Les Tunisiens sont convoqués aux urnes le 6 octobre prochain pour élire leur prochain président. Mais les résultats de cette élection sont écrits d’avance dans un contexte marqué par la caporalisation du pouvoir par le camp de l’actuel chef de l’État, Kaïs Saïed. Quatorze ans après le sacrifice de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, le « printemps démocratique tunisien » est en perte de vitesse…
L’élection présidentielle du 6 octobre prochain en Tunisie semble bien emprunter les voies d’une simple formalité institutionnelle, et encore ! Cette convocation du corps électoral suggère plutôt un plébiscite du chef de l’État sortant — et qui ne compte pas sortir — Kaïs Saïed, et non une réelle expression du peuple sur celui qui est censé présider aux destinées du pays pendant les cinq prochaines années.
Sur le bulletin de vote en effet, seuls deux autres candidats — Zouhair Maghzaoui, ancien député de la gauche panarabe, et Ayachi Zammel, chef d’un petit parti libéral — sont qualifiés par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) pour prendre part au scrutin. Ils seront donc trois en piste pour le fauteuil présidentiel sur lequel est confortablement assis Kaïs Saïed depuis 2019. De nombreuses candidatures, dont celles des principaux opposants au régime actuel, ont été purement et simplement écartées…
Anticonstitutionnellement…
La situation était déjà suffisamment cocasse lorsqu’une plénière de l’Assemblée des représentants du peuple, majoritairement acquise au chef de l’État sortant, adopte, le 28 septembre dernier, une révision de la loi électorale.
Ce texte, voté « en urgence » par 116 voix, contre 12 et 8 abstentions, retire le pouvoir d’arbitrer les contentieux électoraux au tribunal administratif pour les confier désormais à la Cour d’appel.
Le rassemblement organisé devant le siège du Parlement pour dénoncer un changement des règles du jeu en cours de jeu n’y a rien fait ! Cet épisode participe, selon nombre d’observateurs de la scène politique tunisienne, des intrigues politiques du pouvoir pour « garantir un second mandat à Kaïs Saïed dès le premier tour ».
D’autant que, fait remarquer le site d’information Webdo, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) s’est refusée à « appliquer des décisions du Tribunal administratif relatives à la réintégration de trois candidats exclus de la course à la présidence ».
L’Isie a, en effet, écarté les candidatures de Mondher Zenaidi, Abdellatif Mekki et Imed Daïmi à cette élection présidentielle, malgré leur réintégration par le Tribunal administratif. Il se trouve cependant que le refus de l’Isie de respecter un arrêt du Tribunal administratif viole la Constitution tunisienne qui dispose que les décisions de cette instance « ne peuvent pas l’objet d’un appel ».
En refusant de donner droit à la décision du Tribunal administratif qui lui ordonne, le 14 septembre, de réintégrer ces candidatures, l’Isie marche donc sur la Constitution. Aussi, pour ses signataires, la loi modificative qui transmet l’examen des contentieux électoraux à la Cour d’appel vise à… « garantir l’unité du cadre judiciaire ». Pour ces députés en effet, les désaccords actuels « présagent d’éventuelles crises et un danger imminent menaçant le processus électoral ».
Ah, ces pleins pouvoirs !
Et voici la Tunisie en marche forcée vers un scrutin présidentiel taillé sur mesure pour Kaïs Saïed, élu démocratiquement en 2019, mais qui s’est ensuite arrogé les pleins pouvoirs en 2021.
Tout a commencé le 25 juillet 2021, jour de la fête de la République, lorsque le président de la République a limogé son Premier ministre, Hichem Mechichi, ainsi que les membres de son gouvernement.
Mais ce n’est pas tout ! Pour mettre un terme aux longs mois de crise avec le monde politique et les institutions démocratiques de son pays, le chef de l’État annonce, le même jour, la suspension de l’Assemblée des représentants du peuple, ainsi que « la formation d’un nouveau gouvernement qui sera responsable devant lui ». De plus, il décide de gouverner par décrets et indique qu’il présidera le parquet.
Une année plus tard, le corps électoral tunisien adopte à 94,60% des voix, une nouvelle Constitution soumise à référendum le 25 juillet 2022. Une nouvelle loi électorale est ensuite publiée par décret le 15 septembre de la même année, tandis que la suspension du Parlement est prolongée.
Toutes choses qui amènent les détracteurs du président Kaïs Saïed d’avoir fait « régresser les droits et libertés en Tunisie depuis le coup de force de 2021 par lequel il s’est emparé des pleins pouvoirs ».
Criarde désillusion
C’est dans ce contexte que se tient l’élection présidentielle du 6 octobre prochain dont on ne doute pas qu’il confirmera l’actuel président à son poste. On est absolument loin des espoirs nés au lendemain de la révolution tunisienne de 2010, déclenchée suite à l’immolation par le feu, dans le village de Sidi Bouzid, du vendeur ambulant Mohamed Bouazizi. Aujourd’hui, quatorze ans après cet évènement qui a ému le monde et qui a fait tomber le président Zine el-Abidine Ben Ali après plus de 23 ans de règne, la désillusion s’est incrustée dans toutes les strates de la société tunisienne.
Il en va ainsi de tous ces mouvements qui ont intéressé à cette époque plusieurs pays et qu’on a qualifié de « printemps arabe ».Juste à côté de la Tunisie, le Hirak s’est essoufflé en Algérie et n’a rien pu faire contre la réélection, avec 84,30 % des suffrages exprimés, de Abdelmadjid Tebboune à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle anticipée du 7 septembre dernier.
En tout état de cause, en Algérie comme en Tunisie, on semble user des mêmes méthodes pour rester au pouvoir. Deux candidats peu connus ont récemment fait face à Abdelmadjid Tebboune en Algérie, dans un contexte de répression de l’opposition et de rejet de la plupart des candidatures. Et il en sera de même le 6 octobre prochain en Tunisie !