Le 15 novembre 2019 dans un communiqué adressé à plusieurs attachés militaires au Burkina Faso, le Chef d’Etat Major Général de l’Armée,le Général Moise Miningou indiquait que tout aéronef non signalé qui survolera le Burkina sera traité comme ennemie. Il n’en fallait pas plus pour créer un véritable débat. Si pour certains la mesure est hautement salutaire et courageuse d’autres se posaient la question de savoir si le Burkina a les moyens pour faire face à des appareils volants non identifiés. www.libreinfo.net s’est entretenu avec un ancien pilote de l’armée burkinabè à la retraite, le Commandant Soma Koné sur les enjeux de survoler le territoire burkinabè avec ces aéronefs. Il a été pilote-commandant de bord dans l’armée de 1967 à 1999, c’est-à-dire 32ans.
Comment êtes-vous devenu pilote ?
C’est une longue histoire. J’étais mécanicien au troisième échelon du premier bataillon de Haute Volta(BHV).C’est après mes études secondaires de Bingerville(Côte-d’Ivoire)que je suis rentré au garage du premier BHV en 1966.En tant que tel, j’étais chargé de la réparation des voitures. Mais il se passe que là-bas, je n’étais pas en odeur de sainteté avec le chef, j’ai donc profité de l’arrivée des Européens pour faire le test de l’armée de l’air pour devenir pilote.
Il y a un debat faisant suite au communiqué du CEMGA par rapport à des aéronefs qui survolent ayant le territoire burkinabé. Qu’est–ce qu’un aéronef ?
C’est un appareil qui peut décoller par ses propres moyens. Il peut transporter des personnes comme des marchandises.
Que dit le droit international par rapport au vol d’aéronefs dans l’espace ?
En principe tout avion (qu’il soit aéronef ou pas) ne peut survoler un territoire sans avoir au préalable informé les autorités de ce territoire. La demande se fait au moins 72heures avant la mission. En principe une demande d’atterrissage ou de survol d’un territoire doit recevoir une réponse positive ou négative. En principe mais pas forcément. Toujours est-il qu’une non-réponse au bout de 72 heures est considérée de facto comme une acceptation. Survoler un territoire sans autorisation préalable est une violation de l’espace de ce pays.
Quelle est l’importance d’informer les services du pays hôte ?
C’est un indicateur de la souveraineté de tous les pays. Je me souviens qu’un jour je transportais une équipe de joueurs de football de l’équipe nationale. Bien entendu nous avions envoyé une demande mais celle-ci n’avait pas obtenu de réponse. Comme le règlement le permet, nous avons décollé au bout des 72 heures. Au moment d’atterrir à l’aéroport de Lagos, le contrôleur nous a demandé si nous avions une autorisation de survol ou d’atterrissage du territoire nigérian. Je lui ai parlé de notre demande envoyée. Hélas ils ont répondu qu’ils n’en avaient pas connaissance d’une quelconque demande et nous ont intimé l’ordre de faire demi-tour. J’ai dû leur dire que notre carburant ne nous permettrait plus de repartir à Ouagadougou avant qu’ils ne m’autorise à me poser. Heureusement personne n’est venu pour vérifier si ce que j’ai dit était vrai ou faux.
Quel risque y a-t-il à survoler un pays sans autorisation préalable ?
Survoler un pays sans autorisation, c’est s’exposer à être intercepté par des avions intercepteurs qui obligent l’aéronef à se poser. Dans le cas échéant, l’aéronef peut être abattu.
Quelles peuvent être les intentions d’un pays qui envoient des aéronefs dans un autre pays sans autorisation préalable ?
Ça ne peut être autre chose que pour avoir des renseignements. Il faut dire que ces avions peuvent être des drones avec des caméras à bord commandés depuis une base pour glaner lesdits renseignements.
Ça peut être quoi les renseignements ?
Ça peut être des informations sur les mouvements des troupes, la situation de sites (barrages, villes), bref tout ce qui se trouve sur le terrain.
Quelle est l’étendue de la superficie sur laquelle les renseignements peuvent être pris ?
Si les drones ont assez d’autonomie, ils peuvent prendre des renseignements sur toute l’étendue du territoire.
Comment appréciez-vous la lettre du Chef d’Etat-major général des Armées ?
Si on avait des intercepteurs ces avions qui violent l’espace burkinabè auraient été interceptés. Je ne sais pas grand-chose parce qu’il y’a 20 ans que je suis parti à la retraite. À l’époque nous ne nous ne pouvions rien faire puisque le Burkina n’avait pas d’intercepteurs. Ce serait bien que nous puissions nous en procurer.
Pourquoi les avons-nous pas ? Est-ce une question de moyens ?
En effet ! Il s’agit d’avions capables d’intercepter d’autres avions à 10 000 mètres du sol. Généralement l’avion violeur accepte atterrir et on récupère tout son contenu s’il en a. Quand il s’agit d’un drone, on ne peut pas l’intercepter d’autant qu’il est piloté d’autres personnes. Lors de la guerre contre le Mali, il a suffi qu’on coupe l’électricité pour brouiller les pistes de deux avions maliens qui avaient l’intention de bombarder Ouagadougou pendant la nuit. L’avion est reparti sans pouvoir bombarder parce que le pilote ne savait plus où situer la ville. Avec un drone ç’aurait été inutile parce qu’il suffit de mettre les coordonnées du site. Une fois que l’avion est sur le site, il largue les bombes de façon automatique.
De ce que vous savez, quels sont les pays africains qui sont à même de garder inviolé leurs espaces aériens ?
Probablement l’Egypte, le Nigéria, l’Algérie et l’Afrique du Sud.
Propos recueillis par Loura Soumana, Stagiaire