus gagnante pour le Sénégal, pour la démocratie et pour l’Afrique !

www.libreinfo.net