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Burkina : Six filles symboles de résilience du savoir

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De nombreux obstacles obstruent le chemin scolaire des élèves en milieu rural. Réveil aux chants des coqs et du muezzin, fraicheur, traversée de fleuve, distance à parcourir, retards, soif dûe à l’absence de forage à l’école et de cantine scolaire à certaines périodes de l’année scolaire, etc. A Kuilkienka, alors que des garçons abandonnent l’école, six filles en provenance du village de Douré, dans la commune de Ziniaré, résistent et poursuivent leur cursus scolaire en allant à l’école en pirogue. 

Par Natabzanga Jules Nikièma

Il est 7h30 à l’école de Kuilkienka, située sur le côté gauche de l’unique piste rurale aménagée qui traverse le village pour s’achever dans le lit du fleuve Nakambè. Trois blocs de bâtiments alignés, les portes vers le sud, composent cet édifice public. Deux bâtiments pour les salles de classe et un pour les logements d’enseignants.

Le bâtiment du milieu est sans toit car décoiffé par un vent violent depuis le 9 juin 2023. Les barres de fer servant de poutres pendent dangereusement jusqu’au sol.

Trois hangars servent de paillotes pour les classes de CP1, CP2 et de CE1. Le CP1 se trouve sous une paillotte dressée dans la cour d’un logement. Devant cette infrastructure scolaire, un terrain de sport est bien tracé et matérialisé. Un nouveau mât se dresse près d’un arbre. Les élèves, regroupés par classe, finissent de monter le drapeau et intègrent leurs salles de cours.

Un groupe de six filles du CM2 arrivent après ce rituel. Ce sont Fadila, Emilienne, Noelie Eméline, Denise et Pogyendé. Le sac au dos, elles tiennent en main, leurs plats en plastique contenant leur seule nourriture quotidienne. Les pieds fendillés et couverts de poussière. Le bras droit sous le pull-over, elles grelottent.

Elles sont de la dernière promotion des élèves originaires de Douré, « derrière l’eau » en langue nationale mooré. Obligées de traverser le fleuve Nakambè pour se rendre à l’école, elles habitent à environ 4km de leur école. Elles sont encore en retard. Cette situation, elles la vivent quotidiennement d’octobre à mars et de mai à juillet suivant le rythme de l’hivernage.

Noelie Bonkoungou a 15 ans. La tête tressée, le sac de couleur jaune au-dessus d’un pull-over rouge, sur une jupe fleurée, elle a la mine triste. « A notre première année, c’était difficile. Aussi, lorsque le niveau de l’eau monte, cela nous fait peur », dit-elle.

Des abandons récurrents

Tous les élèves admirent le courage, la détermination et l’engagement de leurs camarades. C’est le cas de Ibrahim Zongo, un ancien élève, promotionnaire de Fadila et de Emilienne, qui a décroché des études en 2022 en classe de CM1.

« C’est mon choix d’abandonner l’école », dit-il sans explication, tout en ramant calmement la pirogue qui balance au rythme du vent. Les écolières se moquent de lui. Nous insistons. Il répond alors avec un peu de nervosité. « C’est pour apprendre un métier. Je fais le jardinage », lâche-t-il, le regard évasif.

Comme lui, Ibrahim Zongo et Issaka, deux autres garçons du CM2, ont aussi abandonné les bancs en cette année scolaire 2023-2024 pour le même motif. Au début de l’année, cette dernière promotion des élèves traversant le fleuve, comptait 12 écoliers dont 6 garçons et 6 filles.

A Kuilkienka, beaucoup d’apprenants et principalement les garçons abandonnent régulièrement les cours pour la culture maraichère malgré les sensibilisations des enseignants.

Le décrochage scolaire, Fadila et ses cinq sœurs refusent cela. Elles bravent les obstacles pour achever leurs études primaires. Emilienne Bonkoungou a 14 ans. Petite de taille, elle connait la traversée du fleuve à pirogue depuis 7 ans.

Plusieurs fois, elle a conduit seule la barque. Mais pour leur retard du jour, « les deux pirogues étaient parquées sur l’autre rive quand nous étions arrivées. Et le temps d’attente avait donc duré », explique la jeune fille.

Pour leur traversée matinale, c’est Fadila qui a conduit la barque. Le chemin de l’école se fait à pieds entrecoupé d’embarquement d’une pirogue. « Nous sommes maintenant habituées. Je ne suis plus inquiète et je ne crains pas », raconte-t-elle. « Je ne vais pas abandonner l’école car je souhaite réussir ma vie un jour afin de soutenir mes parents », soutient Emilienne, le visage souriant.

Des craintes

Malgre Naaba, chef coutumier de Douré, est le père de trois filles du groupe : Noelie, Emilienne et Pogyendé. Élancé, sexagénaire, habillé dans un long boubou, il est assis sur un tabouret, au milieu d’une concession envahie par de nombreux poulets caquetant, il pile ses produits de la pharmacopée traditionnelle.

Malgre Naaba, chef coutumier de Douré
Malgre Naaba, chef coutumier de Douré

A côté, une manche de daba à moitié sculptée est déposée. « J’ai des craintes car nul ne peut maitriser l’eau encore moins la nature parfois », s’inquiète-t-il avant de poursuivre « mais, les enfants sont l’avenir de demain ».

En 2019, Douré ouvre une autre école « Lila Chouli ». Elle compte seulement cinq classes dont actuellement le CM1. Une sixième classe manque pour assurer tous les cours. « Le défaut de la normalisation va entrainer plus tard une reprise de la traversée du fleuve. Et le calvaire des enfants va alors toujours se poursuivre », explique un enseignant.

En effet, avec les échecs au CEP et le redoublement au CM2, le besoin d’achèvement des études, vont toujours animer les élèves. Cela va contraindre par moments, selon la disponibilité de la classe du CM2, des enfants de Douré à traverser le fleuve pour l’école de Kuilkienka. « Cette situation nous inquiète », indique Samuel Daré, un autre parent d’élève.

La coutume est sollicitée pour la protection des passagers du fleuve. Annuellement, des rites coutumiers et des sacrifices sont faits. « Tout enfant du village sait nager et utiliser la pirogue, car c’est une tradition chez nous », rassure le chef coutumier, confiant.

Chemin parsemé d’embuches

Il est 5h30. L’étoile polaire seule scintille au-dessus du ciel. Nous attendons notre guide passeur. L’eau dort encore à cette heure de la journée.

La fraicheur est intense. Seuls les oiseaux chantent. Sur l’eau stagnante, des éclats apparaissent par moments. Les deux pirogues sont parquées derrière la rive gauche. Les chants des coqs et le braiement des ânes, seules horloges des enfants, résonnent au loin. Trois collégiens arrivent les premiers avec la barque suivis de notre piroguier. Le froid est intense et l’eau est fraiche. Nous prenons des notes, la main tremblotante.

Il est 6h50mn. Les six filles arrivent enfin en deux groupes de trois après une distance à pied d’environ 2 kilomètres. Les deux passeurs désignés du jour sont en retard. Il faut attendre.

Il est 7h01mn. Elles embarquent avec les quatre garçons. C’est le silence et la peur. La pirogue vogue au rythme du vent et de la manière de ramer. Sept minutes après, nous atteignons l’autre rive située à environ 300 m. Il reste encore 2 kilomètres à parcourir.

Encouragements et non punition et sanctions

En 2019, environ 100 enfants de Douré traversaient le fleuve pour fréquenter l’école de Kuilkienka avec une ou deux pirogues. Une situation dont les conséquences sont les nombreux retards. Aujourd’hui, c’est la dernière promotion de ces écoliers obligés à ce sacrifice qui reste.

Le fleuve et la distance qui les séparent de leur établissement scolaire sont leurs obstacles quotidiens. Des sensibilisations sont faites. « Nous ne punissons plus ni ne sanctionnons leurs retards. On les encourage et les sensibilise régulièrement », nous confie un enseignant. « Les travaux ménagers sont moindres », ajoute le chef coutumier.

Le soulagement

L’ouverture de « Lila Chouli de Douré » soulage la communauté éducative des deux localités. Elle compte 128 apprenants. « On est beaucoup soulagé. Nos classes aux effectifs pléthoriques d’autrefois sont décongestionnées. Beaucoup de désagréments ont trouvé une réparation », indique avec satisfaction Romain Bontogo, directeur de l’école de Kuilkienka.

Samuel Daré est le président actuel de l’Association des parents d’élèves (APE) de Douré. Dans le passé, il a aussi été un membre du bureau APE à Kuilkienka. « En cas de pluie, dans la soirée, les enseignants libéraient les enfants avant l’heure par prudence. Nous prenons des dispositions pour les faire passer vitele fleuve », raconte-il.

L’implantation de cette nouvelle école épargne les petits écoliers de la traversée du long cours d’eau. « Nous sommes contents et soulagés », dit-il.

Inspiration et motivation

Augustin Bonkoungou est un étudiant de l’Université Norbert Zongo de Koudougou et titulaire d’une licence en philosophie. Toutes ses études primaires et secondaires se sont passées à Kuilkienka. Depuis 2004, il traversait le fleuve à pirogue pour acquérir le savoir à l’âge de 9 ans. Il aide son frère à gérer une petite boutique associée à une buvette installée au milieu du village.

Augustin Bonkoungou ,étudiant en philosophie
Augustin Bonkoungou ,étudiant en
philosophie

Retrouvé dans ces lieux, les souvenirs de la traversée du Nakambè avec la barque depuis l’enfance l’assaillent toujours. Bousculé par ses nombreux clients, l’habitué de la pirogue du savoir fait des va-et-vient, le visage souriant.

Il partage ses craintes sur les risques encourus par les résistantes et résilientes écolières. « Tu es obligé de faire avec, sinon tu vas rater les cours. Souvent, tu arrives trouver que le piroguier passeur n’est pas encore arrivé. Tu es en retard et sous une forte pression », convient-il.

« Elles doivent s’inspirer de mon cas. Avoir le courage et se dire que la souffrance qu’elles endurent actuellement n’est qu’une motivation », ajoute-il.

Quatorze collégiens subissent aussi le même sort. « Elles ne sont pas les seules. Il y a leurs aînés au collège », renchérit Samuel.

Faut-il agir ?

Wendpagnagdé Simporé est le président de « l’Association Action Plus » de Ziniaré qui s’est impliquée dans la réalisation de l’école primaire publique Lila Chouli de Douré. « Au regard de leurs capacités de résilience, l’abnégation au travail, de leur engagement à effectivement étudier et à devenir des hommes de demain, elles nécessitent notre attention à nous tous. Elles nécessitent l’accompagnement de tous les acteurs », souhaite-t-il.

« La situation est analysée de plus près pour voir éventuellement quel peut être notre apport, pour soulager un tant soit peu en attendant de trouver des solutions définitives. C’est une approche que nous n’excluons pas dans notre démarche », rassure-t-il.

Mais, en attendant, « les six filles symboles de la résilience du savoir » restent confiantes, déterminées et engagées à achever leurs études primaires.

Les six élèves
Les six élèves

Sur les six, cinq ont obtenu leur moyenne après les évaluations du premier trimestre. Elles rêvent. « Je veux devenir enseignante à l’avenir ». « Je veux être fonctionnaire afin de venir en aide à mes parents ». Elles espèrent.

Selon les statistiques, le taux d’abandon scolaire au Burkina, en 2023, est de 27,6% dont 23,8% pour les filles et 31,6% pour les garçons.

Pour la région du Plateau Central, il est de 22,4% dont 17,6% chez les filles et 27,5% chez les garçons. La migration, l’orpaillage artisanal, les travaux ménagers et le mariage forcé en sont principalement les causes.

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